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Sous le ciel bleu de Johannesburg, environné de cyprès et de massifs de rhododendrons, le Four Seasons Westcliff avait des faux airs de palace de la Riviera méditerranéenne. Son porche à colonnades était typique de l'architecture coloniale de la capitale économique du pays.

Au premier étage de l'établissement, une petite foule se pressait déjà autour des vitrines présentant les lots destinés à la vente, tous issus de la prestigieuse collection Oppenheimer. Malgré la renommée du vendeur et l'importance des biens proposés, ce n'était ni Christie's ni Sotheby's qui organisait l'événement mais Bonhams, plus spécialisé dans les bijoux d'exception et les antiquités.

Bien qu'ayant lieu assez loin des places d'enchères traditionnelles, la vente avait attiré des acheteurs potentiels de tous horizons. Asiatiques, Européens, Américains et fortunes du Golfe admiraient les fabuleuses parures dont les plus belles pierres sortaient tout droit des mines de diamants autrefois contrôlées par la dynastie des vendeurs.

Pendant que les quatre agents se mêlaient aux participants pour mieux les passer au crible, Fanny, Karen et Benjamin faisaient mine de s'intéresser aux lots, mais ils ne s'éloignaient jamais du numéro 17. Selon le catalogue, il s'agissait d'« une curiosité rarissime issue des premières civilisations moyen-orientales, datant d'avant notre ère et constituée d'un cristal de roche monobloc remarquablement poli de forme sphérique, maintenu dans un présentoir de bronze pyramidal orné de symboles merveilleusement gravés issus de différentes cultures, l'ensemble en excellent état ». Répartis autour des différents côtés de la vitrine, tous trois observaient l'objet sous tous les angles possibles. Malgré l'interdiction et la présence de deux gardes, Karen réussit à prendre quelques photos.

— Ton avis ? demanda discrètement Ben à Fanny.

— Étonnant. Le cristal et son support sont parfaitement ajustés. Aucun jeu possible. L'un et l'autre n'ont pas été conçus pour être séparés. Le soin apporté à sa taille ne peut pas être le fruit du hasard. Et que dire de ces signes sur les montants ?

— Un mélange peu orthodoxe.

— Je donnerais cher pour l'avoir à ma disposition quelques jours. Il faudrait le dater et essayer de comprendre le sens de ces gravures.

— Le dater sera compliqué. Le carbone 14 ne nous sera d'aucune utilité, et l'étude de la corrosion ne nous donnera rien de précis pour un âge aussi élevé. En analysant les gravures au microscope électronique, on pourrait peut-être définir avec quels outils elles ont été réalisées et identifier du coup l'époque de sa fabrication…

Le cristal était exposé entre trois autres pièces antiques : une poterie étrusque, un bijou celte et une sculpture en bas-relief sur ivoire d'origine indienne.

— Mesdames et messieurs, si vous le voulez bien, nous allons commencer.

Le commissaire-priseur ne cachait pas sa joie de voir autant de monde présent.

— Prenez place, s'il vous plaît !

Dans le grand salon de réception réaménagé en salle des ventes, ce fut plus d'une soixantaine de personnes qui emplirent rapidement les rangées de chaises.

L'homme monta sur l'estrade et s'installa derrière son pupitre. Il était vêtu comme un maître d'hôtel, gants blancs compris. Il arborait un sourire de commande éclatant et, comme un cheval qui s'ébroue avant de s'élancer, avait le tic de secouer la tête chaque fois qu'il s'apprêtait à s'adresser à l'assemblée.

À sa droite, quatre assistants étaient au téléphone avec les enchérisseurs ne pouvant être présents ou ne voulant pas être vus. Sur la gauche, deux jeunes hommes gantés se tenaient prêts à poser les lots sur un présentoir de velours noir filmé par une petite caméra dont l'image était agrandie sur un écran géant installé en hauteur.

