Assises côte à côte dans le jet qui filait vers l'Afrique du Sud, Fanny et Karen observaient Benjamin endormi, la bouche grande ouverte. Il ronflait légèrement.
— Quand j'étais petite, mon oncle québécois avait un raton laveur qui faisait exactement le même bruit, constata Fanny.
— Moi c'était un chauffe-eau, dans mon premier appartement. Il a fini par exploser.
— J'espère que Benji s'en sortira mieux…
— J'ai l'impression qu'il passe son temps à dormir en avion. Vous confirmez ?
— Pas seulement en avion. Il lui arrivait même de s'écrouler pendant les cours, au milieu de tout le monde, en plein amphi. Comme un gamin qui s'endort dès qu'il est fatigué. Ça me rendait folle !
— La première fois, j'ai eu envie de lui remplir la bouche avec des chocolats.
— Un jour, j'ai pensé le transformer en vase en lui mettant des fleurs dedans !
Les deux femmes éclatèrent de rire, ce qui, sans aller jusqu'à le réveiller, perturba le sommeil de Ben. Il changea de position sans pour autant refermer la bouche ou arrêter de ronfler.
Le trio ne voyageait pas seul. Quatre agents les escortaient pour assister à la vente aux enchères et parer à toute éventualité.
— Votre compagnon n'a pas trop mal réagi au fait que vous désertiez Paris si soudainement ? voulut savoir Holt.
— Il est lui-même très souvent en déplacement pour son travail. Même si ce n'est pas toujours simple à vivre, nous avons l'habitude d'être séparés.
Puis, sur un ton plus léger, Fanny demanda :
— Vous connaissez Benji depuis longtemps ?
— Dix-sept jours. Et vous ?
— Bientôt quinze ans. Nous sommes entrés à l'université la même année. Mais nous n'avons pas été proches immédiatement. Au début, je le trouvais bizarre. Au milieu de tous ces apprentis érudits qui se prenaient très au sérieux, il avait l'air d'un joyeux touriste. Il m'a fallu un peu de temps pour me rendre compte que sous ses faux airs de dilettante, il était doué. Cela ne l'empêche pas d'avoir un côté fou, très casse-cou.
— Vous parlez bien de Benjamin Horwood, ici présent ?
Comme s'il avait compris qu'il était question de lui, l'intéressé émit un grognement. Fanny baissa la voix pour répondre :
— Oui, oui, ce Benjamin-là. Il cache bien son jeu, vous savez.
— Je saurai m'en souvenir.
— Vous vous demandez peut-être si, pendant nos études, il y a eu quelque chose entre lui et moi…
— Selon la formule consacrée : « cette donnée n'entre pas dans le périmètre de la mission qui nous est confiée ». Il s'agit de votre vie privée et cela ne me regarde pas. Mais je dois quand même vous avouer que nos services m'ont préparé des fiches plutôt complètes sur chacun de vous. Je les ai lues avec beaucoup d'attention. En me concentrant, je dois pouvoir me rappeler à quel âge vous avez su faire du vélo ou le prénom de votre premier flirt.
— Charmant…
— Benjamin a réagi en utilisant exactement la même expression. N'ayez aucune crainte, je suis tenue à la plus stricte confidentialité. Je ne lui ai rien dit de ce que j'ai appris sur vous et je resterai muette sur ce que je sais de lui.
— Vous faites un peu peur.
— Ça aussi, il me l'a déjà dit. À titre tout à fait personnel, je profite que nous soyons seules pour vous dire que je souhaite sincèrement que vous et votre compagnon réussissiez à avoir l'enfant que vous espérez.
Fanny ouvrit de grands yeux.
— C'est hyper-désagréable de se retrouver face à une personne dont vous ne savez rien et qui vous déballe toute l'intimité de votre vie !
— Rien ne vous empêche de me poser des questions. Que voulez-vous savoir ?
Fanny resta interdite.
— Les interrogatoires ne sont pas mon truc.
— Moi si.
L'agent Holt désigna Ben du doigt et glissa à sa voisine :
— Il n'y a jamais rien eu entre nous et je ne veux pas d'enfant dans l'immédiat. Tiens, voilà Benji qui se réveille. Il va avoir faim.