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Les doigts de la jeune femme couraient dans les cheveux. Avec des gestes experts, elle rectifiait chaque mèche à coups de ciseaux chirurgicaux. Le vieil homme ne bougeait pas. Desmond observait la scène avec attention, se décalant chaque fois que la coiffeuse risquait de lui masquer ses gestes. Ce n’était pas tant la coupe qui le préoccupait que la sécurité de son maître. Bien que la demoiselle ait toujours parfaitement effectué son travail, la moindre coupure aurait pu avoir des conséquences désastreuses.

— Et voilà, fit-elle en relevant son outil.

À l’aide d’un gros pinceau, elle élimina soigneusement les derniers cheveux coupés et recula. L’homme tourna la tête vers son majordome.

— Un miroir, s’il vous plaît.

Desmond fut tellement surpris qu’il répéta pour être sûr d’avoir bien compris :

— Vous voulez un miroir ?

— Vous en avez bien un quelque part ?

— Bien sûr, mais…

D’un mouvement de la main, l’homme l’arrêta. D’un autre, il fit signe à la jeune femme de prendre congé. Desmond inspecta les placards de la salle de soins. Il finit par dénicher une glace qu’il s’empressa de nettoyer avec une serviette avant de la présenter. Cela faisait des années que le vieil homme ne souhaitait plus se voir. D’habitude, il détestait cela.

— C’est une nouvelle vie qui commence, Desmond. Sans doute mon pari le plus risqué.

— Êtes-vous certain de vouloir le tenter ?

L’homme étira ses joues, éprouvant de l’index la fermeté de la peau. Ensuite, il lissa ses sourcils avec un sourire amusé, comme s’il se découvrait.

— Jamais je ne me suis senti aussi vivant. La semaine dernière, j’ai pris la décision la plus importante de toute ma carrière, et aujourd’hui, je vais prendre la plus importante de ma vie.

L’homme se leva de son siège. Sans quitter son reflet des yeux, il tourna sur lui-même dans son peignoir blanc.

— Comment me trouvez-vous ?

— Votre détermination vous donne de l’énergie.

— Il va m’en falloir, Desmond. Ça ne va pas être facile.

Il retira son peignoir et avança, nu, jusqu’à une large cabine de douche installée dans un angle.

— Vous me désapprouvez ? lança l’homme en ouvrant l’eau.

— Je me demande si toutes ces prises de risque au même moment ne sont pas excessives. La moindre fuite peut vous mettre en danger.

L’homme se rinçait sous la douche.

— Ma nouvelle vie est à ce prix et je ne vois pas tout à fait la situation comme vous. N’oubliez jamais que l’argent achète tout. Au moindre signe préoccupant, nous nous en sortirons grâce à quelques millions. De toute façon, vous assisterez à tout. Si vous pensez que je commets une erreur, je peux compter sur votre franchise ?

— J’ai toujours été honnête, monsieur.

— Je le sais. Et j’y tiens.

Il coupa l’eau. Desmond lui tendit un drap de bain spécialement tissé pour son usage. Beaucoup plus épais et dans un coton non traité. L’homme soupira de bien-être.

— Personne n’a jamais eu l’opportunité d’accomplir ce qui est aujourd’hui à ma portée. Peser sur le monde, le sauver face à l’histoire et retrouver une seconde jeunesse pour moi-même.

Pendant qu’il enfilait ses sous-vêtements, Desmond consulta la pendule digitale.

— Vous n’aurez pas le temps de faire votre séance d’oxygénation.

— Peu importe, nous la ferons plus tard.

— Ne négligez pas vos soins.

— Vous avez raison. En attendant, passez-moi mon costume.

Desmond ouvrit un placard et sortit un cintre. Il déchira la housse plastique et tendit à son maître sa chemise blanche et son complet noir.

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