Présentation comparée des versions de la mort et de la survie d'Adolf Hitler, par le professeur Ronald Wheelan.
Pour davantage de clarté, nous présenterons les deux scénarios successivement, en commençant par la version officielle, afin que chacun puisse se forger sa propre évaluation de leur crédibilité respective.
Version historique :
Les dernières images connues d'Adolf Hitler ont été réalisées le 20 avril 1945, en fin de matinée, dans la cour de la chancellerie à Berlin, alors qu'il passait en revue un détachement de jeunes recrues nouvellement affectées à la défense de la ville face à l'approche de l'Armée rouge. C'est ce même jour que, selon celle qui fut sa secrétaire particulière pendant douze ans, Christa Schroeder, il organise la fuite de plusieurs de ses proches collaborateurs, dont elle-même. Cela prouve qu'il est pleinement averti de l'inéluctable arrivée des Russes. Pendant les dix jours qui suivront, entre le 20 et le 30 avril 1945, date de son suicide, le Führer ne fera plus aucune apparition officielle ou publique, et plus aucune photo ou film ne seront produits.
Le 30 avril 1945, entre 14 h 30 et 16 heures suivant les différents témoins présents sur les lieux, dans la partie la plus profonde et la plus sécurisée du bunker souterrain qu'il a fait aménager sous la chancellerie et ses jardins, Adolf Hitler met fin à ses jours en compagnie d'Eva Braun, qu'il a épousée deux jours plus tôt. Bien qu'ayant d'abord opté pour un suicide par absorption de cyanure de potassium, poison qu'il aurait testé la veille sur sa chienne Blondi, il se tire une balle dans la tête sur un canapé que l'on photographiera taché de sang, mais sans cadavre. Deux Walther sont retrouvés à ses pieds, un de calibre 7,65 mm près de son pied droit et un de calibre 6,35 près de son pied gauche. Ont notamment assuré avoir vu le cadavre d'Hitler : Heinz Linge (SS-Obersturmbannführer, majordome personnel d'Hitler et chef de son service particulier), Martin Bormann (ancien homme de liaison entre Hitler et Rudolf Hess, secrétaire du Führer depuis 1943), Joseph Goebbels (tout-puissant ministre du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande, entre autres), Hans Krebs (chef de l'état-major de l'armée de terre), Artur Axmann (fondateur du premier groupe des Jeunesses hitlériennes, chef de la jeunesse du Reich), Johann Rattenhuber (SS-Gruppenführer, en charge du détachement d'élite à la disposition spéciale d'Hitler) et Otto Günsche (aide de camp personnel d'Hitler). Aucun cliché n'a officiellement été réalisé des corps sans vie.
Conformément à ses ultimes instructions, sa dépouille, celle de la femme qui n'aura été son épouse que deux jours, et celle de sa chienne seront incinérées dans la cour de la chancellerie pour empêcher qu'elles puissent être récupérées ou exhibées comme trophées par les Russes désormais tout proches.
Lorsque, après avoir percé les ultimes lignes de défense et poches de résistance de Berlin, les troupes de l'Armée rouge envahissent la capitale dans un chaos absolu, leur principal objectif — assigné par Staline lui-même — est de capturer Hitler vivant. Ils prennent la chancellerie cernée de toutes parts et traquent son maître déchu. Ce n'est qu'après des heures de fouilles que les corps calcinés supposés être ceux d'Hitler, d'Eva Braun et de la chienne sont découverts dans un cratère d'obus. Environ treize heures après le coup de feu fatal qu'Hitler se tira dans la tempe droite, Joseph Staline, secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique, est informé de sa mort par un téléphonogramme confidentiel du maréchal Georgi Joukov. Malgré l'absence de preuves indiscutables, la disparition de l'ennemi du monde libre est alors officiellement proclamée et la nouvelle se répand, frustrant ses adversaires et ses victimes de leur légitime désir de le traduire en justice.
