— Le professeur Cooper n’est pas là pour le moment, puis-je prendre un message ?
— Dites-lui simplement que Scott Kinross a téléphoné. Elle peut me rappeler quand elle le souhaite. En ce moment, je suis à l’hôpital nuit et jour.
— C’est noté, monsieur Kinross. Je transmets.
Scott reposa le combiné et demanda à Hold, assis face à lui de l’autre côté de son bureau :
— J’ai faim, pas vous ?
— Bien sûr que si. J’en suis réduit à finir les plateaux-repas de vos malades.
— C’est répugnant.
— Mais garanti sans poison.
— J’en ai plus qu’assez de vivre terré comme un rat.
— Une fois les brevets déposés, ils n’auront plus de prise. Ils vous laisseront tranquille et vous pourrez continuer à travailler.
— Espérons-le.
Hold s’étira. Chez cet homme qui ne se départait jamais d’une certaine retenue, ce geste intime était inhabituel. Scott le nota. Cela faisait maintenant deux jours qu’ils n’avaient pas quitté l’hôpital.
— Vous avez essayé de rappeler le toubib de l’hôpital militaire américain ? demanda Hold.
— Encore ce matin. Il est en déplacement. J’ai jeté un œil sur le Net. On se demande vraiment ce qu’ils fabriquent dans leur base de Gakona. Mais après tout, ce n’est pas mon problème. De toute façon, en ce moment, là n’est pas ma priorité. Entre les menaces et le reste… Je me fiche un peu de leurs mensonges ; mon vrai problème est vis-à-vis du patient. J’aurais voulu pouvoir le sauver. Ma fonction était là.
— Sans vous poser plus de questions ?
— Bien sûr que si, mais pas au point d’oublier mon job. Quand un type arrive aux urgences avec une balle dans le ventre, on ne commence pas par lui demander qui lui a tiré dessus, on le soigne. Si j’avais réussi à comprendre Lewis, tous leurs mensonges n’auraient servi à rien. Lui m’aurait dit la vérité.
— Des ondes haute fréquence auraient pu expliquer son état ?
— Les ondes ont toujours fait partie des suspects favoris dans la recherche de facteurs déclenchants. Malheureusement, il existe peu d’études fiables sur le sujet et on a du mal à en mettre en place. Comme souvent, nous nous heurtons à des conflits d’intérêt. J’ai d’ailleurs repensé à une chose. Vous vous souvenez ? En Sibérie, ils ont dit qu’un nouveau matériel de détection pour le métal avait été livré quelques jours avant le drame.
— Maintenant que vous m’en parlez, ça me revient.
— Je serais curieux de savoir si ce système utilisait des ondes à haute fréquence.
— Vous voulez que je me renseigne ? On doit pouvoir demander ça au général Drachenko.
— Étant donné la similitude des indices entre les survivants de Sibérie et Tyrone Lewis, cela pourrait peut-être nous fournir un début d’explication. La jeune Australienne n’était arrivée que depuis quelques jours, elle n’y avait peut-être pas été exposée…
Le téléphone sonna.
— Docteur, c’est Nancy. Il y a là deux messieurs qui veulent vous voir. Ils disent que c’est urgent.
— J’ai été clair, je ne veux voir personne.
— Je sais mais ils insistent, ils affirment que c’est une question de vie ou de mort.
Scott sentit son mal de tête revenir au galop.
— Ils sont de la police ?
— Je ne crois pas. Ou alors à la retraite.
— Laissez-moi une minute, je vous rappelle.
Kinross était pâle, et pas uniquement à cause de la lumière des stores.
— Que se passe-t-il ? demanda Hold.
— Deux hommes veulent me voir. Ils parlent d’une question de vie ou de mort.
— Pour eux ou pour vous ?
— David, j’aime assez votre capacité à faire de l’humour dans les pires moments, mais ça n’aide pas.
Hold regarda le docteur en plissant les yeux. Il déclara soudain :
— Donnez-moi votre blouse.
— Pour quoi faire ?
— Donnez-la-moi et restez ici. Je vais aller les voir.
Le bras droit de Greenholm se leva. Kinross objecta :
— Et s’ils essaient de vous supprimer ?
Pour toute réponse, Hold souleva son pull et exhiba un Taurus 9 mm.
— Vous êtes armé ? s’offusqua Scott.
— En l’occurrence, je ne le regrette pas et si vous êtes honnête, vous non plus. Alors cette blouse, ça vient ?
Endelbaum et Tersen avaient fini par s’asseoir. Un grand type apparut à l’angle du couloir et avança droit sur eux. Tersen remarqua que sa blouse était trop petite aux manches et aux épaules.
— Bonjour, messieurs, vous avez demandé à me rencontrer ?
Endelbaum se leva le premier :
— Docteur Kinross ?
— Lui-même.
Derrière son comptoir, Nancy leva les yeux au ciel et tourna les talons.
— Notre démarche risque de vous surprendre, déclara le père.
— Dites-moi vite, je suis en pleine visite.
Tersen intervint :
— Vous n’auriez pas un endroit plus calme où nous pourrions parler ? C’est assez personnel… ajouta-t-il à voix basse.
