17

— Un cadeau ? Pour moi ?

Leur train fonçait en plein tunnel sous la Manche lorsque Karen déposa un petit paquet enrubanné devant Ben.

— Je peux l'ouvrir maintenant ?

— Vous pouvez attendre Paris si vous trouvez ça plus romantique, mais vous risquez d'être déçu…

Benjamin fit glisser le ruban puis retira le papier sans le déchirer. Il ne put cacher son étonnement en découvrant la boîte.

— Un téléphone ?

— Un modèle crypté intraçable. Vous pourrez appeler en toute sécurité. Ne donnez pas votre numéro à n'importe qui.

Adoptant aussitôt un regard de velours, Ben haussa un sourcil et se composa un sourire de séducteur.

— Voulez-vous mon numéro, miss Holt ?

— Votre numéro ? Vous ne l'avez même pas puisque c'est moi qui dois vous le donner !

Elle éclata d'un rire qui se répandit dans tout le wagon puis, tout à coup très sérieuse, ajouta :

— Avant la sortie du tunnel, j'aimerais que vous éteigniez votre ancien appareil en retirant la batterie et que vous me le remettiez.

En ronchonnant, Ben s'exécuta et lui tendit le tout.

— Ne le détruisez pas, lui demanda-t-il. Lorsque nous en aurons fini avec cette affaire, j'aimerais le récupérer.

— Croyez-vous que nous en aurons fini un jour ?

— Il contient des SMS auxquels je tiens.

— On vous en fera une copie.

Puis, amusée, elle ajouta :

— Je crois d'ailleurs que toutes vos conversations sont déjà dans votre dossier.

Ben réagit :

— C'est de l'humour d'espion ?

— Vous aimez ?

Benjamin se renfrogna et regarda par la fenêtre à travers laquelle il n'y avait strictement rien à voir.

— Pardonnez-moi si je vous ai choqué. Ce n'était pas mon intention.

— Il y a toute ma vie là-dedans.

— Vous n'allez pas me dire que votre plante verte et le chat vous envoient des messages…

— Je songeais plutôt à ceux de Fanny.

— Réjouissez-vous, je vous propose bien mieux que des SMS : vous allez la revoir.

— Je préfère ne pas y penser. Je commençais tout juste à guérir, et vous m'obligez à replonger.

Karen hésita à aborder le sujet, mais elle jugea qu'il valait mieux crever l'abcès.

— Une histoire malheureuse ?

— C'est bien plus triste que ça : pas d'histoire du tout. Elle n'a jamais accepté de me voir autrement que comme un bon copain. Alors que moi…

Il n'acheva pas sa phrase.

— Lui avez-vous confié vos sentiments ?

— Sans doute trop. C'est certainement même pour cela qu'à l'époque, elle est partie au bout du monde.

— Vous n'avez pas réussi à tourner la page ?

— Pire que ça : j'ai comparé avec ce que j'ai connu après et tout me ramenait à elle. Je la connais sur le bout des doigts. On a passé des jours et des nuits entières à travailler ensemble. Nous avons partagé beaucoup de choses. Elle m'a toujours impressionné. Même lorsqu'elle était épuisée, elle continuait à ne rien lâcher. C'est bien simple, pendant la rédaction de notre mémoire, sans le savoir, elle m'a porté. Plus encore que les documents et les bouquins, c'est elle que je regardais. J'aime tout ce qu'elle est. Mais la réciproque n'est pas vraie. Elle me trouve drôle, plutôt doué, surprenant aussi… Tout ce qui fait un excellent pote mais pas un compagnon.

— Vous parlez d'elle magnifiquement.

— Elle le mérite. Mais à quoi bon ? Maintenant, elle vit avec un Américain. Il est grand, baraqué, il a un sourire de pub pour un dentifrice. Lui n'a pas eu besoin de son neveu pour récupérer un malheureux trophée sportif. Il doit en avoir des caisses ! Toutes les filles se retournent sur lui. Quelque part, je les comprends parce qu'il est gaulé, le fumier ! Il pouvait toutes les avoir, mais il a fallu qu'il choisisse ma Fanny. Je le déteste.

— Dans le milieu de l'art, lui aussi ?

— Même pas. Un ex-militaire. Il assurait la protection du site sur lequel Fanny était partie faire des fouilles en Afrique. Vous imaginez la caricature : encerclée par des rebelles, elle tremble et il la prend dans ses bras. Et hop !

Benjamin soupira.

— Et vous, miss Holt, votre cœur bat-il pour quelqu'un ?

— J'ai vécu avec beaucoup de monde. Avec certains, j'aurais souhaité vivre autre chose, avoir le temps d'aimer. Mais notre métier nous l'interdit.

— Je suis désolé pour vous. Vous exercez une drôle de profession.

— Vous pensez que mon job tue les sentiments. Vu de notre place, ce sont les sentiments qui peuvent nous coûter la vie.

Elle détourna le visage et reprit :

— Depuis combien de temps vous et Mlle Chevalier ne vous êtes-vous pas vus ?

— Vous le savez déjà. C'est sans doute dans mon dossier avec tout le reste. Je l'ai aperçue à travers une fenêtre, voilà quelques mois. Par contre, elle ne m'a pas vu depuis plus d'un an. Je vous serais reconnaissant de ne pas lui balancer que j'ai rôdé autour d'elle.

— Comptez sur moi. Avez-vous déjà réfléchi à ce que vous allez lui dire quand vous vous retrouverez face à elle ?

— Aucune idée, je verrai quand j'y serai.

— Vous êtes bon en improvisation ?

— Catastrophique.

— J'essaierai de faire diversion pour vous sauver le coup.

— C'est ça, racontez-lui toutes ces opérations tordues, ces meurtres et ces vols. Cela devrait suffire à détourner son attention pendant que je la dévore des yeux.

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