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En revenant à sa chambre, Ben avait deux bonnes raisons d'être satisfait : il allait garder un excellent souvenir de son échange avec West et, sur un autre plan, il s'apercevait que malgré ses contusions, il parvenait finalement à marcher sans trop de difficultés.

Impressionné par l'énergie que son « frère d'armes » mettait à se rétablir, Benjamin comptait l'imiter en commençant par une bonne douche et quelques étirements — cependant sans commune mesure avec ceux dont il avait été témoin. Fort de ces bonnes résolutions, il franchit le pas de sa porte, mais son regard fut aussitôt attiré par un rectangle blanc sur son lit. Une enveloppe, à son nom. « À l'attention de M. Benjamin Horwood. Personnel. » Ben imagina d'abord qu'il pouvait s'agir de son quitus de sortie. Il décacheta le pli et fut surpris de reconnaître le papier ivoire à fines lignes rouges sur lequel le professeur Wheelan avait l'habitude de prendre ses notes. Il s'assit sur son lit.

Rudolf Hess fut l'un des plus proches collaborateurs d'Adolf Hitler depuis les débuts de son ascension. Avant de devenir son adjoint et l'un des hommes forts du régime nazi, il fut d'abord nommé secrétaire particulier de celui qui allait devenir le Führer dès son accession à la direction du Parti national-socialiste. En 1933, Hitler le présente à plusieurs reprises comme son dauphin, et c'est Hess qui l'assiste lors de la signature de l'armistice avec la France le 22 juin 1940 à Rethondes.

C'est par l'entremise de Hess que Hitler découvre le concept d'« espace vital » développé par Karl Haushofer, qui lui servira à justifier l'expansionnisme nazi. Hess et Hitler affichent une relation d'une telle proximité qu'elle provoquera la jalousie d'autres dignitaires tels que Heinrich Himmler ou Joseph Goebbels. Hitler est le parrain du fils unique de Hess né en 1937.

Le 10 mai 1941, à 17 h 45 heure locale, Rudolf Hess décolle de la base d'Augsbourg, en Bavière, à bord d'un chasseur Messerschmitt Bf 110 E-1/N portant le numéro de série 3869. Il pilote seul, vêtu d'un uniforme de la Luftwaffe qui ne correspond ni à son grade ni à son affectation. L'appareil n'est pas équipé de bombes mais de deux réservoirs de carburant supplémentaires portant son rayon d'action à 4 200 kilomètres. Dans la nuit du 10 au 11 mai, à 23 h 09 exactement, Hess saute en parachute et son avion s'écrase en Écosse, à environ douze kilomètres au sud de Glasgow. Dans sa chute, il se brise la cheville. Même si certains prétendent qu'il a raté son atterrissage de fortune, il est plus probable qu'il ait été touché par des tirs de DCA lors de son entrée dans l'espace aérien britannique. Il est capturé par les Anglais, soigné à l'hôpital militaire de Drymen, puis incarcéré dans différents sites dont la tour de Londres, du 17 au 20 mai, à la demande de Churchill, ce qui fera de Hess le dernier prisonnier à y avoir été enfermé.

Plusieurs historiens avancent la thèse selon laquelle Rudolf Hess aurait accompli ce périple à la demande directe d'Hitler, avec mission de négocier une paix séparée avec la Grande-Bretagne pour permettre au Reich de se consacrer plus sereinement à l'offensive allemande sur le front de l'Est. Il a été dit que Hess aurait eu rendez-vous avec le duc d'Hamilton, par l'entremise duquel il comptait obtenir l'oreille des membres du gouvernement anglais. Si Hamilton possédait effectivement une propriété non loin du lieu de l'accident, il était aussi de notoriété publique qu'il ne s'y trouvait pas et qu'il était impossible pour un avion de s'y poser. Aucune escale n'était possible ailleurs qu'à Glasgow, où l'on imagine sans peine l'accueil réservé à un avion de combat allemand en temps de guerre. Si toutefois, et malgré toutes ces réserves, cette prétendue négociation avait été le véritable but de ce voyage secret, elle n'aboutira pas. Rudolf Hess ne rencontrera aucun officiel britannique et passera le reste de la Seconde Guerre mondiale en prison. Peu de temps après l'accident, Hitler se désolidarisera et prétendra que Hess était devenu fou et avait agi sur sa seule initiative, allant même jusqu'à clamer se sentir trahi par « cet acte révoltant de désertion ».

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Hess sera jugé au procès de Nuremberg et reconnu coupable de complot et de crimes contre la paix. Au cours du procès, il se dira fier d'avoir servi Adolf Hitler. Condamné à perpétuité, il sera envoyé à la prison de Spandau, à l'ouest de Berlin, jusqu'à en devenir l'unique et — là encore — le dernier pensionnaire, mais aussi l'un des prisonniers les plus coûteux de l'histoire. Peu après son procès, faisant référence à son vol vers l'Écosse, il déclarera : « Personne ne saura jamais ce qui se préparait. L'avenir de mon Führer était en jeu et j'ai joué le rôle qui m'était assigné. Peu m'importent les procès, peu m'importent les condamnations. J'ai osé. Face à l'histoire, je ne blâme pas Adolf Hitler pour les atrocités commises sur des innocents, car chaque génie renferme en lui un démon. »

Le 17 août 1987, Hess, âgé de quatre-vingt-treize ans, est retrouvé pendu dans la salle de lecture aménagée dans sa prison. Bon nombre d'historiens crédibles et des membres de la famille de Hess remettent en cause la thèse officielle du suicide en pointant de nombreuses incohérences.

Personne à ce jour n'a pu établir les véritables raisons de son voyage secret en Écosse.

Remarque 1 : Si l'avion ne s'était pas écrasé, son autonomie lui permettait de rallier n'importe quelle partie des îles Britanniques et de rentrer ensuite en Allemagne.

Remarque 2 : Si son intention était bien de négocier une paix, pourquoi aucun document n'a-t-il été trouvé sur lui ou dans l'appareil ?

Remarque 3 : En 1985, lors d'un entretien dont plusieurs employés de la prison de Spandau ont été témoins, Hess a affirmé qu'Adolf Hitler et lui étaient restés proches malgré cet événement et que le Führer avait eu l'occasion de lui faire part de sa gratitude et de son amitié. Pourtant, officiellement, les deux hommes ne se sont plus jamais revus ni parlé entre la nuit de la capture de Hess et le suicide de Hitler dans son bunker cerné par les troupes russes, le 30 avril 1945.

Comme une main démoniaque qui saisit pour broyer, Benjamin sentit une douleur lui écraser le crâne. Son cerveau n'avait pas besoin de ce dossier en plus. À elle seule, cette simple feuille engendrait trop de questions. De par son contenu, mais aussi par la façon dont elle avait atterri sur son lit. Quelle place le voyage de Hess pouvait-il avoir dans le puzzle ? Pourquoi cette note avait-elle échappé à son tri ? Qui l'avait déposée là ? Était-ce Jack qui aurait oublié de la lui donner en main propre ? Ben aurait bien aimé pouvoir y croire, cela l'aurait rassuré, mais son instinct le poussait à envisager d'autres pistes. Quelles que soient les explications qui s'échafaudaient, il se sentait en danger.

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