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— C’est épouvantable… frissonna Thomas en refermant le rapport de recherche.

À l’autre bout de la table, Kinross, serein, regardait fumer une boule d’encens sur des charbons. Que Schenkel se prenne la tête dans les mains, catastrophé, après avoir lu ses projections sur la maladie d’Alzheimer ne le perturbait pas outre mesure. Des yeux, il suivait les volutes de fumée s’élevant dans la pénombre de la chambre. Il respira jusqu’à saturer ses poumons de l’odeur particulière.

— À présent, vous savez, fit-il simplement. Voilà pourquoi nous aurons besoin de tout le monde pour chercher la solution.

Le jeune frère ne tenait pas en place.

— Mais comment pouvez-vous rester aussi calme ?

— Parce que Jenni et moi vivons avec cet indice depuis des mois. Nous avons eu notre période de panique, à tour de rôle d’ailleurs, mais depuis, je me suis fait tirer dessus, on a essayé de m’empoisonner et encore, j’en oublie.

— Me permettrez-vous d’utiliser cet indice pour évaluer Devdan ?

— Dès que les brevets seront validés, Thomas, vous pourrez utiliser notre découverte comme bon vous semble, sauf pour la vendre.

Schenkel ouvrit à nouveau le rapport et feuilleta rapidement jusqu’à une page de tableau :

— Tous ces basculements dont vous parlez, vous en avez été témoin ?

— Tous sauf trois.

— Une fois, j’ai eu le cas d’un homme qui devait avoir une cinquantaine d’années, un Italien. Il ne réussissait plus aucun des tests mais il avait encore quelque chose dans le regard. Je sais, ce n’est pas très rationnel. J’essayais de passer du temps avec lui, il ne me reconnaissait pas mais il avait toujours une réaction différente avec moi, douce, comme s’il identifiait quelque chose. Je ne sais pas quoi. Et puis, un jour, je ne l’oublierai jamais, c’était un vendredi en fin de matinée, j’ai essayé de le faire travailler. J’ai fait une courte pause pour aller chercher à manger et quand je suis revenu, son regard… Je ne sais pas comment expliquer…

— Il n’y avait plus ce petit quelque chose que vous sentiez.

— Vous avez déjà vécu ça ?

— Presque à chaque fois.

— Je crois que c’est là qu’il a « basculé », comme vous dites.

— Il y a de fortes chances. Et vous ? Comment avez-vous découvert que c’était l’encens l’autre élément commun à toutes les religions ?

Thomas essaya de mettre ses idées en ordre.

— À l’époque, la séance de travail du groupe se déroulait à Madrid. Pour essayer de comprendre ce que le lieu et la démarche d’introspection représentaient pour les fidèles, je passais tout mon temps libre dans les églises, les mosquées, les synagogues, et j’avais même trouvé un temple. J’y ai passé des heures ! J’observais l’architecture, les gens, leurs gestes, et un soir, dans ma chambre, en repensant à ces moments particuliers, je me suis aperçu que partout, quel que soit le culte, il y avait toujours cette petite fumée, ce parfum. Alors, j’ai fait des recherches. Les Assyriens, les Égyptiens, les Mayas et toutes les grandes religions monothéistes l’utilisent. La Bible en parle plus de cent fois et donne même la composition précise ; son nom égyptien signifie « ce qui rend divin ». C’est un produit fait à base de résine issue d’un arbre que l’on trouve au Moyen-Orient et en Afrique. Je me suis alors demandé pourquoi tous ces cultes l’avaient adopté. Simple code olfactif ou produit aux effets inconnus de nous ?

L’encens se consumait. À travers la fumée, Kinross regardait Thomas.

— Vous en avez toujours avec vous ? demanda le docteur.

— Toujours. C’est un frère d’Orient qui me l’envoie. De l’encens blanc, le meilleur, recueilli en automne sur des incisions faites à un Boswellia sacra pendant l’été.

— Croyez-vous que la science d’aujourd’hui soit assez avancée pour expliquer l’emploi de cette substance et ses effets ? Pourquoi ce produit a-t-il été choisi par tous voilà des millénaires ? Peut-être parce que toutes les religions sont nées au même endroit. Ou peut-être parce que l’encens provoque un effet particulier.

— Vous voulez toujours tout expliquer. Parfois c’est impossible, parce que nous avons nos limites, mais on peut quand même tenir compte d’une réalité même si elle n’est pas « scientifiquement » prouvée.

— Je m’en rends compte chaque jour un peu plus. Le pouvoir de la musique, la différence entre un sentiment et une réflexion, l’environnement dans lequel nous vivons… La maladie d’Alzheimer nous place face à cela. Tellement de pistes. Tellement de questions. Les réponses auraient bien moins d’importance si notre vie n’en dépendait pas. Thomas, croyez-vous à la chance ?

— Je n’en ai pas besoin, docteur. Je crois. C’est tout.

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