Les services secrets soviétiques saisissent les restes calcinés qui, après une série d'examens post mortem dont les Alliés seront écartés, sont enterrés dans le plus grand secret au cœur de la forêt de Rathenow. Quelque temps plus tard, ils sont exhumés sur ordre de Staline qui, doutant de plus en plus de la réalité de la disparition d'Hitler, souhaite faire procéder à de nouveaux examens. À défaut de tests scientifiques et de références fiables à l'époque (type ADN), ces nouvelles autopsies ne donneront pas davantage de résultats concluants. Les soupçons de Staline concernant la fuite secrète d'Hitler sont si grands qu'il ordonne de reprendre toute l'enquête en mobilisant chacune des branches des services de renseignement soviétiques, qui seront mises en concurrence pour provoquer une émulation censée garantir efficacité et rapidité. Un volumineux rapport sera rédigé à son attention exclusive, sous la direction du lieutenant-colonel Fiodor Karpovitch Parparov, notamment basé sur les interrogatoires des proches du Führer capturés, au premier rang desquels Otto Günsche, l'aide de camp personnel d'Hitler, et Heinz Linge, son majordome. Les deux hommes seront placés au secret et interrogés par les services secrets soviétiques, le NKVD, durant plusieurs années. Ce qu'il reste des deux dépouilles du couple Hitler est ensuite placé dans une seule caisse, ensevelie cette fois près d'une cour d'usine à Magdebourg. À nouveau déterrés dans les années 70, les restes seront finalement totalement incinérés et bien qu'aucun témoin direct ne puisse en attester, il est dit que les cendres auraient été jetées aux égouts. Les Russes conserveront toutefois quelques effets personnels du chef nazi, dont un uniforme et un pistolet. Ils exhiberont le tout en 2000, lors d'une exposition comprenant en prime un fragment de crâne troué par balle présenté comme celui d'Hitler — dont des analyses modernes révéleront par la suite qu'il ne s'agissait même pas d'un crâne masculin. De nombreuses voix s'élèveront pour dénoncer la version du suicide, imaginant toutes sortes d'alternatives et de complots. Parmi les moins farfelus, retenons le témoignage qui, à l'appui de photos floues, prétend qu'Hitler aurait réussi à s'enfuir jusqu'en Argentine, où il aurait été repéré par des agents de la CIA à la fin des années 50. Citons aussi cette version étayée par des hasards troublants qui raconte que le Führer aurait été capturé vivant par les Russes, puis placé au secret dans des conditions très avantageuses en échange de certains secrets techniques liés aux inventions nazies dont l'URSS se serait servie lors du développement de son programme spatial.
À ce jour, objectivement, aucune preuve indiscutable n'établit qu'Adolf Hitler s'est bien donné la mort le 30 avril 1945. Le fait est que seuls les témoignages de ses anciens complices accréditent cette thèse. Aucun de ceux d'entre eux qui seront traduits en justice, notamment au procès de Nuremberg, ne le reniera.
Version reconstituée sur la foi des documents en possession de Kord Denker :
Le 17 avril 1945, en début d'après-midi, alors qu'une série de victoires russes vient confirmer la percée décisive de l'Armée rouge vers Berlin, les plus proches collaborateurs d'Hitler, rassemblés dans la salle de réunion de l'extension du bunker de la chancellerie, arrivent à convaincre le Führer qu'il doit s'enfuir pour garantir un avenir au Reich qu'il incarne.
Onze personnes sont dans le secret de cette décision qui prendra le nom d'opération Phénix. Parmi elles, Heinz Linge (son majordome personnel et chef de son service particulier), Martin Bormann (son secrétaire personnel depuis 1943 et ancien homme de liaison entre Hitler et Rudolf Hess), Joseph Goebbels (ministre du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande), Hans Krebs (chef de l'état-major de l'armée de terre), Artur Axmann (chef de la jeunesse du Reich), Johann Rattenhuber (en charge du détachement d'élite à la disposition spéciale d'Hitler) et Otto Günsche (aide de camp personnel d'Hitler).
