Face à Amandine, Théo Durieux était éveillé mais mal en point, allongé, le visage orienté vers le plafond. Il respirait lourdement dans un masque à oxygène. Amandine s’approcha mais laissa un bon mètre de distance entre eux. Il fallait rester concentrée. Elle jouait avec le feu. Le virus était là, en pleine activité, et ne demandait qu’à pénétrer ses voies respiratoires.
Elle se présenta et réitéra les questions qu’elle avait déjà posées au malade précédent.
Théo Durieux parvint à répondre, entre deux grosses respirations.
— Je… ne suis pas vraiment sorti de ma routine habituelle. Travail, métro, j’ai mangé une fois dans une pizzeria avec un collègue, j’ai aussi couru deux fois, le midi.
Amandine releva les noms qu’il parvint, avec bien du mal, à lui dicter.
— … Le soir, je… rentre directement chez moi, après une demi-heure de trajet en métro. Je suis comptable au 36, quai des Orfèvres. Je bosse au département administratif…
Amandine nota et poursuivit l’interrogatoire. Comme Buisson, aucun contact avec des animaux sauvages, aucun voyage. La jeune femme notait tout ce qu’elle pouvait, mais elle avait du mal à y voir clair. Durieux et Buisson avaient déclaré la maladie en même temps, ils avaient forcément été en contact relativement prolongé avec un même individu qui leur avait transmis le virus aux alentours de mercredi. Mais qui ? Et à quel endroit ?
Elle sortit de la chambre, il n’était déjà pas loin de 16 h 30. Johan leva son téléphone portable en venant dans sa direction.
— Je viens d’avoir Jacob. Ça y est, on commence à en savoir plus sur notre virus. Et ce n’est pas réjouissant.
— Explique.
— D’une part, le virus trouvé chez les cygnes est rigoureusement identique à celui du premier cas humain qu’on a découvert. C’est la même souche, Amandine.
La pire hypothèse se confirmait. La grippe contaminait les oiseaux et les humains. Elle pouvait donc sauter d’une espèce à l’autre.
— Notre « H1N1/Marquenterre/11/2013 » contient les gènes de plusieurs virus d’origine aviaire, porcine et humaine. Et il n’y a aucune parade pour le contrer.
— D’où il vient ?
— Difficile à dire pour le moment, il faut encore creuser, envoyer la souche aux cent cinquante laboratoires de surveillance du monde entier pour que chacun mette la main à la pâte. Mais s’il a une partie humaine alors qu’on l’a trouvé dans les oiseaux, c’est que…
— … des humains ont peut-être déjà été contaminés, quelque part dans le monde.
Amandine essayait de rassembler les pièces du puzzle, mais elle n’y parvenait pas. Si le virus n’avait pas été stocké dans la Banque mondiale des souches de grippe, c’était que personne ne l’avait déjà rencontré, qu’aucun cas n’avait été détecté par les services de santé ou les centres de surveillance. Alors sortait-il d’un laboratoire ? S’agissait-il d’une souche manipulée génétiquement, dans laquelle on aurait inséré du porc, de l’oiseau, de l’humain pour en faire une arme redoutable ?
— Le seul point positif, c’est qu’il n’y a pas de nouveaux cas humains pour l’instant, fit Johan. Peut-être qu’il se propage mal entre les humains ? Peut-être qu’il va mourir de sa belle mort ?
— J’aimerais le croire.
— Et toi, ça a donné quoi, ton interrogatoire ?
Amandine porta une main à son crâne. Loin au fond de sa tête, elle sentait arriver la migraine.
— Pas grand-chose. A priori, il n’y a pas de données à croiser avec Buisson. Je vais envoyer ces infos à l’IVE, ils vont se mettre en contact avec toutes les relations de Buisson et Durieux, les gens qu’ils ont rencontrés et qui sont identifiés… Ça va très vite devenir lourd et ingérable.
— Bon… Sur ces excellentes mauvaises nouvelles, tu veux un café ? Un thé ?
— Je préférerais qu’on sorte d’ici. Je vais aux toilettes.
Elle s’isola pour ingurgiter son comprimé sécable de Propranolol, histoire d’endiguer le mal de tête. Certaines fois, ce traitement marchait, d’autres non. Ses migraines étaient une vraie plaie et la poursuivaient depuis des années. Elle avait déjà fait des analyses, on ignorait leur origine mais on supposait qu’elles pouvaient être dues à un subtil mélange entre les médicaments antiviraux, les changements de pression entre les laboratoires de haute sécurité et le monde extérieur, et le fait qu’Amandine stressait beaucoup trop. On lui avait préconisé d’alléger son travail, ce qui, ces derniers mois, était impossible.
Elle revint dans le couloir, faisant comme si de rien n’était. Elle n’aimait pas qu’on la voie avaler ses médicaments.
— T’en penses quoi, de tout ça ?
— La seule certitude, c’est que, pour l’instant, on a perdu la trace de notre virus. Mort, vivant ? Impossible de savoir.
— C’est la merde…
— Oui. Et Jacob est furax, par-dessus le marché. Il veut que l’un d’entre nous aille se taper des analyses de prélèvements qui entrent au CNR, pour réagir au plus vite si on avait d’autres cas. Il essaie depuis des heures de joindre Séverine Carayol ; elle est sur messagerie.
— Ce n’est pas trop le genre de Séverine de faire faux bond.
Johan regarda sa montre.
— Tu as déjà passé la semaine dernière au CNR, je me colle aux analyses, cette fois. Je te bipe si on a des nouveaux cas, reste dispo. Quoi qu’il arrive, on se tient au jus.
— OK. Je sais pas toi, mais j’ai un très mauvais pressentiment.