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Séverine Carayol ne répondait ni aux appels ni aux SMS qu’Amandine lui envoyait depuis une bonne heure.

Dans le métro, Amandine avait ressassé l’épisode du portique au Palais de justice. D’infimes gouttes de salive sur son visage… ça avait duré dix secondes, mais c’étaient peut-être dix de trop. Les grippés du Palais étaient forcément passés par ces portiques, eux aussi. Ils avaient peut-être parlé au gendarme en faction et l’avaient contaminé.

Et si elle le portait désormais en elle, ce virus ? Et s’il était en train, en ce moment même, de se multiplier dans son organisme, de s’accrocher à ses cellules pour tenter de les détruire ? La jeune femme sortit un cachet antiviral et l’avala. Mieux valait dépasser la dose conseillée que d’attraper cette monstruosité et la rapporter au loft.

Comme s’il s’agissait d’une transmission de pensée, Phong l’appela pour prendre des nouvelles. Amandine lui expliqua que c’était compliqué, qu’apparemment le cœur de la police judiciaire française avait été touché. Elle ne lui parla pas de l’épisode du masque. Elle devait encore réfléchir à la décision qu’elle allait devoir prendre en rentrant chez eux.

— Pas de bonnes nouvelles non plus de mon côté, fit Phong. Les données affluent de la Shoc Room. Des oiseaux continuent à mourir, et de plus en plus loin d’ici. Ils sont désormais du côté du Bassin aquitain et des côtes landaises. Les foyers sont multiples. Des dépêches AFP tombent sur Internet. En plus du virus, des rumeurs se propagent. Je crois que, cette fois, le pire est à envisager. H1N1 et la peur qu’il brasse dans son sillage sont en route, on dirait.

— Jacob pense qu’il n’est pas trop tard. Il espère encore que le virus se transmette plus mal que la grippe saisonnière, qu’il peine à se propager dans la population.

— Sacrément optimiste quand on voit ce qui se passe avec les oiseaux.

— C’est peut-être plus compliqué avec les humains ?

— Je l’espère. On se voit ce soir, Amandine. Je pense à toi, j’ai envie de me serrer contre toi. Tout cela est tellement effrayant.

Amandine marqua une petite hésitation avant de répondre.

— Je pense aussi à toi. À ce soir.

Elle raccrocha, triste. Phong d’un côté, le virus de l’autre. Deux pensées antagonistes. Deux ennemis jurés.

Porte de Saint-Cloud, Paris-Ouest. Au bout de quarante minutes, Amandine remonta en toute hâte l’avenue Pierre-Grenier. Séverine habitait un petit appartement anonyme aux portes d’Issy-les-Moulineaux. La laborantine était une jeune femme discrète, introvertie, peu bavarde, qui n’assumait pas ses rondeurs et sortait peu. Amandine ne l’avait jamais connue avec un homme sauf ces derniers temps : Patrick Lambart, un médecin qui l’avait, semblait-il, méchamment plaquée.

Cette peine de cœur pouvait-elle expliquer l’absence de la jeune femme ?

Oui, mais de là à nous abandonner en pleine alerte…

Amandine sonna à l’Interphone et, comme elle n’obtenait aucune réponse, elle appuya sur des boutons au hasard. On finit par lui ouvrir, et elle grimpa au deuxième étage. Elle cogna à la porte, sans succès. Nouveau coup de téléphone. La sonnerie à l’intérieur de l’appartement confirmait bien ce qu’Amandine pensait : Séverine était là, recluse chez elle.

— Ouvre, Séverine. C’est Amandine.

Rien. Pas un bruit. Amandine insista et tourna la poignée.

C’était ouvert.

Elle pénétra dans le hall, se dirigea vers le salon. Séverine aimait la sobriété. Tons dominants blanc et gris clair, meubles patinés, sol en béton lissé. Pas de décoration affriolante, tout juste quelques statuettes qu’elle avait rapportées d’un voyage en Afrique. Amandine remarqua les bouchées de chocolat posées sur la table basse : Séverine en emportait toujours au laboratoire, son péché mignon. Et puis il y avait des CD partout. Du classique qu’elle écoutait parfois avec des écouteurs, devant sa paillasse. L’une des boîtes était ouverte, proche de la chaîne hi-fi. Hector Berlioz, La Damnation de Faust. Amandine connaissait cette partie du mythe : Faust est désespéré, il est possédé par le « mal du siècle », cette incapacité à atteindre le bonheur. Surgit alors Méphistophélès qui le convainc de le suivre dans une aventure pour reconquérir les plaisirs de la vie…

Amandine sentit sa gorge se nouer. Plutôt glauque, pas le genre de musique que l’on écoute les jours de fête, mais plutôt avec du Xanax dans la main. En revenant vers le hall, elle trouva le téléphone portable posé sur le meuble à chaussures.

— Séverine ?

Amandine se sentait mal à l’aise. Trop d’inertie et de silence autour d’elle. Si Séverine était absente, pourquoi avait-elle laissé la porte d’entrée ouverte et son téléphone sur place ? La gorge serrée, elle se dirigea vers la chambre.

Accélération des pulsations. Puis le choc.

Séverine était immobile, recroquevillée sur les draps. Une mousse épaisse recouvrait ses lèvres. À ses côtés, des traces de vomissure, des boîtes de médicaments ouvertes, des gélules partout.

Amandine se précipita en criant. Elle porta ses doigts à la gorge glacée de la jeune femme.

Pas de pouls.

Morte.

Amandine se recula, tétanisée.

À droite du corps, il y avait une feuille avec un stylo.

Un seul mot était écrit en grand sur le papier.

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