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Impressionnée par le monstre d'acier, Karen posa la main sur sa proue finement profilée. Le métal, dont la peinture avait été attaquée par la rouille, était froid et râpeux. Il déposa sur sa paume une poudre d'oxyde brune. La jeune femme caressa la tôle comme la joue d'un cheval sauvage qu'elle aurait tenté d'apprivoiser tout en redoutant ses ruades. Toujours se méfier, même si la bête semble endormie.

Il était facile d'imaginer cette étrave offensive fendant les flots au plus fort des affrontements, les torpilles jaillissant par les bouches latérales comme des chiens d'attaque. La jeune femme n'en revenait pas.

— Qu'est-ce qu'un sous-marin nazi fabrique planqué au fond d'une grotte de l'extrême nord des îles Britanniques ?

L'immense machine de guerre, dont seul le tiers avant émergeait de l'eau, reposait accotée contre la paroi rocheuse. Sa légère inclinaison lui donnait l'allure d'un titan fatigué qui, après avoir livré son dernier combat, aurait cherché un appui. La partie de la coque dégagée par la marée encore basse était constellée de coquillages.

— Karen, vous permettez que j'emprunte votre lampe ?

Benjamin balaya le côté visible du submersible, espérant y découvrir un numéro d'identification, mais avec le temps, ce qui subsistait du marquage n'était plus lisible. Horwood inspecta les parois soudées. Régulièrement, des vagues venues de loin venaient mourir contre le flanc de l'engin. Lorsque l'historien repéra l'échelle de coque, il n'hésita pas.

— Benjamin, faites attention, tout est rongé.

— Il faut que j'en aie le cœur net.

Ben agrippa les barreaux encastrés dans l'épaisseur de la double paroi. Sur le métal rouillé, il remarqua des traces fraîches d'abrasion, comme si quelqu'un l'avait récemment précédé. Il escalada la coque dans toute sa hauteur, se retrouva sur le plateau supérieur du sous-marin et inspecta les abords en prenant garde où il mettait les pieds. À l'avant, il identifia les restes des célèbres lames coupe-filets. Il remonta ensuite vers le kiosque dont subsistaient les tiges périscopiques, même si la plus grande était tordue. Le canon installé au pied était bloqué par la corrosion, pointant un ennemi depuis longtemps victorieux. Dans le faisceau de lumière, la nuit de la grotte livrait ses secrets.

— Montez, Karen, lança Ben. Il faut que vous voyiez ça.

L'écho de sa voix se perdit dans le lointain roulement des vagues. La jeune femme ne tarda pas à le rejoindre. Il l'accueillit en lui tendant la main.

— Ça mérite le coup d'œil.

Sous l'effet du mouvement des flots, la structure oscillait très légèrement. En se tenant aux équipements fragilisés par l'air marin, Benjamin se déplaça sur le monstre penché. Il se dirigea directement vers l'écoutille d'entrée.

Karen se tenait sur ses gardes. Elle se sentait comme une Lilliputienne escaladant un dragon assoupi dont la marée rythmait la respiration. Elle éprouva une sorte de soulagement en voyant Ben incapable de manœuvrer l'écoutille d'accès. Étrangement, il n'avait pas l'air déçu. Il descendit de la tourelle et s'intéressa à une petite trappe qu'il débloqua à grands coups de pied.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— Les U-Boote étaient équipés d'un système de fermeture qui pouvait être déverrouillé de l'extérieur grâce à un mécanisme secret. Ce détail a été ajouté entre la Première et la Seconde Guerre mondiale pour pouvoir porter secours aux équipages qui n'auraient plus été en situation d'ouvrir de l'intérieur.

— Comment savez-vous ça ?

— Ce détail n'était connu que des sous-mariniers allemands, mais après la guerre, la technique a été dévoilée.

L'universitaire s'accroupit, glissa la main à l'intérieur du logement et tira sur la poignée.

— Savez-vous qui m'en a parlé ?

— Un de vos professeurs d'histoire ?

— Pas n'importe lequel.

— Wheelan ?

— Tout juste.

Ben s'acharna sur le mécanisme qui résistait. Le déclic sourd qui résonna dans la grotte lui provoqua un franc sourire. Il remonta jusqu'à l'écoutille et réussit cette fois à l'ouvrir.

— Vous n'avez pas l'intention d'entrer là-dedans ?

— Donnez-moi une bonne raison de ne pas le faire.

— Parce que ce gros machin bouffé de partout est instable, parce que, avec le temps, il est peut-être inondé, parce que votre dossier indique clairement que vous n'êtes pas à jour de vos vaccins, et parce que personne ne sait où nous sommes.

— Karen, il est hors de question que je reparte sans essayer de savoir ce que ce U-Boot fait là.

— Ben, je vous rappelle que le diable habite ici et que vous êtes en train de jouer sur son sous-marin.

— Ni vous ni moi ne sommes des âmes perdues. S'il se pointe, tirez-lui dessus.

Horwood lui fit un clin d'œil et se glissa dans l'ouverture.

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