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Pour poser sa question, Karen attendait le moment précis où l'hélicoptère quitterait le sol. Le ton spontané avec lequel elle comptait s'exprimer ne devait surtout pas refléter ses intentions. Cette interrogation anodine avait en effet pour double ambition de distraire Ben de ses angoisses au décollage autant que de nouer le dialogue alors qu'il n'en avait visiblement pas envie.

— Bien dormi ? demanda-t-elle.

Comme s'il n'avait attendu que cette question pour lâcher ce qu'il avait sur le cœur, Horwood réagit aussitôt :

— Dormi ? Impossible de fermer l'œil. Hier, à cette même heure, j'étais encore en vacances et mes problèmes se résumaient au choix du petit resto où j'allais déjeuner. Tout allait bien. Jusqu'à ce que je me retrouve plongé dans votre histoire à dormir debout.

— Dormir debout, c'est déjà dormir…

— Très drôle. Vous ne prenez donc pas mes soucis au sérieux ?

— Dites-moi lesquels méritent de l'être…

Ben plissa les paupières et fit face à sa voisine. Cette fois, il était prêt à en découdre avec les superbes yeux de miss Holt, à coups de regards noirs si nécessaire. Mais elle parut insensible à sa mine prétendument courroucée. Pire, il se sentait désarmé par celle qu'il était supposé affronter. Lui qui avait toujours eu un faible pour l'esprit de repartie ne faisait pas le poids s'il devait en plus affronter le charme. Ses velléités de noirceur se dissipèrent dans un sourire incontrôlé.

— Vous attendiez le bon moment pour me la renvoyer dans les gencives, fit-il.

— L'embuscade est une de mes spécialités.

— Vous n'êtes pas du genre à oublier.

— C'est mon drame.

Espérant éviter que la jeune femme ne s'aperçoive qu'il était impressionné, Ben se détourna et reprit :

— Blague à part, il y a de quoi être perturbé. Toute cette affaire me secoue tellement que ce matin, lorsque je me suis réveillé, j'ai d'abord espéré qu'elle ne soit qu'un rêve — un cauchemar, devrais-je dire ! Ce crime, ces objets enfouis dans cette église bizarre depuis on ne sait combien de temps et soudain volés… Vous savez, je ne suis qu'un petit chercheur. J'ai une vie tranquille, aucune embrouille, je commence à l'heure, je fais mon travail, je termine à l'heure. Je paie mes taxes, j'essaie de manger équilibré. À part ma mère qui s'acharne à tenter de me marier à la première venue par les procédés les plus honteux, mes relations les plus proches sont une plante verte qui n'en finit pas de crever au bureau et un chat qui, bien que je le caresse chaque fois que je le croise dans le couloir de mon immeuble, s'obstine à pisser sur mon paillasson…

— Et on prétend que ce sont les femmes qui racontent leur vie à la première occasion…

— Allez-y, moquez-vous, ne vous gênez pas. Ce genre de tueries ésotériques est peut-être votre lot quotidien mais pour moi, c'est tout nouveau et plutôt déstabilisant.

— Si nous étions tellement habitués à « ce genre de tueries ésotériques », comme vous dites, nous ne serions pas obligés de vous demander de l'aide. Mais rassurez-vous, dès que nous nous serons posés à Londres, une voiture vous raccompagnera à votre appartement et vous pourrez vous reposer.

Ben attendit un instant avant d'oser demander :

— En fait, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais bien vous accompagner à la British Library. Vous avez rendez-vous avec Robert Folker, un des conservateurs, c'est ça ?

— Ne vous sentez pas obligé. Ce n'est pas une entrevue en lien direct avec les priorités qui nous occupent. C'est surtout pour ne pas vexer M. Folker que je m'y rends. Le professeur Wheelan et lui étaient proches.

— Je suis bien placé pour savoir à quel point. Robert était son assistant de recherche au moment où je suivais son cursus. Un type adorable qui s'est toujours montré bienveillant envers nous. Il nous a souvent sauvé la mise dans des négociations quand le professeur se montrait trop rigide. Pourquoi devez-vous le voir ?

— Voilà quelques mois, Ron Wheelan avait demandé une enquête au sujet d'un manuscrit dont une partie avait, selon lui, disparu. Je n'ai suivi l'affaire que de loin. Ce n'était pas un cas essentiel en comparaison des événements qui commençaient alors à se multiplier.

— Un manuscrit disparu ? À la British Library ?

— Pas un volume complet, mais quelques pages appartenant au Splendor Solis.

Ben s'étrangla :

— Le traité sur l'alchimie ?

— Exactement.

— Pas étonnant que Wheelan s'y soit intéressé de près. Cette discipline était sa passion. Il avait une culture encyclopédique sur ce sujet et la moitié de sa bibliothèque personnelle devait y être consacrée. Il passait sa vie à étudier et à acquérir des documents là-dessus.

Ben fit une courte pause et réfléchit.

— Mais je n'ai jamais entendu parler d'une dégradation ou d'un vol concernant le Splendor Solis, s'étonna-t-il. Pourtant, lorsque des documents de cette importance sont victimes de collectionneurs ou de fanatiques, cela fait du bruit dans le métier.

— Vous connaissez ce manuscrit ?

— Une référence absolue dans le domaine de l'alchimie. Le professeur nous en avait énormément parlé lorsque nous avions abordé l'histoire des sciences. Un document énigmatique par bien des aspects.

— Apparemment, ce qui lui est arrivé l'est aussi.

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