Ben avait pris place au dernier rang, entre Karen et Fanny. L'agent Holt était équipée d'une oreillette pour être en liaison radio avec ses hommes. Horwood lui demanda discrètement :

— Comment va-t-on faire pour ceux qui sont au bout du fil ?

— Ne vous souciez pas de cela. Concentrez-vous sur ceux qui nous entourent.

Les quatre agents étaient répartis dans la salle, trois debout au fond et le dernier assis dans les premiers rangs.

— Chers amis, l'heure est venue. Bienvenue à toutes et à tous pour cette vente exceptionnelle. C'est avec beaucoup d'émotion que nous vous proposons aujourd'hui quelques-uns des biens les plus personnels de la célèbre famille Oppenheimer. Piliers de l'économie sud-africaine, philanthropes, collectionneurs, c'est à leur flamboyante histoire que nous sommes invités à nous associer aujourd'hui. Sans plus attendre, commençons avec le lot numéro 1, une superbe paire de boucles d'oreilles, diamants montés sur platine…

Les bijoux déposés sur le velours apparurent à l'écran dans tout leur éclat. Le commissaire-priseur donna tous les détails possibles, vantant les avantages en termes d'image et de prestige que l'heureux acquéreur pourrait en retirer. Comme souvent dans ce genre de vente, l'enthousiasme de l'assistance était retenu et les enchères courtoises. Les cinq premiers lots, tous des bijoux, trouvèrent preneur sans surenchère acharnée. À chaque fois cependant, très satisfait, le maître de cérémonie frappa le pupitre avec son maillet en ayant dépassé de très loin les mises à prix. Fanny ne lâchait pas le lot numéro 17 des yeux. Pour le moment, il était toujours enfermé dans sa vitrine gardée. Ben observait tout autour de lui, détaillant visages et attitudes, épiant les gestes, cherchant le plus petit indice capable de révéler un participant suspect.

Pendant le temps que dura le début de la vente, les agents et le trio eurent le temps de se faire une idée sur la plupart des spectateurs. Certains cependant résistaient à l'analyse. Les enchères s'affolèrent une première fois, pour un collier réunissant trois pierres, chacune de plus de cinq carats. Un autre temps fort fut le lot numéro 12, le bas-relief en ivoire, qui déchaîna aussi quelques passions. Au terme d'un long duel, ce fut un concurrent au téléphone qui emporta l'œuvre pour six fois sa mise à prix.

Certaines des personnes présentes n'avaient pas encore enchéri une seule fois, signe qu'elles attendaient toujours la pièce pour laquelle elles avaient fait le déplacement. D'autres avaient déjà quitté la salle, ayant obtenu — ou vu leur échapper — le lot convoité.

Karen se focalisa soudain sur un homme seul, assis trois rangs devant elle sur la droite, sur lequel l'un de ses agents venait d'attirer son attention via son oreillette. Remarquant son intérêt, Ben demanda à voix basse :

— Que se passe-t-il ?

— Le type en costume bleu, cheveux châtains. Il s'est enregistré sous le nom de Nicholas Dreyer…

— N.D… S'il chausse du 44, son compte est bon.

— Attendons qu'il s'intéresse au cristal avant de lui sauter dessus.

— Judicieux.

Le commissaire-priseur avala une gorgée d'eau, fit signe à son assistant d'apporter le lot suivant et secoua légèrement la tête comme un pur-sang prêt à jaillir de sa stalle.

— Mesdames et messieurs, c'est maintenant un trésor archéologique que nous vous proposons : le lot numéro 17.

Sur l'écran, le cristal enchâssé dans sa pyramide s'afficha. Éclairée par les spots blancs, la sphère polie apparaissait incroyablement limpide.