Le 20 avril, l'opération Phénix est lancée. La date a été choisie pour coïncider avec l'anniversaire d'Hitler, qui fête ses cinquante-six ans ce jour-là. Conformément au plan mis au point, Hitler effectue sa dernière apparition publique sous l'œil des photographes. Dans la soirée, Hitler, sa compagne et son chien sont évacués lors d'une relève de la garde et quittent la ville au sein d'un transport de troupes. Pour la circonstance, le Führer a rasé sa moustache, mais il refuse de revêtir un autre uniforme que le sien. Il est donc recouvert d'un long manteau de cuir SS. Seule concession à son apparence vestimentaire, il accepte de porter le casque. Eva est habillée en officier et tient en laisse le berger allemand femelle de son mari. Escortés par deux gardes d'élite choisis conjointement par Axmann et Rattenhuber, ils circulent dans un fourgon d'assistance médicale piégé qui sera intégré à un convoi de troupes sans qu'aucun commandement soit averti de leur présence. Au même moment, l'un des deux sosies du Führer recrutés prend sa place auprès des derniers fidèles qui jouent le jeu et empêchent quiconque de l'approcher. Officiellement, Hitler est fatigué et réfléchit aux options politiques et militaires qui s'offrent encore à lui. À compter de cette date, plus personne ne parviendra à le joindre ou à le rencontrer à la chancellerie.
Le 23 avril, à 18 h 20, l'amiral Karl Dönitz (commandant en chef de la flotte sous-marine depuis 1939, depuis devenu commandant en chef de la redoutable Kriegsmarine) accueille le Führer sur la base navale de Kiel, implantée sur la mer Baltique et située à environ 200 kilomètres au nord-ouest de Berlin. Dönitz a personnellement sélectionné les équipages qui escorteront Adolf Hitler, Eva Braun et plus de cinquante soldats d'élite du bataillon personnel du Führer jusqu'à une destination où ni les Russes ni les Alliés ne les chercheront jamais. Le soir même, alors que Berlin ne résiste plus que pour un honneur perdu, trois U-Boote appareillent. À 23 h 17, quittant le gigantesque bunker Kilian qui les abrite dans le port, le U-296, commandé par Karl-Heinz Rasch avec quarante-deux hommes d'équipage, disparu des systèmes de surveillance alliés depuis le 12 mars ; le U-396, qui avait déjà effectué des repérages entre les îles Féroé et les Shetland un mois plus tôt, avec un équipage réduit pour accueillir les troupes d'élite d'Hitler ; et le U-398 avec un équipage réduit pour les mêmes raisons, prennent la mer. L'opération est risquée, mais plus aucun autre choix, terrestre ou aérien, n'est possible.
Les trois sous-marins remontent les eaux danoises pour mettre le cap vers l'ouest de l'Écosse, où des complices doivent les ravitailler en ignorant tout de la nature du voyage. Les trois submersibles ne peuvent en effet pas compter sur la base secrète initialement planifiée au large de l'Irlande ou de l'Écosse, base envisagée dès 1941 et pour les repérages de laquelle Rudolf Hess s'envola au soir du 10 avril avant d'être abattu par les défenses antiaériennes, avec les conséquences que l'on sait.
Les trois U-Boote font route à quelques milles nautiques d'écart lorsque le U-396, qui circule entre les deux autres, est accroché par le destroyer anglais HMS St James en transit à l'est des Orcades. Au terme d'une chasse dans laquelle le navire britannique se trouve rejoint par des renforts, le U-396 est coulé. Le U-398, transportant Hitler, est touché. Une fois les navires alliés semés grâce à des plongées profondes simulant leur perte, c'est une incroyable opération de transbordement en haute mer qui s'organise. Hitler, sa femme, son chien ainsi que trente de ses soldats d'élite sont embarqués à bord du seul sous-marin encore intact. Le U-296 reprend alors sa route pendant que le U-398 se sacrifie et part jouer les leurres pour éloigner les patrouilleurs.
