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Ils passèrent instantanément à une autre forme d’horreur.

Les photos que Nicolas venait d’accrocher au tableau étaient celles qui avaient été prises par l’Identité judiciaire dans les égouts, mais aussi celles trouvées dans la niche, déposées là par le tueur.

Nicolas fit un rapide résumé pour Camille : le meurtre de Félix Blanché et de son chien, les quatre squelettes retrouvés dans un étang de Meudon, appartenant vraisemblablement à des SDF enlevés quelques semaines auparavant dans des égouts. Leur descente pour trouver la sinistre cache d’un assassin déguisé en oiseau, armé de griffes, adorateur du Mal, avec ses bougies et ses croix à l’envers.

Lucie et Casu s’approchèrent et regardèrent les photos de près.

— On comprend mieux votre état en remontant de là-dessous. C’est effroyable.

— Les gars de la Scientifique ont fait un travail extra, répliqua Nicolas. Fallait de sacrées tripes pour fouiner.

Le capitaine de police eut un frisson qui lui traversa tout le corps.

— Visiblement, d’après les premiers retours, il n’y a aucune empreinte sur les photos, pas de traces biologiques au niveau de la niche ni sur les flacons, les bidons d’acide et de chlore. Il devait porter des gants. Des empreintes, par contre, il y en a un paquet au niveau des chaînes, des murs, de la nourriture. Sans doute celles des victimes. Les morceaux de chair dans les cerceaux d’acier nous permettront d’avoir des ADN. Et peut-être d’identifier les malheureuses personnes enchaînées. Leurs cadavres ont été dissous au fond de la pièce ; il y avait pas mal de… matière organique.

— Je comprends bien le rôle de l’acide, intervint Sharko. Mais à quoi sert le chlore ?

— À désinfecter les sols, à supprimer les microbes, à purifier l’eau, répliqua Camille. Son utilisation est très étendue.

Sharko réfléchissait. Pourquoi aurait-il eu besoin de désinfecter l’endroit ? Pour s’y sentir protégé des microbes circulant dans les égouts ? Il s’approcha lui aussi du tableau.

— Aussi immonde que ça puisse paraître, c’est dans ce trou à merde que notre assassin se sent bien. En sécurité. Il ramène ses petites bougies, ses crucifix, les photos de ses massacres, son matériel de shoot : l’absinthe, le laudanum. Il a sous les yeux quatre pauvres victimes enchaînées qui ne peuvent pas l’atteindre ni se toucher. On est dans son intimité… Dans sa tête…

Camille observa les clichés de la famille massacrée. Il y en avait sous différents angles. De près, de loin, en plongée.

— Cette scène de crime, c’est une photo de son esprit.

Les murs de la pièce où se trouvaient allongés les cinq corps étaient austères et gris. Les fenêtres sales. Un canapé d’un autre siècle. Une paroi était recouverte d’objets religieux aux couleurs vives : crucifix, icônes encadrées. Là aussi, les croix étaient retournées.

— Une famille complète, dont trois enfants. Des croix à l’envers… On en aurait entendu parler, non ? À moins que les corps n’aient pas encore été découverts ? Faudrait peut-être chercher du côté de l’étranger ?

Nicolas acquiesça, puis fixa Casu.

— Tu pourras demander une requête Interpol au BCN[18] ? Comme le suggère Camille, on va chercher dans d’autres pays, on ne sait jamais. Essaie de leur donner des critères en rapport avec le mode opératoire. Griffures, perforations, croix inversées, satanisme… Il y avait peut-être des odeurs de menthe, là-bas aussi, et des morceaux d’éponge contenant du laudanum et de l’absinthe. Il faut qu’on sache où ces gens ont été tués et s’il y a eu une enquête.

Casu acquiesça.

— Contrairement à celui de Félix Blanché, ce quintuple assassinat semble prémédité, dit Sharko. La disposition des corps, le fait de les avoir déshabillés. Puis ces enfants… Pourquoi il s’en est pris à eux ?

— Et il s’est gardé de petits souvenirs en les photographiant, ajouta Lucie. Comme si l’horreur de son acte ne lui avait pas suffi. Aucune pitié, aucune compassion.

Elle secoua la tête de dépit. Camille observait les chaînes colorées.

— Le blanc, le noir, le rouge et le vert. Les quatre chaînes dans les coins. C’est curieux, ça me suggère quelque chose, mais… (Camille se mit à arpenter la pièce)… je n’arrive pas à me rappeler quoi.

Nicolas et Sharko échangèrent un regard. Camille s’abîmait de nouveau dans ses réflexions. En tant qu’ancienne technicienne en identification criminelle dans la gendarmerie, elle avait l’œil et était capable de lire les scènes de crime.

Les doigts de Lucie caressaient d’autres clichés.

— Malheureusement, ses motivations nous échappent encore.

Il y eut un long silence, où chacun était plongé dans ses réflexions. Ils auraient aimé comprendre, cerner le fonctionnement du tueur, progresser dans son esprit, mais ils se heurtaient à un mur.

À ce moment-là, un homme passa la tête dans l’embrasure de la porte. C’était Antoine Camailleux, le patron des équipes antiterroristes. Il avait un masque sur le visage. Il fixa Nicolas, les yeux rouges et brillants :

— On a un visuel de l’individu qui a répandu le virus. Mais mettez votre masque. Ce salopard m’a eu.

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