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Sur la pointe des pieds, l'agent Holt avança jusqu'au canapé afin d'y déposer une pile de vêtements neufs. En se faufilant à travers le salon, elle gardait un œil sur Benjamin qui s'était assoupi à la table, le nez dans ses notes. Il dormait profondément, la tête posée sur son bras replié, tenant toujours à la main la feuille qu'il consultait lorsque le sommeil l'avait terrassé.

Trop occupée à le regarder, la jeune femme buta contre le pied de la table basse. Le choc le réveilla.

— Karen ?

— Je ne voulais pas vous déranger. Allez jusqu'à votre lit et rendormez-vous.

— Quelle heure est-il ?

— Presque midi.

Il se redressa en s'étirant.

— Plus l'heure de dormir.

— Vous n'avez pourtant pas l'air très frais. Vous passez vos nuits à travailler.

Benjamin se frictionna vigoureusement le visage et commença à remettre de l'ordre devant lui. Il regroupa ses feuillets puis referma les livres étalés avec cette délicatesse caractéristique des gens qui les respectent et ont l'habitude de les manipuler. Karen hésitait à poser sa question, mais ne put s'en empêcher :

— C'est pour éviter de penser à Fanny que vous vous abrutissez sur vos recherches ?

Horwood reçut l'interrogation comme un seau d'eau froide. Il releva la tête.

— Étrange question… Une rectification s'impose : je ne m'abrutis pas, je m'acharne. Ensuite, merci de vous en inquiéter, mais tout va bien vis-à-vis de Fanny. Elle ne m'empêche pas de dormir. Par contre, l'approfondissement de nos récentes découvertes, si. J'aimerais d'ailleurs vous exposer certaines pistes et entendre votre avis.

— À votre disposition.

— J'attends d'aboutir à quelque chose de structuré avant de vous en faire part. Je m'approche, mais je tâtonne encore. L'impression d'avancer sur des sables mouvants. J'ai parfois peur de me faire engloutir par toutes ces informations. Hier soir encore, sur une des photos que Folker a prises des éléments nacrés du Splendor Solis, j'ai cru déchiffrer une allusion à la cité sumérienne d'Ur, fief d'Ur-Nammu et Shulgi.

— Dois-je m'attendre à ce que nous partions pour des fouilles ?

— Pas pour le moment. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il y ait grand-chose à trouver là-bas. La reconstruction du monumental palais, la ziggurat, séduit certainement davantage les touristes que les archéologues, et la nécropole royale a été régulièrement fouillée depuis le XIXe siècle. De plus, l'instabilité politique de la région complique tout.

— Raison de plus pour vous reposer. Profitez du répit que nos adversaires nous accordent.

— Êtes-vous certaine qu'il s'agisse d'un répit ?

— Que voulez-vous dire ?

— Voilà des jours qu'ils se tiennent tranquilles alors que nous-mêmes avançons à grands pas. Ils nous ont sans doute vus plonger à Abou Simbel et ils sont même certainement au courant que nous avons récupéré l'une des petites pyramides. Ils ne sont pas stupides, ils se doutent que nous sommes en train d'exploiter nos prises. Sachant qu'ils n'ont pas pour habitude de nous abandonner l'initiative, je me demande à quel moment ils vont contre-attaquer.

— Que pensez-vous qu'ils mijotent ?

— Aucune idée, mais je n'ai pas envie que vous ou moi prenions une balle. À moins qu'ils ne nous laissent avancer parce que ça les arrange…

— Comment ça ?

— Après tout, nous jouons un peu leur jeu.

Karen afficha son étonnement.

— Lorsque j'avais envisagé qu'ils puissent se servir de vous, vous m'aviez assurée qu'ils n'y arriveraient jamais.

— Peut-être avais-je tort. Imaginez qu'ils aient tout manigancé pour que l'on mette la main sur le plan du temple. Finalement, nous leur avons épargné une plongée dont ils n'avaient pas forcément les moyens techniques. Avec l'aide des forces spéciales et du matériel de pointe, en risquant notre peau, nous sommes gentiment allés collecter les objets à leur place. Il ne leur reste plus qu'à attendre tranquillement le bon moment pour nous les subtiliser, ce qui est nettement plus simple que d'aller s'en emparer au fond du lac…

— Le directeur serait fier d'un raisonnement aussi retors, mais j'ai du mal à y croire.