Au terme d'un périple à hauts risques, jugeant que le retard pris ne leur permet plus d'arriver au rendez-vous de ravitaillement, le commandant du U-296 décide de positionner son sous-marin non loin des récifs de Papa Stour, où la flotte alliée ne s'aventure pas. Ce répit laissera le temps d'adapter le plan initial désormais compromis et de communiquer les nouvelles instructions. Après deux jours, coupé de tout contact direct avec l'équipe de ravitaillement et privé de soutien logistique, il devient clair que le submersible complètement isolé ne pourra plus reprendre la mer sans courir des risques trop importants. Le commandant décide de cacher le U-Boot dans la plus grande des grottes, où il est échoué volontairement. En attendant l'hypothétique envoi d'un nouveau sous-marin, les soldats d'élite SS prennent le contrôle d'un îlot presque désert situé plus au nord dans l'archipel afin de consolider la position. Les commandos allemands envahissent une ancienne batterie de canons fortifiée, désarmée depuis le débarquement. Ils éliminent et remplacent les quelques gardes et les très rares habitants de l'île. Hitler, sa femme et son chien y seront conduits le 1er mai au matin, alors que le monde a les yeux tournés vers Berlin célébrant la fin du chef suprême du Reich. Tous ceux qui sont censés avoir été témoins de sa mort dans le bunker s'accordent sur une version, même si des différences techniques mettent à mal la cohérence de l'ensemble. L'épouse de Goebbels, Magda, qui a compris la substitution et menace de parler pour garantir sa survie et celle de ses enfants, est tuée avec eux.
En quittant son immense bureau de la chancellerie, Hitler a pris soin d'emporter le registre vert dans lequel sont répertoriées toutes les caches d'or et de valeurs facilement monnayables disséminées par ses services secrets en France, en Suisse, en Allemagne, mais aussi dans plusieurs pays de l'Est. Il a aussi emporté un carnet noir frappé de ses initiales dans lequel personne ne sait ce qu'il consigne depuis des années. Ce n'est pas le seul secret du Führer. Eva Braun Hitler est en effet enceinte. Huit mois plus tard, sur un îlot perdu au nord de l'Écosse dont le couple est désormais incapable de partir, elle donne naissance à un fils, Dietrich Wilhelm Hitler.
Piégé sur son île par la ruine du Reich, privé de moyens opérationnels lui permettant de fuir vers l'Amérique du Sud, Hitler n'aura de cesse de conforter son installation tout en reconstituant ses réseaux. Personne ne le débusquera jamais chez ses pires ennemis, dans l'une des régions les plus inhospitalières qui soit.
Si au fil des années, lui n'a plus la force d'œuvrer pour la résurrection du Reich, certains de ses proches en rêvent, et la lutte pour sa succession est violente. Le 11 décembre 1961, à l'âge de soixante-douze ans, Adolf Hitler meurt des complications d'une bronchopneumonie. Eva lui survivra trois ans. Dietrich Wilhelm a seize ans lorsque son père disparaît. Il ne l'a connu que reclus, et souvent amer. Le jeune homme est envoyé dans les meilleurs collèges anglais sous le nom de Ned Burelein (anagramme de Neue Berlin — « nouveau Berlin », renforcé du D marquant l'initiale de Deutschland, la mère patrie). Il y rencontre Nancy Denker, qu'il épouse avant de l'emmener sur l'île, désormais reconnue comme bien familial ancestral grâce à de faux documents. C'est alors qu'il lui révèle la vérité. Devant les risques de trahison évidents, Nancy ne sera plus autorisée à quitter l'île. Ils auront malgré tout deux enfants, Kord puis Eva, de deux ans sa cadette.
Ben reposa les feuilles sur la table de bois massive et se renversa en soupirant contre le dossier de sa chaise. Sous le choc de sa lecture, il se sentait flotter. Même s'il n'avait pas découvert le sous-marin et l'île, la version de Denker lui serait apparue plus vraisemblable.
