La voiture de police venue récupérer les deux visiteurs contourna la majestueuse cathédrale d'York pour descendre Goodramgate. Le véhicule s'arrêta devant une haute grille surmontée d'une arche de pierre coincée entre deux alignements de petites maisons anciennes. Un policier en gardait l'accès.
En cette saison, le cœur de la ville historique n'était pas encore envahi par les touristes. Ben sortit le premier, et Karen présenta sa carte à l'agent. Celui-ci autorisa aussitôt le passage.
— L'inspecteur Ashbury vous attend.
La modeste église était invisible depuis la rue, posée dans un jardin encerclé d'habitations mitoyennes qui formaient une véritable enceinte autour d'elle. Aux abords du bâtiment aux origines romanes, entre les quelques arbres aux dimensions limitées, de vieilles stèles funéraires moussues aux inscriptions usées par le temps jalonnaient la pelouse parfaitement tondue.
Sur le seuil de l'édifice, deux hommes discutaient. Le plus jeune d'entre eux accueillit les nouveaux venus :
— Inspecteur Ashbury, North Yorkshire Police. Vous arrivez de Londres ?
— Désolée pour l'attente, s'excusa miss Holt, nous avons fait aussi vite que possible.
— Le corps a été emmené ce matin, mais je ne crois pas que ce soit ce qui vous intéresse le plus. Vos collègues de la scientifique sont encore au travail.
L'inspecteur présenta l'homme avec qui il conversait jusque-là :
— Malcolm Drew, représentant du Church Conservation Trust et spécialiste du lieu.
L'homme était visiblement sous le choc du drame survenu la nuit précédente.
— C'est épouvantable, commença-t-il. John se dédiait corps et âme à cette église. Il habitait là, juste derrière.
Il désigna l'endroit et reprit :
— Il a certainement aperçu leurs lumières. Le crime est impardonnable. J'espère que vous allez arrêter les coupables.
— Nous sommes ici pour cela, répondit Holt.
En pénétrant à l'intérieur de l'église, Ben fit instantanément un bond dans le temps. Le seul éclairage provenait de bougeoirs suspendus ou posés aux angles des travées. Ben identifia des vitraux d'un certain intérêt, sans doute du XVe siècle, mais il remarqua surtout un agencement et un mobilier tout à fait inhabituels. Face à l'autel d'une grande sobriété, la nef était entièrement divisée en petits enclos rectangulaires délimités par des panneaux de bois arrivant à la taille, dans lesquels chaque famille ou chaque groupe devait prendre place lors des célébrations. Pas d'alignements de chaises, pas de bancs, mais des box remarquablement conservés. En avançant, Ben nota que les allées quadrillant l'église étaient toutes dallées de pierres tombales. À l'angle de celle qui partait vers la droite, une silhouette était grossièrement tracée sur le sol, avec de la sciure rougie au niveau de la tête.
— On a découvert son corps ici, indiqua leur guide, bouleversé.
L'allée centrale était encombrée d'un tas de terre. Au pied d'un pilier, dans un box au portillon ouvert, deux hommes en combinaison blanche étaient agenouillés. Ils s'affairaient eux aussi à la lueur de bougies près d'une ouverture dans le sol.
— C'est une petite cave habituellement recouverte d'une trappe verrouillée, expliqua Malcolm Drew. Ils l'ont forcée, se sont glissés dedans et ont creusé.
— Ils n'ont touché à rien d'autre ? demanda Ben.
— Ni au mobilier, ni aux coffres liturgiques, ni au reliquaire, qui pourraient pourtant valoir une belle somme.
— Cette cave est inattendue à cet endroit. À quoi servait-elle ?
— Elle date sans doute des origines du lieu. À vrai dire, nous n'avons aucune certitude quant à son utilité. Elle est citée dans des registres datant de 1316, époque à laquelle William de Langetoft reçut la permission de faire construire les onze maisons de la rue. Nous avons même pensé qu'elle pouvait marquer l'entrée d'un souterrain. Peut-être servait-elle de rangement à l'époque où la sacristie n'était pas encore construite. Ou de cache. Toujours est-il qu'elle n'a jamais été comblée et a même été conservée contre toute logique lorsque le plancher et les box ont été mis en place au XVIIIe siècle.
— Vous ignoriez ce qu'elle contenait ?
— Complètement. Je connais cette église depuis plus de quarante ans et je n'ai vu la trappe ouverte qu'une seule fois. Je ne savais même pas qui en avait la clé. Pour nous, c'était un vieil espace vide. La Holy Trinity date du XIe siècle. C'est un lieu très spécial. Les maisons qui la protègent ont été construites pour que leur loyer finance son entretien et son culte.
— « Les maisons qui la protègent », dites-vous ? Mais contre quoi ?
— En général, les églises sont construites en vue. Celle-ci a délibérément été enfermée derrière des bâtiments, à l'abri. Plus surprenant encore, lors des différents travaux d'aménagement du quartier à travers les siècles, cette église, contrairement à beaucoup d'autres dans le secteur, n'a jamais été supprimée.
— Une explication ?
— On dit que l'endroit était sacré avant même que les Romains ne fondent la ville.
— Jamais de fouilles, ni de travaux de fondations qui auraient pu mettre au jour ce que cherchaient les voleurs ?
— Non. En mille ans d'existence, l'endroit a été agrandi, renforcé, mais rien n'a jamais été détruit de son emplacement d'origine. Maintenant que j'y pense, c'est d'ailleurs étrange, mais la fosse se situe exactement au centre du petit bâtiment qui occupait originellement le site… Toutes les constructions qui ont suivi au fil des siècles ont été édifiées autour.
Un troisième homme en combinaison blanche émergea de la cave. Il écarta son masque anti-poussière et déclara :
— J'ai un indice sur la forme d'un des objets ensevelis.
— C'est-à-dire ? questionna Ben.
— L'empreinte partielle laissée dans la terre révèle un objet pyramidal d'environ quinze centimètres de haut.
— Une idée de la matière ?
— Aucune à ce stade. Il faudra des analyses poussées pour espérer le préciser. Pour le moment, on cartographie et on prélève des échantillons. L'interdiction d'utiliser l'électricité complique tout…
— D'autres éléments ?
— Nous savons que les objets déterrés étaient au nombre de deux. La petite pyramide était enveloppée dans du cuir ou du tissu dont nous avons pu prélever des fibres dans le remblai. Le second objet était certainement un coffret, sans doute en bois, avec des ferrures. À première vue, il est probable que la terre n'avait pas été décompactée autour d'eux depuis plusieurs siècles…
Ben se pencha sur la fosse pour tenter de voir.
— Comment savaient-ils où chercher, et pourquoi sont-ils venus récupérer ces objets maintenant ?
Karen lui murmura à l'oreille :
— Jamais de raisonnements ou de commentaires devant des personnes étrangères au service, s'il vous plaît.
Ben se tourna vers elle, son visage tout proche du sien. Étrange sensation.
— Qu'allez-vous faire ? Me tirer dessus, encore, avec tous ces témoins dont la plupart sont des flics ?
Miss Holt recula sans autre réaction et s'adressa à l'équipe de la police scientifique :
— Merci messieurs, nous attendons vos conclusions dès que possible.