— D'une grande rareté, cette véritable relique est un condensé d'art et d'histoire. Elle fut pendant des années posée sur le bureau même de M. Oppenheimer, qui adorait la voir s'illuminer grâce aux rayons du soleil couchant. Si son usage n'a pas pu être précisé, cette œuvre plurimillénaire, grâce à sa forme emblématique, n'en évoque pas moins la magie et les rites de l'Égypte et de ses flamboyants pharaons. Pas uniquement, cependant : si vous étudiez attentivement les gravures extrêmement fines réalisées sur les arêtes protégeant le cristal de quartz admirablement façonné et poli, vous découvrirez des figures venues d'horizons très divers. L'heureux possesseur de cette énigmatique petite merveille pourra rêver toute sa vie de ce qu'elle fut en d'autres temps et bénéficier sans frais supplémentaires des résultats des études que M. Oppenheimer fit réaliser par les plus grands spécialistes d'archéologie à travers le monde. Ces données sont évidemment exclusivement réservées à l'acheteur une fois tous les frais acquittés. Cet antique trésor est mis à prix à 50 000 dollars.

Un étrange silence tomba sur la salle, comme si personne ne voulait être le premier à témoigner de son appétit. Un des assistants au téléphone leva la main pour enchérir au nom d'un correspondant. Tout de suite, un homme assis au deuxième rang se manifesta à son tour. Karen ne quittait pas Nicholas Dreyer des yeux. Un émir entra dans la danse, puis un monsieur âgé d'origine asiatique qui n'avait pas encore participé. En quelques instants, l'enchère dépassa les 100 000 dollars.

Le commissaire-priseur fit pivoter la pièce sous les spots. L'enchérisseur au téléphone ne lâchait pas, ni l'émir, ni l'Asiatique. Lorsque, à son tour, Dreyer leva la main, l'enchère était déjà à plus de 170 000 dollars. Karen se cambra sur son siège. L'homme se retourna pour évaluer ses concurrents et balaya la salle. Karen réussit à détourner le visage assez rapidement pour éviter son regard, mais pas Ben. Les deux hommes s'étaient non seulement vus, mais jaugés. Un deuxième enchérisseur s'annonça au téléphone. Une femme en tailleur beige entra aussi dans la course. Le nombre de candidats ne cessait d'augmenter.

— Nous avons 250 000 au téléphone. Nous arrivons désormais dans les sommes dignes de cette pièce extraordinaire. Qui dit mieux ?

Le commissaire-priseur désigna soudain un candidat proche de Ben. Horwood pivota aussitôt pour découvrir qui venait d'enchérir. Il s'aperçut, stupéfait, que Fanny avait la main levée.

— Mais qu'est-ce que tu fais ?

— Je ne sais pas ce qui m'a pris… J'achète souvent pour le musée. Un réflexe.

Dreyer fixait la jeune femme. L'Asiatique relança l'offre, mais fut rapidement dépassé par les deux enchérisseurs au téléphone, puis par la femme en tailleur. Dreyer se manifesta à nouveau. 320 000. L'émir lâcha l'affaire, mais l'Asiatique et la femme n'étaient pas décidés à renoncer. L'un des assistants au téléphone indiqua que son client abandonnait. Dreyer monta à nouveau. L'Asiatique poussa jusqu'à 400 000, la femme en beige jusqu'à 420 000 et Nicholas Dreyer à 470 000. Mais il ne l'emporta pas. Le marteau du commissaire-priseur s'abattit après l'ultime offre de celui qui avait été le premier à lancer l'escalade par téléphone.

— C'est donc un acheteur souhaitant garder l'anonymat qui emporte le lot numéro 17 pour la superbe somme de 500 000 dollars, représentant dix fois la mise à prix ! Notre record du jour !

Un assistant retira le cristal avec précaution alors que l'autre apportait déjà le lot suivant.

Presque aussitôt, Dreyer quitta la salle. Ben allait se lever pour le suivre, mais Karen le stoppa dans son élan en lui posant la main sur la cuisse.

— Ne bougez pas, monsieur Horwood. Laissez faire les professionnels.

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