Au cœur de l'étrange bibliothèque aménagée dans une ancienne casemate d'artillerie, le passé et le présent se confondaient. Les consignes militaires peintes au pochoir côtoyaient les plus délicates œuvres d'art. En fermant les yeux, Ben se souvint soudain que pour l'un de ses premiers devoirs lors de ses études supérieures d'histoire, un enseignant leur avait demandé quel personnage historique ils auraient aimé rencontrer. Chacun des étudiants devait justifier son choix et dresser la liste des questions qu'il aurait souhaité lui poser. Beaucoup de ses condisciples avaient opté pour « Hitler ». Lui avait répondu « l'homme le plus vieux du monde en 1900, pour partager son regard sur les révolutions et bouleversements en tous genres qu'il avait pu connaître ». Il ignorait le nom de l'homme le plus âgé de l'époque, mais par une surprenante ironie du sort, il était peut-être en mesure de poser les questions de ses camarades au descendant direct de celui qu'il n'avait pas sélectionné.
Assis face à Benjamin, le professeur Wheelan fit glisser une enveloppe matelassée vers lui.
— Voyez par vous-même. Examinez-le avec les plus grands égards, c'est un document historique d'une importance exceptionnelle.
Horwood s'empara de l'enveloppe et en extirpa un épais carnet noir frappé des initiales « A.H. ». Il souleva la couverture râpée aux angles. Les pages étaient couvertes d'une écriture serrée, régulière mais assez peu lisible. L'encre s'était éclaircie avec le temps.
— Hormis son propriétaire, expliqua le vieil universitaire, seuls cinq hommes ont tenu ce carnet entre leurs mains, en comptant nous deux. C'est un carnet auquel Hitler tenait tellement qu'il ne s'en séparait jamais.
Ben parcourut rapidement la succession de petits paragraphes datés et rédigés en allemand. Des notes, des extraits de citations entre guillemets, mais aussi des croquis.
— Il tenait un registre des fouilles archéologiques liées aux reliques ésotériques ?
Wheelan opina et fit signe à Ben de revenir au début.
— Dans les premiers temps, Hitler s'intéressait à toutes sortes de reliques, du Graal à la poussière sacrée des Tables de la Loi, en passant par la lance de Longinus ou le bouclier d'Alexandre le Grand. Pourtant, rapidement, ses notes se sont progressivement concentrées autour de Sumer et de ce que des archéologues indépendants avaient découvert dans la nécropole d'Ur. Leurs travaux l'ont amené à réorienter ses recherches. Les notes font ensuite de plus en plus référence aux fouilles orchestrées par Heinrich Himmler en Irak. Hitler en gardait les résultats sur lui et il semble que même en exil ici, il continuait à y réfléchir pendant de longues heures.
Horwood tourna les feuillets et tomba sur quelques illustrations.
— Il était aussi piètre dessinateur que peintre.
— Ouvrez le document à l'endroit du signet.
Ben s'exécuta.
— En bas à gauche, à la date du 6 octobre 1945. Il est fait mention de la réussite d'un premier percement et d'une visite au cœur des soubassements du temple solaire du roi Niouserrê, en Égypte, sur le site antique d'Abousir, là où une expédition d'archéologues anglo-américains a surpris un groupe d'une quinzaine de soldats SS et de quatre chercheurs allemands qui pratiquaient des fouilles clandestines.
— C'est donc pour Hitler que ces hommes travaillaient, même après la fin de la guerre…
— Vérifiez les dates qui suivent, vous constaterez qu'il a continué à recevoir des rapports de fouilles de différentes équipes envoyées dans de nombreuses régions du monde pendant plus de dix ans. C'est en découvrant le fruit de ces recherches — qui ne se limitent pas à ce carnet — que Kord s'est passionné pour le sujet et a décidé de se lancer à son tour dans cette quête. Il a recruté une équipe et accumulé des indices, des artéfacts, jusqu'à découvrir l'existence du Premier Miracle.
