Scott se frictionna les épaules pour se réchauffer. Par la fenêtre, il ne voyait que des arbres nus et des buissons blanchis par le givre.
— Ne vous inquiétez pas, fit Endelbaum en vérifiant les radiateurs de la chambre, la température va vite monter. Cette aile n’est pas habitée l’hiver.
En arrivant, Scott avait eu le temps d’apercevoir une élégante demeure XIXe en brique rouge de deux étages, flanquée de deux ailes plus basses. Les multiples toits, les hautes cheminées et les fenêtres à meneaux lui donnaient un petit air de maison de campagne anglaise.
— Où sommes-nous ? demanda-t-il.
— Une propriété privée que l’on nous prête. Ici vous ne risquez rien. Personne ne sait que vous êtes là et vous ne serez pas trahi. Par contre, d’après Tersen, vous ne devez en aucun cas allumer votre téléphone portable.
— Je dois pourtant joindre Jenni au plus vite.
— Vous pourrez le faire dès que nous aurons installé une ligne numérique sécurisée. Les gens qui nous aident s’en occupent. Mais il faut un peu de temps, nous ne sommes pas spécialistes de ce genre d’opération.
— Et mes malades ?
— Pour leur être utile, vous devez d’abord rester en vie. M. Hold est censé vous protéger, n’est-ce pas ?
— Vous ne le croyez pas compétent ?
— Il nous intrigue. Un homme étonnant. Vous semblez lui faire une confiance aveugle sans savoir d’où il sort. Voulez-vous que nous nous intéressions à lui ?
— Inutile. Contrairement à ce que vous pensez, je commence à très bien le connaître.
Scott étudia Endelbaum. L’homme devait avoir entre 50 et 60 ans, les cheveux courts, l’allure nette.
— Vous ne portez pas de soutane ? demanda-t-il.
Le père vint rejoindre le docteur près de la fenêtre.
— Et je ne vais pas vous appeler « mon fils » non plus, répondit-il avec un sourire. Vous savez, comme vous, je dirige un service de recherche. Quand vous vous baladez dehors, vous n’avez pas votre blouse et votre stéthoscope.
— Vous faites partie d’un ordre religieux, moi pas.
— Je fais mon métier, docteur, je le fais avec foi et dans une certaine vision du monde, mais je fais mon métier.
— Nous ne faisons pas le même, répondit Scott. Aucun chercheur digne de ce nom n’oserait repousser la théorie de l’évolution au profit d’un conte de fées autour de la Création. Aucun médecin n’empêcherait une transfusion au nom d’un dogme archaïque et cruel.
Endelbaum secoua la tête doucement et répondit d’une voix calme :
— Il y a de la provocation dans vos propos. Vous traversez une période difficile et je ne vous en tiens pas rigueur. Certaines erreurs sont commises, et les cas dont vous parlez ne sont pas le fait de chercheurs mais de fanatiques. Je suppose que vous n’approuvez pas les expériences douteuses ou les compromissions dont font preuve certains de vos collègues. Ne nous renvoyez donc pas à l’image sensationnelle où cette époque nous enferme. Ceux que vous appelez les religieux ont inventé la plupart des outils dont vous vous servez aujourd’hui, sans parler de la fondation des universités dont beaucoup d’entre vous sortent diplômés. Ils ne l’ont pas fait pour Dieu, ils l’ont fait en son nom pour le salut de tous les hommes, habités par des valeurs que la modernité méprise. Je ne crois pas à l’opposition des laïcs et des croyants, docteur, je suis convaincu que partout des gens se battent pour des causes et d’autres pour des intérêts. N’allez pas croire que les ordres religieux, quels qu’ils soient, existent depuis des siècles uniquement pour cacher que le Christ a eu un enfant ou que les cryptes de Jérusalem renferment la pierre philosophale. Il y aura toujours des imbéciles pour nous coller leurs fantasmes sur le dos. Mais cela ne change rien à une réalité qui leur échappe. Nous existons et nous agissons parce que nous croyons à quelque chose. C’est aussi votre cas, je crois.
Scott regarda vers l’extérieur pour éviter d’affronter le regard trop serein d’Endelbaum.
— Pourquoi nous aidez-vous ? demanda-t-il.
— Pourquoi soignez-vous les gens ? répliqua le père.
Scott baissa la garde :
— Je suis désolé.
— Ne vous en faites pas. Je fais partie d’un ordre qui a été interdit, pourchassé, décrié. Je crois savoir ce que vous ressentez.
— Dans votre service de recherche, vous travaillez aussi sur la maladie d’Alzheimer ?
— Pas uniquement, nous avons une approche plus globale. Vous devriez en parler avec Thomas, le jeune frère qui est à l’origine de cette affaire. Il se passionne pour la compréhension des différentes formes de démence. Il sera avec nous demain soir.
— Nous nous ressemblons donc un peu.
— Pas tout à fait, docteur. Ceux qui, à travers les siècles, nous ont condamnés ne nous ont jamais compris. Mais nous sommes toujours là. Vous êtes dans la situation, hélas trop classique, d’un individu normal qui a découvert quelque chose qui ne l’est pas. Des puissances qui nous dépassent vous harcèlent parce qu’elles veulent un savoir que vous possédez. La plupart de ceux qui sont dans votre cas finissent par céder. Jusqu’où tiendrez-vous ?