Adossée au mur du salon, les bras croisés, l'œil rivé sur la trotteuse de sa montre, Karen attendait que Benjamin sorte enfin de la salle de bains. Elle-même était prête depuis plus de dix minutes. Dès qu'elle n'entendit plus l'eau de la douche couler, elle demanda à travers la porte :
— Et s'il s'agissait d'un traquenard ?
— Qui me parle ? Ma conscience ? Un de ces êtres pervers qui rôdent dans des appartements supposés privés ? Ceci dit, vous au moins avez l'obligeance d'attendre derrière la porte, alors que votre patron…
— Benjamin, je ne plaisante pas.
— Un traquenard ? Je n'imagine pas ce brave M. Folker me tendant un piège.
— Pourquoi ne pas vous retrouver à la British Library comme la dernière fois ?
— Il a sûrement ses raisons. Il ne m'a d'ailleurs pas laissé le choix. Le fait qu'il me fixe rendez-vous dans un lieu public devrait vous rassurer.
— Ces derniers temps, rien ne me rassure.
— Je vous comprends.
— Vous, par contre, me semblez en revanche plutôt détendu.
— Sans doute le contrecoup de mes peurs égyptiennes. Après la plongée et la note dans ma chambre, il en faut plus qu'avant pour m'inquiéter.
— Faites attention à ne pas vous habituer au risque. C'est là que l'on relâche sa vigilance et en général… Quel effet vous a fait Folker au téléphone ? Sa voix trahissait-elle de l'anxiété, une hésitation inhabituelle ?
— Je n'ai rien remarqué d'anormal. Il était pressé que nous puissions parler. Il a insisté sur le fait que c'était urgent et très important. De toute façon, nous en aurons très vite le cœur net.
Ben ouvrit soudain la porte et fit sursauter Karen, qui ne s'y attendait pas. En cherchant ses chaussures dans le salon, il acheva de boutonner sa chemise et la glissa dans son pantalon. Il avait opté pour un vêtement qu'il n'avait encore jamais mis. Choisie par Karen, cette chemise était encore plus éloignée de ses goûts que les précédentes. Plutôt près du corps, sombre, avec des motifs géométriques ton sur ton. Il n'était pourtant pas prévu qu'il rencontre Fanny aujourd'hui.
Ben passa en coup de vent devant le miroir.
— Non seulement vous avez l'œil pour ma taille, mais vous avez en plus du goût. J'aime bien. Et vous ?
Déconcertée par le nouvel aplomb de Ben, Karen se trouva pour une fois à court de repartie. Ben trouva enfin ses chaussures.
— Dépêchez-vous, lança-t-il en attrapant son blouson. Nous allons finir par être en retard.
Karen réagit au quart de tour :
— Comment pouvez-vous me sortir ça ?
— Regardez, c'est très simple. Il suffit d'ouvrir la bouche et d'expulser l'air de vos poumons en faisant vibrer vos cordes vocales.
Il fit une démonstration.
— BOU-GEZ-VOUS. Étonnant non ? Je suis certain qu'avec un peu d'entraînement, vous pourrez, vous aussi, y arriver.
— Méfiez-vous, j'ai un flingue, et il est chargé.
— J'aime quand vous me menacez, ça me donne des frissons partout. Vous connaissez le Sky Garden ?