— Si les services de renseignement n'avaient pas remarqué les vols, il aurait continué en secret jusqu'à atteindre son but…
— Il va l'atteindre, Benjamin. Cela ne fait aucun doute. Une page d'histoire est en train de s'écrire.
Incapable de tenir en place, Horwood se leva. Il espérait s'éclaircir les idées et retrouver un peu de sérénité en faisant quelques pas. Il était partagé entre l'exceptionnel intérêt historique du flot d'informations qu'il recevait, et la situation de captivité que lui et Karen subissaient. Devait-il coopérer pour en apprendre davantage, ou chercher à s'enfuir pour faire arrêter l'auteur des vols meurtriers ? Ce dilemme devait ressembler singulièrement à ceux que beaucoup avaient dû affronter durant les heures les plus sombres de la guerre. Personne n'est jamais préparé à ce genre de choix, mais c'est pourtant face à eux que se révèle la véritable nature des hommes.
Il marcha en direction de la grande baie vitrée ouvrant sur l'océan. Elle avait été aménagée dans l'ancienne bouche de la batterie de canons. L'immense meurtrière horizontale perçant le mur de plusieurs mètres d'épaisseur était à présent fermée par une vitre blindée. À travers, Ben pouvait contempler les énormes vagues qui explosaient contre les récifs tout proches. Paradoxalement, il observait ce spectacle saisissant dans un silence absolu. Isolé de l'extérieur par la paroi transparente, il ne percevait rien du tonnerre des flots ou du vent, reléguant ainsi la violence de la nature au rang de superproduction irréelle dont on aurait coupé le son.
Ben se retourna et embrassa du regard ce qui avait été autrefois la salle des canons. Le sol de ciment brut était recouvert d'épais tapis et la coursive de manœuvre supérieure taillée dans le roc avait été reconvertie en galerie garnie de rayonnages. Les murs de béton portaient encore l'empreinte des planches de coffrage. Le bâti coulé laissait parfois affleurer les roches. Le contraste entre ces éléments bruts et les œuvres d'art raffinées accumulées dans chaque recoin était saisissant. Ben remarqua notamment deux superbes taureaux ailés assyriens à tête d'homme. Placés aux extrémités de la coursive à laquelle on accédait par un escalier en colimaçon métallique, ces antiques génies protecteurs au sourire bienveillant semblaient en garder les trésors. Répartis sur les deux niveaux, des statues grecques et romaines, mais aussi des toiles et un petit sarcophage de bois égyptien faisaient de cette salle à l'architecture atypique un véritable cabinet de curiosités.
Wheelan s'approcha de son ancien élève.
— Qu'en pense l'expert du British Museum ?
— Je suis obligé d'admettre que c'est une collection de premier ordre.
— Denker nous propose de travailler avec lui. Vous rendez-vous compte de la chance que cela représente ?
— L'offre est alléchante. Je me sens comme Pinocchio que l'on invite sur l'île des plaisirs pour mieux l'expédier à la mine.
— Vous vous trompez. Kord est sincère. Il n'a rien à cacher. Un manipulateur me laisserait-il libre de consulter la totalité de ses archives, y compris dans ce qu'elles révèlent de plus gênant pour sa famille, sans aucune restriction ?
— Nous sommes ses prisonniers, vous comme moi.
— C'est un homme traqué, qui subit l'héritage de son grand-père comme une malédiction. Si sa véritable identité venait à être connue, il serait condamné avant même d'avoir pu s'exprimer. Personne ne lui accorderait le bénéfice du doute.
— Ce n'est pas son grand-père qui a commis les meurtres et les vols qui lui permettent d'assouvir sa chasse au trésor. Bon sang, professeur, vous avez enquêté sur ces exactions avant moi ! Vous savez de quoi il est capable.
