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Assis sur le siège arrière, Sharko, qui était au téléphone, raccrocha, tandis que Nicolas conduisait à vive allure, doublant dès qu’il le pouvait.

Ils arrivaient à proximité de Méry-sur-Oise. Trois autres véhicules banalisés suivaient à plusieurs centaines de mètres. Ils pistaient le véhicule grâce à une balise GPS. À 22 heures, il y avait encore un peu de circulation, juste ce qu’il fallait pour se noyer dans le flux.

— Casu vient de faire des recherches, annonça Sharko. Il y a des dizaines et des dizaines d’hectares de carrières souterraines sous la forêt. Elles ont servi de base aux nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a carrément une gare souterraine là-dessous, d’anciens sites de stockage de missiles. C’est très étendu.

— Des carrières… C’est dans ce genre d’endroit que ça avait commencé, l’année dernière, tu te rappelles ?

— Juste une coïncidence.

— Les égouts, les carrières, le Darknet… Toujours les sous-sols, les profondeurs.

— En marge de la société, là où personne n’irait les chercher. Sous la surface des apparences.

Nicolas crispa ses mains sur le volant. Le gilet pare-balles lui serrait la poitrine.

— Tu crois qu’elle est vivante ?

Sharko fixait la forêt qui défilait, tel un mur de ténèbres. C’était la question qu’il redoutait depuis qu’ils étaient montés dans le véhicule.

— J’aimerais te dire que oui. Mais je n’ai pas la réponse. Je suis désolé, Nicolas.

Bellanger soupira avec tristesse.

— Pourquoi j’ai continué à m’acharner ? J’aurais dû tout plaquer, l’année dernière. Ne jamais reprendre mon poste. Partir avec Camille, loin de tout ça. Changer de vie…

— Tu ne dois rien regretter. Jamais. T’es flic, t’y peux rien.

— C’est la femme de ma vie, Franck. Je ne supporterai pas de la perdre.

Le ruban de bitume se rétrécissait en même temps qu’ils s’enfonçaient dans une masse opaque de végétation. Le ciel noir n’apparaissait plus que par intermittence. L’éclat de leurs phares se voyait des centaines de mètres à la ronde et Nicolas jetait des coups d’œil réguliers dans son rétroviseur. Les équipes assuraient : elles étaient invisibles. Quant à Sharko, il était désormais couché à l’arrière, les mains sur son pistolet. Comme souvent dans ces moments-là, ceux où leur vie était en danger, Franck songeait à sa famille. À Lucie, à ses fils qu’il n’avait pas vus de la journée. Il avait dit à Nicolas de ne pas regretter… Mais si, bien sûr qu’il fallait regretter.

Nicolas conduisit la voiture aussi loin qu’il le put, bifurquant quand il pouvait pour se rapprocher de la destination. La petite route cahoteuse qu’ils avaient empruntée se termina en un minuscule parking vide. Il coupa le contact, mit sur sa tête la capuche d’une veste prise chez le hacker et vérifia que son Sig Sauer était bien en place, coincé dans la ceinture de son pantalon.

— Bonne chance. Je te suis avec les équipes dans quelques minutes. Fais très attention.

Nicolas ne répondit pas mais lui adressa un regard en claquant la portière. GPS de son téléphone activé, lampe à la main, il s’aventura dans l’obscurité la plus totale. Pas de lune cette nuit-là, aucune étoile. Ses pas lourds faisaient craquer le tapis de feuilles et de branches mortes. En cette fin d’automne, les arbres ressemblaient à de grands squelettes, et le flic songea aux quatre cavaliers de l’Apocalypse. Il vit la hargne sur leurs visages, leur volonté de répandre la maladie, la guerre, la famine.

Tout ce mal, cette souffrance, cette volonté acharnée de détruire.

Il pressa le pas. L’Homme en noir lui avait laissé jusqu’à 23 heures, il était 22 h 20 et, d’après le GPS, il fallait encore parcourir cinq cents mètres.

Un craquement lointain déchira le silence. Nicolas fit mine de ne pas l’avoir entendu. S’agissait-il d’un animal, des équipes, ou de quelqu’un qui le suivait ? Son cœur battait à tout rompre, à chaque goulée d’air il sentait une fraîcheur douloureuse pénétrer sa trachée, ses poumons. Nicolas ne pensait pas avoir déjà eu aussi peur de sa vie. On pouvait l’abattre comme un lapin. Et il ne saurait jamais, ni pour Camille ni pour le reste.

Quelques minutes plus tard, il atteignit l’endroit exact indiqué par son appareil. Rien d’autre que des troncs noirs, serrés autour de lui comme une foule en colère.

Que faire, maintenant ? Attendre ?

Sur place, pense aux ténèbres, tu sauras où aller, avait écrit l’Homme en noir. Nicolas éclaira le sol, fouilla un peu les alentours jusqu’à apercevoir un gros cercle en béton à peine visible. Il était recouvert de mousse et de racines. L’entrée avait dû être bloquée par un énorme cylindre, mais ce dernier avait été déplacé, de façon à libérer l’ouverture.

La gorge serrée, Nicolas se pencha. Ça ressemblait à l’issue d’un bunker enterré. Bouffée glaciale en pleine figure. Une échelle métallique en contrebas s’enfonçait dans les profondeurs.

Nicolas avait trouvé l’entrée des ténèbres.

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