Méthodiquement, Scott avait aligné le contenu de l’enveloppe sur son bureau : deux dossiers estampillés FBI contenant des rapports d’enquête, quelques pages de notes, des photos et la lettre d’un psychiatre du Walter Reed Army Medical Center de Washington qui se terminait par un numéro de téléphone écrit à la main et souligné. Kinross observait l’ensemble avec perplexité. Il passa une nouvelle fois les clichés en revue. Ils avaient été pris trois jours plus tôt, au sud-est de l’Alaska, dans une école d’électronique où s’était déroulée une tuerie entre élèves. Les victimes étaient en majorité de jeunes hommes. Selon les premiers éléments d’enquête, aucune histoire autre que celles que l’on rencontre classiquement dans les internats. Niveau social plutôt élevé, résultats scolaires très satisfaisants dans l’ensemble. Aucun signe avant-coureur et tout à coup, l’enfer. Dans les couloirs aux murs maculés de sang, des corps allongés sous des bâches. Des scènes de carnage avec en arrière-plan, des policiers dépassés et des légistes consternés.
Scott ferma les yeux. Cette affaire lui rappelait la Sibérie. Instinctivement, il chercha les points communs. Le froid, la sauvagerie que seule la mort arrête. Plus aucune trace d’humanité.
Il relut la lettre à en-tête du plus réputé des hôpitaux militaires américain.
« Cher confrère,
« Je me permets de vous transmettre ces éléments confidentiels afin de vous situer le contexte d’un cas qui nous échappe. Suite à une tuerie inexpliquée survenue en Alaska, l’un des survivants présente des symptômes qui ne nous permettent pas de poser un diagnostic fiable. J’avais eu le plaisir de vous rencontrer au congrès de mars dernier à Stockholm où vous aviez présenté vos méthodes d’analyse avant-gardistes des clichés IRM de patients atteints de démences neurodégénératives. Face au cas qui nous préoccupe, j’ai pensé que vous seriez peut-être moins désarmé que nous. Vous trouverez en annexe mes observations ainsi que les prescriptions déjà validées. Vous constaterez l’adéquation des médications avec les pathologies supposées et pourtant, nous n’obtenons aucun des résultats habituels. Nous pensons à une forme atypique de démence. Votre service possédant une unité d’étude et de soin sans équivalent, nous souhaiterions savoir si vous pouvez accueillir ce jeune homme… »
Scott calcula l’heure qu’il pouvait être à Washington et composa le numéro inscrit au bas de la lettre.
— Docteur Applebaum ?
— Lui-même.
— Docteur Kinross, service d’étude clinique du département neurologie du Royal Hospital d’Édimbourg. J’ai reçu votre envoi.
— Merci de me rappeler aussi vite. Une affaire terrifiante, n’est-ce pas ? Qu’en dites-vous ?
— Difficile d’avoir un avis sur ces seuls éléments. Combien de survivants ?
— L’école était assez isolée. Sur les quarante-cinq élèves et les neuf professeurs, seuls un jeune et quatre encadrants sont encore en vie.
— Vous les avez interrogés ?
— Aucun n’est en état de répondre. Nous sommes pourtant habitués à traiter des soldats ou des rescapés d’attentats, mais ces patients-là nous laissent perplexes. On a diagnostiqué trois démences et deux en stress post-traumatique aggravé.
Intérieurement, Scott nota la similitude grandissante avec le carnage de la mine. Les deux affaires n’avaient eu lieu qu’à quelques jours d’écart…
— Accepteriez-vous de faire des analyses spécifiques sur les rescapés ? demanda-t-il.
— Tout à fait. Que devons-nous chercher ?
— Si vous le voulez bien, mon labo verra cela avec le vôtre. Parlez-moi du jeune homme que vous souhaitez nous confier.
— Il s’appelle Tyrone Lewis, et il constitue une énigme. Ses réactions n’entrent dans aucun des schémas de démence que nous connaissons. Capacités cognitives quasi nulles, il s’alimente par à-coups et semble avoir une peur primaire de tout.
— Quel âge ?
— 21 ans.
— Quand pouvez-vous me l’envoyer ?
— Le temps de faire signer les autorisations de transfert et d’organiser un vol sanitaire. Il peut être chez vous d’ici demain midi. La famille risque d’être difficile à gérer. Ils sont sous le choc. Nous avons jugé qu’il était préférable de les empêcher de voir leur fils pour le moment. D’après la police, c’était une famille sans histoires. Ils ont d’abord cru que l’on cachait la mort de leur enfant, mais il vaut mieux pour eux qu’ils ne le voient pas…
— Je comprends.
— Autre point important, nous avons aussi réussi à éviter les fuites. Les médias ignorent ce qui s’est passé là-bas et c’est préférable tant que nous n’avons pas d’explication. Je compte sur votre discrétion la plus absolue.
— Soyez sans crainte.
— J’ai donc votre accord pour ce transfert ?
— Nous allons faire ce que nous pouvons pour ce jeune homme. Je vous laisse prévenir la famille.
— Entendu. Merci, docteur.