— Réfléchissez objectivement. Ne trouvez-vous pas suspect que certaines informations arrivent à point nommé pour nous permettre d'avancer ? D'abord ce fameux plan, puis la note de Wheelan apparue comme par magie dans ma chambre, sans parler des révélations de Robert Folker sur les éléments cachés dans les illustrations…

— On nous manipulerait ?

— La question mérite d'être posée.

— Même Folker ?

— J'aurais tendance à le situer hors du coup, mais le doute est légitime.

— Méfiez-vous, Benjamin, vous allez finir encore plus parano que le boss. D'ailleurs, dans quel but nos adversaires s'amuseraient-ils à tirer les ficelles ? Où tout cela nous mènerait-il ?

— Je l'ignore encore, mais en attendant, j'essaie de ne plus me laisser distraire par ce qu'on nous place devant les yeux pour nous occuper. J'oriente mon attention ailleurs que là où l'on nous incite à le faire.

En s'étirant de plus belle, il se leva et contempla la carte murale. Il demanda soudain :

— Aviez-vous l'habitude d'espionner Wheelan autant que vous le faites avec moi ?

Le ton direct perturba l'agent Holt.

— Votre remarque est injuste. J'ai personnellement demandé à ce que tous les systèmes d'écoute de l'appartement soient désactivés afin de respecter votre intimité.

— J'apprécie le geste, même s'il arrive un peu tard. Je reformule ma question : aviez-vous la possibilité de suivre le professeur à la trace, même lorsque vous n'étiez pas avec lui ?

— Pour sa propre sécurité, oui.

— Y compris pendant son dernier périple ?

— Bien sûr.

— Est-il possible de jeter un œil au relevé des déplacements qui ont précédé son accident ?

— Aucun problème. Qu'espérez-vous y trouver ?

— Je ne sais pas. Peut-être une occasion de partir en balade, vous et moi.

Ben revint vers le centre de la pièce. En apercevant la pile de vêtements, il s'en approcha et passa chemises, polos et autres en revue.

— Vous les avez choisis pour moi ?

— J'ai donné quelques directives, de loin.

— Merci.

Horwood savait que la jeune femme minorait volontairement son implication. Il la sentait pudique sur le sujet, presque fragile.

— Je dois retourner à mon bureau, s'excusa-t-elle en se dirigeant vers la sortie.

En quelques pas, Horwood atteignit la porte avant elle. Il s'appuya nonchalamment sur le montant et d'une voix exagérément suave, déclara :

— Miss Holt, nous n'avons pas eu l'occasion de reparler de notre petite affaire.

— Pardon ?

Ben se délectait de jouer au jeu du chat et de la souris, surtout que pour cette fois, il avait la main.

— Vous ne vous souvenez vraiment pas ?

— Rafraîchissez-moi la mémoire.

— La réunion avec vos grands chefs. Vous m'aviez demandé de les convaincre. Diriez-vous que j'ai été à la hauteur ?

— Sans doute.

— Les ai-je bluffés ?

— Il est vrai que…

— … j'ai été brillant ?

— Dites à votre ego de ne pas trop en faire même si je suis là.

En découvrant le superbe sourire qui se formait sur le visage d'Horwood, Karen comprit où il voulait en venir. Elle tenta d'esquiver :

— Vous n'avez pas pris ce marché ridicule au sérieux ?

— Une promesse est une promesse, miss Holt. « Vous infliger tout ce que je veux. » Ce sont vos propres mots.

Pour s'en sortir, Karen hésita entre plusieurs options : lui tirer une balle dans le genou, s'enfuir à toutes jambes puis démissionner et disparaître pour toujours, ou alors négocier l'immunité contre la non-divulgation d'informations embarrassantes concernant son adolescence. Elle était prête à tout, mais la seule chose qu'elle trouva à lui répondre fut :

— Benjamin, s'il vous plaît, soyez gentil.

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