— Je comprends vos réticences. J'en ai eu également, mais je vous assure qu'il s'est toujours montré avec moi d'une parfaite franchise. S'il était aussi malhonnête que vous l'imaginez, il ne me laisserait pas non plus mener les recherches archéologiques en complète autonomie. Il n'est même pas au courant de tout ce que je sais. Il me laisse conduire tout cela à ma guise. Je venais d'arriver lorsqu'il a reçu les résultats des expertises des objets récupérés dans l'église de la Holy Trinity à York. Devant moi, il a demandé à ce qu'on me les remette, sans même les consulter.
— Il avait déjà ce qu'il convoitait : sa troisième pyramide au cristal.
— Sans doute, mais il y avait également des bibelots sacrés, dont des jetons gravés de symboles remontant à l'âge de bronze. Nous y avons aussi découvert ce qui ressemble à une météorite. Ces cailloux tombés du ciel devaient fasciner les anciens.
Ben revint vers sa chaise ; Wheelan l'y précéda.
— Nous sommes au cœur de l'histoire, Benjamin. Ne manquez pas ce rendez-vous. Cette table, par exemple…
Ben considéra le vaste plateau de bois posé sur quatre pieds trapus torsadés.
— … C'est sur elle qu'Hitler a conçu la plupart de ses plans de bataille lorsqu'il travaillait dans son quartier général de la Taverne du Loup. Les chaises proviennent du Berghof, sa résidence secondaire dans les Alpes. Le lustre aussi. Tous ces objets ont été récupérés au fil des années par le père de Kord.
Ben observa la surface de travail sombre, imaginant le Führer y étudiant ses cartes et donnant ses ordres. Hitler s'était probablement assis sur le siège contre lequel lui-même s'appuyait.
— Benjamin, ensemble, nous serons plus forts pour conseiller Kord et l'empêcher de commettre des erreurs. Vous aurez accès aux documents sources. Vous ne le regretterez pas. Ici sont gardées d'inestimables pièces. Les voir ne vous tente pas ? Ne voulez-vous pas les tenir entre vos mains ? Moi qui pensais être un spécialiste de l'alchimie, il me manquait quelques documents essentiels pour savoir de quoi je parlais ! Denker les possède. Parce que son grand-père les collectionnait déjà, et parce que lui-même a su en rassembler d'autres. Vous verrez, c'est extraordinaire.
Benjamin s'assit et se prit la tête entre les mains. Il se posait tellement de questions qu'il en oublia qui avait pu s'installer à cette même place auparavant. Il soupira.
— En d'autres circonstances, j'aurais été honoré de travailler avec vous, professeur. Vous le savez, ce que vous évoquez me passionne.
— Raison de plus ! Je ne vous ai pas choisi au hasard.
— Mais je n'arrive pas à oublier qui vous commandite. Ces recherches sont financées grâce au trésor de guerre des nazis. Et je me demande dans quel but.
— Vous avez questionné Kord, il vous a répondu sans jamais se dérober. Vous commencez à le connaître. Fiez-vous à votre instinct.
— Mon instinct me dicte d'être prudent. Denker a séduit plus d'une personne qui l'ont ensuite payé de leur vie sans qu'il en éprouve le moindre remords. J'ai peur que nous ne soyons que des instruments au service de son plan.
— Il ne parle pas de plan, mais de rêve…
— Comme son grand-père en son temps. Que fera-t-il de ce pouvoir ? Un simple individu peut-il assumer pareille puissance ? Pourrait-il garder sa raison s'il se retrouvait investi de ce savoir ?
— Prenez le temps de réfléchir, Benjamin. Je me doute que vous êtes bouleversé par ce que vous découvrez depuis quelques jours. Faites ce que votre conscience vous dicte. Mais n'oubliez pas de vous demander si vous avez choisi ce métier pour rédiger des notices descriptives destinées à être posées dans des vitrines à côté d'objets du passé témoignant de l'histoire que d'autres ont écrite, ou bien, fort des erreurs et des succès de nos pairs, pour jouer un vrai rôle face à l'avenir.