Hold jaugea les deux hommes. Ils semblaient plus mal à l’aise que dangereux.
— Suivez-moi, dit-il. Et expliquez-moi ce qui vous amène.
En ouvrant la porte du bureau, Hold découvrit Kinross qui classait des dossiers de publications sur son étagère. Il fit les présentations, la main discrètement posée sur la crosse de son arme au cas où.
— Docteur Kinross, voici messieurs Endelbaum et Tersen. Je crois que vous devriez les écouter.
Embarrassé, Scott ne savait trop comment se comporter pour accueillir les deux visiteurs qui prenaient conscience de la supercherie.
— La prochaine fois, glissa Tersen à Hold, prenez une blouse à votre taille…
Endelbaum attaqua sans détour :
— Docteur, ce que nous avons à vous dire va sans doute vous étonner, mais c’est une affaire très sérieuse. Nous pensons que vous êtes en grand danger.
Hold s’appuya contre son armoire.
— Si vous saviez le nombre de gens qui me le disent ces derniers temps… Qui êtes-vous ?
— Je coordonne le service de recherche d’un ordre religieux, et M. Tersen ici présent est notre spécialiste pour la documentation.
— Un ordre religieux ?
— Les Jésuites.
Scott haussa les sourcils :
— Les Jésuites… répéta-t-il, dubitatif.
— Oui, docteur, et nous pensons que vos travaux intéressent des gens peu recommandables.
Kinross et Hold échangèrent un regard.
— Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? interrogea Scott.
— C’est assez compliqué, en fait…
Endelbaum ne savait pas comment expliquer la situation sans passer pour un fou. Tersen prit le relais :
— Êtes-vous en train de déposer des brevets au sujet de maladies neurodégénératives ?
— En quoi cela vous regarde-t-il ?
— Si ce n’est pas vous, quelqu’un est peut-être en train de piller vos travaux.
— Depuis quand les Jésuites s’occupent-ils du pillage de brevets ? intervint Hold.
— Ce n’est pas ce qui nous préoccupe au départ, répondit Tersen. Mais nous sommes confrontés à un problème qui nous amène à nous y intéresser.
Endelbaum compléta :
— Et c’est en enquêtant sur notre affaire que nous sommes remontés jusqu’à vous.
Scott se redressa, ironique :
— Intéressant. Vous débarquez un beau matin — des Jésuites donc — et vous me parlez de brevets qui concernent mes travaux. Surprenant, vous ne trouvez pas ?
— Je vous avais prévenu, concéda Endelbaum.
— Pourquoi devrais-je vous répondre ? Pourquoi devrais-je vous faire confiance ? Qui me dit que vous ne prêchez pas le faux pour savoir le vrai ? Vous savez, depuis quelque temps, je suis sollicité par des gens de toutes sortes, prêts à n’importe quoi pour s’associer à nos travaux. Je crois que nous sommes assez grands pour gérer et protéger nos découvertes par nous-mêmes.
— Sans vouloir vous offenser, répliqua Tersen, ce ne sont pas vos travaux qui nous ont poussés à vous contacter, mais la volonté d’empêcher un assassin de frapper à nouveau.
— Un assassin, rien que ça ? Pourquoi n’allez-vous pas expliquer tout ça à la police pour qu’elle l’arrête ?
— Parce que nous ignorons qui il est, mais nous savons à qui il s’attaque.
— Et vous pensez qu’il va s’en prendre à moi ?
— C’est possible. Vous avez le profil de ses victimes. D’où notre question : êtes-vous en train de déposer une série de brevets importants ?
Scott cherchait un avis du côté de Hold lorsque son téléphone se mit à sonner. Il s’empressa de décrocher avec l’espoir que ce soit Jenni. Mais il reconnut aussitôt la voix.
— Bonjour, docteur. Je dois avouer que vous m’avez beaucoup déçu. Nous avons respecté notre part du contrat et malgré cela, vous m’avez pris pour un imbécile. Il va être difficile de passer l’éponge.
— Vous avez tenté de me tuer, grogna Scott.
— Étant donné la situation, il est probable que nous allons réessayer.
— Dans ce cas, vous n’aurez jamais la totalité de mes documents.
— Docteur, j’ai le regret de vous annoncer que nous n’aurons pas besoin de vous pour les obtenir. Et n’allez pas croire que vos horribles stores vous protègent.
L’homme raccrocha. Le front de Scott se couvrit d’une sueur glacée. Hold s’approcha :
— C’étaient eux ?
— Ils ont dû se rendre compte, pour les documents falsifiés.
Kinross chancela. Avant qu’il ait pu ajouter quoi que ce soit, deux balles traversèrent les fenêtres. Hold saisit Scott et le jeta au sol. Tersen poussa Endelbaum derrière la bibliothèque. Une troisième balle transperça la vitre et vint se ficher dans le plateau du bureau. Leurs trajectoires ne laissaient aucun doute. Si Kinross avait été assis à sa place, il aurait été touché. Avec prudence, Tersen passa la tête sur le côté du meuble et découvrit Kinross en état de choc.
— Vous êtes assez grand pour vous protéger tout seul, c’est bien ça ?