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Comme si le temps avait suspendu son cours, Benjamin et West contemplaient le coffre mortuaire ouvert. Dans une disposition très inhabituelle, l'habitacle comportait deux parties. Une momie reposait dans la plus grande, mais contrairement à ce qui se pratiquait le plus souvent pour des sépultures de cette importance, la dépouille n'était pas enfermée dans un sarcophage secondaire. Le corps desséché reposait à même le fond du réceptacle de pierre, vêtu d'une longue tunique aux manches ne laissant apparaître que les mains et les pieds. La peau parcheminée grise avec des nuances brunes était rétractée sur les os dont on devinait aisément chaque contour. Un masque d'or incrusté de pierreries recouvrait le visage. Un spectaculaire collier composé de petits rectangles dorés assemblés en cotte de mailles s'étalait sur la poitrine creusée. Aux poignets, des bracelets du même métal. La forme de chacun de ces bijoux était atypique. Si les matières étaient ciselées avec un soin virtuose, les lignes plus sobres, associant des motifs inédits dans la culture égyptienne, renvoyaient à des influences étrangères. Malgré la finesse du travail des artisans, le dessin de ces parures semblait destiné à avoir du sens plutôt qu'à impressionner. Comparativement aux trésors égyptiens déjà connus, le résultat pouvait paraître plus primitif mais paradoxalement plus technique.

Le second compartiment était situé aux pieds du cadavre. Il se présentait comme un bloc plein, chacun des objets s'y trouvant étant logé dans un espace spécialement creusé à sa forme.

— West, il faut aller chercher les containers.

— Je refuse de vous laisser ici tout seul avec l'eau qui peut jaillir.

— Nous devons sauver ceci. Allez-y, je vous en prie. Chaque seconde compte. Je m'occupe des photos.

— Fanny m'a demandé de vous ramener vous, pas les antiquités. C'est trop risqué. Si la pièce est submergée, on va déguster.

— Alloa, personne — pas même vous — ne me fera sortir d'ici sans ces artéfacts.

West grogna.

— Fanny a raison, vous êtes plus têtu qu'une bourrique.

— Je vous le confirme. Alors aidez-moi, s'il vous plaît.

De l'eau jusqu'aux mollets, West prit le chemin de la sortie pendant que l'historien entamait le plus étrange inventaire de son existence.

Une fois seul, il se tourna vers la momie et se pencha sur elle.

— Qui es-tu ? lui demanda-t-il. Un prêtre ? Un magicien ? Un voyageur venu d'une contrée lointaine ? Peut-être une femme, si j'en juge par la forme de ton bassin.

Il réalisa quelques prises de vues.

— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas un pilleur, pas même un explorateur. Je ne vais te prendre aucun de tes bijoux. D'ici peu, l'eau sera partout. Tu ne vas pas aimer cela. Je t'en demande pardon mais nous avons besoin de savoir. D'autres avaient prévu de venir et je ne suis pas certain qu'ils t'auraient laissé tes richesses. C'est avec respect que je te demande de m'aider. Permets-moi de prendre le savoir qui pourra nous épargner le pire.

Il recula vers le bas du sarcophage et extirpa un premier objet de son logement. Un tube de pierre contenant un rouleau de papyrus. Un autre se trouvait dans le trou voisin. Ce fut ensuite un étonnant cube de métal couvert de graduations et de tracés géométriques qu'il sortit. Son emballage de toile tissée tomba en poussière.

Un nouveau coup de tonnerre ébranla la salle. Ben se cramponna au tombeau. Le souffle prit cette fois la forme d'une plainte évoquant un monstre agonisant. Sur les murs et au plafond, des fissures se répandirent, lézardant les inestimables fresques. Le disque solaire était désormais fendu. Étrangement, aucune poussière ne tombait par les interstices. L'air sous pression, repoussé dans les entrailles de la terre, emportait avec lui dans sa fuite la moindre particule. Des forces physiques titanesques s'affrontaient dans cette salle. L'eau était encore montée, décidée à conquérir son espace. La poche d'air lui résistait, mais pour combien de temps ? Le flot arrivait désormais à mi-hauteur du sarcophage. Les vagues agitées léchaient les murs, de plus en plus haut. Malgré les secousses, Ben ne se déconcentra pas.

— Je t'en supplie, murmura-t-il à la dépouille. Qui que tu sois, je ferai en sorte d'honorer ta mémoire. Apprends-moi. Dis-moi. Donne-moi.

Il arracha d'autres trésors à leur fourreau de pierre — un petit cylindre gravé, une boîte rectangulaire grise, et une large coupelle de bronze ronde dont l'intérieur était doré.


Benjamin avait maintenant de l'eau jusqu'au bassin. L'apparition d'une lumière venue de l'escalier lui annonça le retour de West. L'homme émergea dans son scaphandre.

— Bordel, ça devient mauvais, Benjamin. On doit filer d'ici.

— Donnez-moi les boîtes, vite. Aidez-moi. Il faut placer tout ceci à l'abri.

En découvrant les deux petits caissons, Ben s'exclama :

— Vous n'avez que ça pour tout emballer ?

— J'en ai déjà bavé. Pas question de faire un autre aller-retour.

— Quelle poisse ! Il va falloir décider de ce que nous pouvons emporter.

Horwood se retrouva à devoir faire un choix entre des pièces inestimables. La pire situation possible. Que décide-t-on d'abandonner ? À quoi est-on prêt à renoncer ? Quels sont les objets qui pourront répondre aux questions ? Ne risquait-il pas de se tromper ?

— Benji, dépêchez-vous !

— Soyez gentil, ne m'appelez pas Benji, je déteste ça.

L'historien ouvrit un container étanche et plaça les objets dedans en les calant à la hâte.

Pensant l'aider, West essaya de retirer le masque d'or de la momie.

— Non, Alloa, n'y touchez pas. Ne prenons que ce qui est à ses pieds.

— Pourquoi le laissez-vous ? Je suis certain que même Fanny n'en a jamais vu d'aussi beau dans aucun musée. Personne n'en fera rien ici.

— Je vous en prie, faites-moi confiance. J'ai donné ma parole. Aidez-moi plutôt à collecter ceci.

Il dégagea d'autres objets, privilégiant ceux dont il n'identifiait pas la nature, espérant ainsi écarter les plus communs.

Un sifflement lugubre commença à se répandre dans la pièce. Par réflexe, Benjamin referma le premier container, que West verrouilla aussitôt. Le son prit de l'ampleur, au point de devenir physiquement douloureux à entendre. Ben récolta encore quelques artéfacts qu'il déposa à la hâte dans la deuxième boîte. Toute la salle se mit à trembler. Il ne fallait plus parler de fissures, mais de brèches dans lesquelles l'eau s'insinuait.

— Benjamin, ça risque d'être violent.

— Maintenant, j'ai peut-être droit à une petite idée noire, qu'en dites-vous ?

— Vous êtes dingue, venez…

— Si jamais je ne m'en sors pas, prenez soin de Fanny. Soyez heureux. Dites-lui de ma part qu'elle a bien deux hommes dans sa vie.

— Vous l'aimez ?

À travers leurs casques, les deux hommes échangèrent un regard. D'une main assurée, Ben ferma le second coffre de transport.

Le mugissement enfla en un cri. La vague les souleva comme des bouchons et les projeta contre la fresque. Dans l'ultime assaut de l'eau, Ben crut voir la momie se redresser. Il lui tendit la main, mais quels qu'aient été ses pouvoirs, elle ne l'aida pas.

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