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Mercredi 27 novembre 2013


Amandine ressentit un immense soulagement lorsqu’elle se glissa sous la douche, cette nuit-là.

Il était plus de 2 heures du matin. Une journée interminable qui avait commencé dix-sept heures plus tôt, où les mauvaises nouvelles, les drames et les interrogations s’étaient accumulés. Sa tête lui donnait l’impression d’être une sortie d’autoroute saturée.

Elle frotta le savon de toutes ses forces sur la moindre parcelle de son corps, jusqu’à faire rougir sa peau d’ordinaire si blanche. Avec tous ses allers-retours dans le métro, au Palais de justice, les gens peut-être infectés qu’elle avait croisés, Amandine se sentait souillée.

Plus tard, elle se brossa les dents à n’en plus finir, sans se rendre compte de la force et de la rapidité de ses gestes puis se rinça la bouche. Le goût du sang lui donnait envie de vomir. Elle essaya de recouvrer son calme. Avant de sortir, elle aperçut un fil de toile d’araignée qui pendait au-dessus du plafonnier. Amandine prit une chaise et, à l’aide d’une serviette, fit disparaître le fil d’un geste sec. Elle nettoya toute la lampe et se brûla même à l’ampoule.

Comment cette fichue araignée avait-elle pu s’introduire ici ? Par où était-elle passée ? Amandine avait tout nettoyé de fond en comble le samedi précédent. Elle se mit à traquer la bestiole dans chaque recoin, souleva le linge, lorgna dans le lavabo. Elle était forcément quelque part. Il fallait qu’elle meure.

Mais rien. Sur les nerfs, la jeune femme finit par abandonner, tandis que Phong l’appelait depuis plusieurs minutes déjà. Elle se présenta devant la baie vitrée qui séparait son salon de celui de son mari, fixant du regard les carrelages et les murs. Elle hésita encore quelques secondes, puis prit sa décision.

— Je ne vais pas entrer.

Le visage de son mari se rembrunit.

— Mais… pourquoi ?

— J’ai passé mon temps avec des malades, des gens contaminés. On était au plus près du virus, Phong. C’était comme marcher au bord d’un volcan en éruption.

— Tu as l’habitude.

— Pas de ce genre d’alerte. Et puis, il a fallu que j’enlève mon masque en passant sous des portiques de sécurité, et un gendarme m’a parlé en plein visage. Il a dû être en contact avec le virus, à un moment ou à un autre. Ce ne serait pas prudent. Attendons quelques jours, voyons comment évolue la situation.

Phong posa une main sur la vitre.

— Tu viens de perdre une amie. Comment tu peux me demander de te laisser seule ?

— C’était une collègue.

— Mets un masque et viens me rejoindre, Amandine. S’il te plaît.

La jeune femme secoua la tête. Elle avait la larme à l’œil.

— N’insiste pas, Phong. Je ne veux prendre aucun risque, même avec un masque. C’est déjà suffisamment difficile comme ça.

— Très bien. Toi seule décides.

Amandine détestait le voir comme ça, impuissant, dépendant. Son mari serra les lèvres et ajouta :

— Je vais me faire un thé.

— Moi aussi.

Le thé… Palliatif à leur souffrance, à ces mots qu’ils ne trouvaient plus quand ils restaient face à face, séparés par l’ignoble vitre. Ils partirent chacun de leur côté, allumèrent leur bouilloire, firent les mêmes gestes qui ne faisaient que creuser la distance qui les séparait. Ils revinrent s’installer l’un en face de l’autre.

— Tu as saigné de la bouche ? demanda Phong. Et tes bras, tes jambes sont très rouges. Tu es restée plus d’une heure et demie dans la salle de bains.

— Je ne m’en suis pas rendu compte.

Phong soupira.

— J’ai reçu la facture d’eau, on a quasiment doublé la consommation ces derniers mois. Tu prends des douches de plus en plus souvent, tous ces produits que tu te mets sur le corps, que tu ingurgites… Tu m’inquiètes.

— C’est rien. Et puis, il y avait une toile d’araignée, c’est pour ça que j’ai traîné.

— Une toile d’araignée ? Alors que tu astiques tout plusieurs fois par semaine ? Je n’ai jamais vu la moindre araignée depuis qu’on habite ici.

— Il y en avait une, je te dis.

Elle rabaissa ses manches pour cacher ses rougeurs et changea de sujet :

— On vient de terminer cette superbe journée par une interminable réunion avec Jacob. L’ambiance était plombée comme elle l’a rarement été. Personne n’arrivait vraiment à se concentrer. On pensait tous à Séverine. C’était horrible de voir les regards des collègues. La visite des flics dans les laboratoires n’a rien arrangé. Un doute malsain s’est installé dans l’équipe.

— Un doute au sujet de l’intégrité de Séverine, tu veux dire ?

— Oui. Ce mot « Pardon » qu’elle a écrit sur une feuille…

— Selon toi, il pourrait y avoir un lien avec ce qui se passe en ce moment ?

— Je ne sais pas, Phong. Je ne sais plus. Ces fichus policiers ont réussi à semer le doute dans ma tête. Fallait les entendre parler. C’était comme si elle avait gravé « Coupable » sur son front.

Elle respira un bon coup, pensant encore au fil d’araignée.

— La situation est grave. Très grave.

Phong porta sa tasse à ses lèvres et la reposa après avoir avalé une gorgée brûlante.

— Grave à quel point ?

— Ce sera officiel demain. L’OMS passe en phase 4 du plan d’alerte pandémie. « Début de transmission interhumaine efficace en France ».

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