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La nuit était depuis longtemps tombée sur Oxford. Seuls les chants d'une poignée d'étudiants éméchés s'élevaient au loin. Même ivres, ils s'en sortaient plutôt bien et ne pouvaient en aucun cas être tenus pour responsables de la pluie qui rinçait la cité.

Dans un ensemble parfait, deux hommes sautèrent le haut mur de brique qui entourait la propriété. Retombant à l'intérieur avec souplesse, ils se fondirent aussitôt dans les massifs végétaux du fond en ne provoquant que quelques bruissements. Ils avaient choisi une stratégie d'approche évitant les rues, par l'arrière, en se faufilant de parcs en jardins dans la zone résidentielle historique huppée. Deux silhouettes furtives. Depuis quelques jours, ils avaient pris soin de repérer précisément les lieux, utilisant même un drone de moyenne altitude. Comme des champions de course de haies, ils franchissaient les obstacles avec une redoutable efficacité, poursuivant méthodiquement leur percée en direction de la résidence de Marcus Bender.

Les systèmes de surveillance — au demeurant assez rudimentaires — étaient déjà identifiés, et le modèle de coffre-fort ancien John Tann installé dans le salon n'allait poser aucun problème. Ils n'auraient même pas à le forcer. Ces antiquités sont faites pour rassurer les retraités nostalgiques, pas pour résister aux dernières technologies. Le collectionneur dormait au premier étage, seul. Ils avaient pour instruction de le laisser dormir. Si par contre il venait à les surprendre, une option plus radicale était programmée.

Les deux ombres progressaient rapidement en évitant les zones découvertes. Vêtus de treillis militaires et de gilets tactiques, équipés de petits sacs à dos ainsi que de lunettes à vision nocturne, les intrus étaient remarquablement entraînés. Leur course puissante ne comportait aucune hésitation. Même si la mission s'annonçait simple, ils l'abordaient comme une véritable opération en territoire ennemi. Aucune parole échangée. Pas de liaison avec leurs commanditaires.

Lorsque le premier individu atteignit la maison, il s'adossa directement contre le mur, ajusta ses gants et dégaina son arme. Il engagea une balle dans la culasse et replaça le pistolet dans son étui. En voyant approcher son complice, il positionna ses mains en berceau pour lui faire la courte échelle. Sans ralentir l'allure, l'autre s'élança d'un bond pour agripper la corniche de la fenêtre de la cuisine. Avec agilité, il se rétablit sur le rebord puis, à l'aide d'une lame souple et d'un film métallique, neutralisa le capteur d'effraction. Il força l'ouverture et se glissa dans l'office. Son complice atterrit à ses côtés immédiatement après lui.

Ils se positionnèrent dans le couloir. À l'autre extrémité se trouvaient la porte d'entrée donnant sur la rue et l'escalier qui montait à l'étage. Dans la pénombre, sans un bruit, ils pénétrèrent dans le salon et se dirigèrent droit sur le vénérable meuble blindé. Massif et noir, de la taille d'un petit frigo, décoré de motifs dorés d'inspiration victorienne, ce modèle associant serrure mécanique et combinaison simple ressemblait à ceux que possédaient les bijoutiers dans leurs boutiques au début du siècle dernier. Les deux individus s'agenouillèrent dos à dos, l'un allumant une lampe à faisceau restreint pour s'occuper du coffre pendant que l'autre montait la garde, l'arme au poing. Le premier sortit du matériel électronique de son sac ainsi qu'un jeu de passe-partout à longues tiges. D'un geste expert, il plaqua une sonde sur la porte métallique, qui afficha une image radiographique du mécanisme interne sur sa tablette. Il commença à tourner la molette chiffrée. Après avoir tâtonné, il isola les trois positions de rotation et s'attaqua à la serrure à clé. Dans son dos, son binôme, aussi raide qu'un robot, balayait la pièce, prêt à réagir au moindre bruit.

L'homme en charge du coffre mit moins de trois minutes pour se rendre maître du système de verrouillage. Il tourna la poignée et tira à lui l'épais battant. Quelques dossiers, un peu d'argent, diverses boîtes. L'homme ne se laissa pas distraire et repéra immédiatement ce qu'il était venu chercher. Il s'empara d'un pochon de velours dont la palpation le rassura. La forme pyramidale attendue s'y trouvait. Il ouvrit la housse et contrôla de visu, mais prit soin de ne pas toucher l'objet directement.

C'est alors qu'il entendit un choc sourd, suivi d'une série de claquements. Il identifia aussitôt des pas et un tir d'arme équipée de silencieux. Sans céder à la panique, il enfourna le cristal dans son sac à dos tout en agrippant son pistolet.

Il pensait sans doute que son comparse le couvrait encore, mais il se trompait. Une violente décharge électrique le paralysa. Il bascula sur le côté. Son compagnon ne bougeait déjà plus. Les faisceaux de plusieurs lampes firent irruption dans la pièce, des silhouettes casquées portant des tenues pare-balles l'encerclèrent. La mâchoire tremblante, tétanisé par l'impulsion, l'homme devina qu'on lui faisait une injection à l'épaule. Puis il ne sentit plus rien.

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