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Sept sépultures alignées face à la mer dans un décor vertigineux. Sept stèles taillées dans les roches sombres de l'île, dressées contre le vent. Aucun nom, aucune date. Uniquement des initiales.

Denker s'inclina devant celle gravée « N.D. ». Il demeura un moment silencieux avant d'y déposer le petit bouquet de bruyère qu'il avait cueilli sur le chemin. Pour être certain que les fleurs ne s'envolent pas, il les coinça sous une pierre. Lorsqu'il se releva, il ne porta pas la moindre attention aux autres tombes, pas même un regard. Il désigna la pierre la plus à gauche, légèrement inclinée, marquée « A.H. ».

— Je vous avais promis de vous emmener sur la tombe du diable. Je tiens toujours mes promesses.

Devant le monticule herbeux, Horwood sentit le poids de l'histoire descendre sur ses épaules jusqu'à l'écraser. Comment pouvait-il éprouver tellement devant si peu ? Des millions de femmes et d'hommes, de tous âges et de toutes origines, avaient maudit l'individu étendu sous terre à ses pieds. Des centaines d'entre eux, y compris dans ses propres rangs, l'avaient tellement haï qu'ils étaient allés jusqu'à donner leur vie pour essayer de le tuer de leurs mains. Contre lui, les Alliés avaient lancé la plus grande armada de tous les temps. Pour l'écraser et le capturer, Staline avait mobilisé plus de soldats, de blindés et de bombardiers qu'aucune armée auparavant. Pourtant, le coupable reposait là, paradoxalement en paix.

Le monde est davantage façonné par les tyrans que par les saints. C'est une cruelle leçon que l'histoire nous enseigne. De leur vivant, ces despotes peuvent paraître invincibles, mais dès leur trépas, la mort semble prendre un malin plaisir à leur faire payer le culte dont ils aimaient s'entourer. Le sort réservé à leur dépouille n'a rien de commun avec leurs ambitions de grandeur et d'éternité. L'histoire méprise les restes de ceux qui ont piétiné les peuples. Lorsque l'on songe à ce que sont devenus les corps de Néron, Attila, Caligula, Gengis Khan ou Pol Pot… Conspués et exhibés jusqu'à leur putréfaction, honteusement cachés, démembrés, volés, jetés en pâture aux bêtes, empalés… L'imagination des hommes est sans limite lorsqu'il s'agit de se venger, même d'un mort. Ben finit par se dire qu'Adolf Hitler s'en sortait scandaleusement bien. Même reclus sur une île comme Napoléon, il avait pu vieillir et garantir un avenir à sa descendance, alors qu'il avait refusé ces droits fondamentaux à des millions d'autres. Même face à un défunt, y compris sur ces terres vierges, la sérénité peut s'avérer révoltante.

Denker rompit le silence.

— Le professeur m'a fait part des progrès constants de vos échanges. Vous me voyez très satisfait de cette mise en commun de vos connaissances.

— Il m'a dit le plus grand bien de l'écrin que vous avez bâti pour reconstituer l'expérience.

— Vous ne tarderez pas à visiter cette partie du complexe. Il m'aura fallu des années pour en faire une réalité. J'ai constamment dû l'adapter à la lumière des découvertes que nous faisions.

— À la lumière… L'expression semble tout indiquée.

— Le professeur m'a également confié que vous aviez en votre possession cette large coupelle de bronze sur laquelle était déposée la substance réactive.

— Je ne fais que supposer qu'elle avait cette fonction.

— Vos hypothèses de travail se révèlent souvent justes. Vous ne savez vraiment rien de cette matière ?

— Les tests pratiqués sur les traces de résidu n'ont rien donné d'exploitable.

— Vous n'avez même pas réussi à déterminer s'il s'agissait d'une roche, d'un minerai radioactif, d'un métal rare, d'un oxyde ou de quelque chose de ce genre ?

— Les chercheurs ont pu isoler un unique élément qui nous renvoie à une fibre végétale. Je n'ai aucune compétence en chimie, mais le directeur des études m'a assuré qu'il s'agissait d'une erreur d'interprétation due au vieillissement moléculaire.

Denker suivit des yeux un oiseau qui passait.

— Si vous saviez ce que contenait ce bol, me le diriez-vous ?

Horwood sourit. Même si la question le plaçait dans une situation gênante, il était obligé d'admettre que Denker jouait un coup remarquable en la posant.

— Votre question est sans objet puisque je l'ignore.

— Elle nous offre au moins l'occasion d'évoquer votre allégeance.

— Je ne pratique pas l'allégeance. Je n'ai que des loyautés.

— Vis-à-vis de qui ?

— Personne. Je suis comme vous, monsieur Denker. Ce ne sont pas les gens à qui nous devons une obéissance aveugle. Ce sont nos convictions qu'il importe de ne jamais trahir.

L'homme fit quelques pas, pensif.

— En quoi croyez-vous, monsieur Horwood ?

Le dialogue prenait un tour très personnel.

— Je ne suis pas encore assez sage ou assez instruit pour vous répondre. Mais je sais depuis longtemps ce qui m'attire, comme ce qui me révolte.

— Pour quoi êtes-vous prêt à mourir ?

— Qui peut le savoir avant d'y être confronté ? N'est-ce pas pure vanité de le prétendre ? Ceux qui le clament haut et fort agissent rarement comme ils l'ont annoncé. Pour ma part, je préfère de loin savoir pour quoi je veux vivre.

Benjamin désigna la tombe d'Hitler.

— Prenez cet homme, par exemple. Il a marqué l'histoire comme aucun autre. Pensez-vous que lui-même aurait pu répondre à vos questions ? Vis-à-vis de qui était-il loyal ? Pour quoi était-il prêt à mourir ?

Denker salua l'argument. Horwood demanda :

— Avez-vous envisagé de ne jamais découvrir ce qu'était la substance qui a déclenché le Premier Miracle ?

— Comment pourrais-je y renoncer ? La vérité me l'interdit. Cette matière existe. Ce n'est ni une chimère ni un mythe. Son pouvoir a forgé notre inconscient et fait de l'or un trésor. Puisque c'est une réalité, nous devons pouvoir la trouver. Ce n'est qu'une question de temps et de moyens. J'ai les moyens et, depuis peu, le temps joue pour moi.

— Vous êtes fou.

— N'est-ce pas Winston Churchill qui a dit : « La vie nous enseigne que parfois, ce sont les fous qui ont raison » ?

— Puisque vous aimez les pensées d'hommes illustres, j'en ai une à vous soumettre ; en 1924, votre grand-père a écrit : « Ici-bas, le succès est le seul juge de ce qui est bon ou mauvais. » Les rois de Sumer ont estimé que ce qu'ils avaient découvert par hasard était trop dangereux pour être confié aux hommes. Prétendez-vous leur donner tort ?

Denker cessa de regarder les alentours pour faire face à son interlocuteur.

— Vous me rassurez, monsieur Horwood, car si la justesse des actes se mesure à leur succès, je suis sur la bonne voie. J'ai deux bonnes nouvelles à partager avec vous. Les données satellites sont formelles : demain, nous aurons du beau temps.

— Même si cela ne changera pas la face du monde, ironisa Ben, je m'en réjouis. Il faut savoir profiter de ces petits bonheurs que la vie nous offre.

— J'ai aussi le grand plaisir de vous annoncer que nous avons enfin récupéré la quatrième pyramide. Elle est arrivée sur l'île ce matin, livrée par porteur spécial. Plus rien ne s'oppose à la réinvention du Premier Miracle. Un vrai succès, n'est-ce pas ? Sans doute parce que c'est une bonne chose.

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