Presque 15 heures.
Le temps passait à une vitesse effroyable. Sharko écoutait la radio en fonçant vers les services de la police technique et scientifique. La grippe des oiseaux monopolisait plus que jamais l’actualité. Le nombre de cas ne cessait de s’accroître, on en était à mille huit cents malades et trois morts. La Suisse et la Bulgarie s’étaient ajoutées à la liste des pays européens touchés, et un cas avait été détecté à New York dans la nuit du dimanche au lundi, ce qui impliquait que le niveau d’alerte le plus élevé serait déclaré dans les prochains jours par l’OMS : la pandémie.
Des scientifiques et des journalistes commençaient à s’interroger sur la façon dont la grippe était passée de l’oiseau à l’humain, et nul doute qu’ils finiraient par découvrir la vérité. Côté politique, l’opposition tirait à boulets rouges sur le gouvernement en place, les accusant de négligence, de maladresses, de dissimulation. On commençait à fouiner dans les dossiers, à remuer la boue, à s’intéresser aux industries pharmaceutiques et au business des vaccins. Comme chaque fois, des théories du complot se mettaient en place tandis que, plus concrètement, des écoles fermaient dès qu’était avéré un cas. Des infirmières descendaient dans la rue tandis que les lits d’hôpitaux se remplissaient, des chauffeurs de la RATP avaient refusé d’aller travailler de peur d’attraper le microbe et ils médiatisaient leurs revendications : ils voulaient davantage de sécurité et de primes de risques. Les producteurs de volailles n’arrivaient plus à vendre leur marchandise et voyaient leur chiffre d’affaires s’effondrer…
La liste des dysfonctionnements, petits et grands, était interminable. Mais ce n’était rien par rapport à ce qui risquait de se passer si la peste était répandue dans la population. Sharko se rendit compte à quel point l’équilibre de la société était fragile. Elle reposait sur un lit de sable que la nature, celle qu’on avait trop tendance à oublier, pouvait ébranler à tout moment. Le jour où elle aurait décidé de reprendre ses droits, où elle en aurait assez de la négligence des hommes, elle lâcherait un grand fléau qui balaierait l’humanité aussi facilement qu’un claquement de doigts. La Terre continuerait à exister, mais sans nous. Et ça ne l’empêcherait pas de tourner.
Franck déposa le panneau de liège avec la carte de Paris au service de dactyloscopie, demandant une analyse en urgence. On lui promit des résultats dans les deux ou trois heures, on supposait qu’il allait falloir des techniques spéciales de fumigation pour ce genre de papier. Puis il se rua au 36, juste à côté. Il grimpa les trois étages à en perdre son souffle, regagna son open space, ferma la porte et s’installa à son bureau, en sueur.
Jacques Levallois, qui s’était tenu au courant de la situation, leva la tête.
— Vous êtes encore tombés sur un sacré énergumène, il paraît.
— L’oncle, oui… Mais ça ne nous a avancés à rien. L’Homme-oiseau court toujours.
L’ordinateur était prêt. Sharko se concentra sur son écran et lança son navigateur SCRUB. En même temps, il déplia un petit morceau de papier qui contenait les coordonnées obtenues grâce au foulage sur le Post-it.
11°23’40.40"N
142°38’48.38"E
Dans le navigateur SCRUB, le réseau anonyme était chargé, prêt à l’emploi. La gorge serrée, Franck entra dans la barre d’adresse les données mises bout à bout : 11234040N142384838E.dkw et valida.
Une page noire apparut avec, au milieu, le symbole des trois cercles. Il y avait un message en anglais que Franck traduisit mentalement : Bienvenue dans la Chambre noire. L’endroit le plus profond du Darknet.
Sharko ressentit une joie immense qui fut rapidement écrasée par une grosse boule d’angoisse : il était enfin aux portes de cette fameuse Chambre noire. Il allait connaître ses effroyables secrets. Il leva les yeux vers la photo de Josh Ronald Savage. Le défia du regard comme s’il était face à lui, en chair et en os.
Leur confrontation viendrait très bientôt, Sharko en avait la certitude.
Ses yeux revinrent vers son écran. Son majeur trembla quand il guida le curseur de la souris jusqu’au bouton « Enter » présent sur la page du Darknet.
Il appuya.