81

— Rien ne vous oblige à rester enfermée, Jenni. Si vous me promettez…

— Laissez-moi partir.

— C’est impossible, vous en êtes consciente. Vous en savez beaucoup trop sur moi. Soit vous êtes à mes côtés, soit vous êtes contre moi.

— Je promets de ne rien dire si vous faites ce que nous avions convenu.

— Au sujet des brevets ?

— Laissez les chercheurs se servir de notre indice, et je vous donne ma parole que j’oublierai tout.

Brestlow eut un sourire sincère.

— Chère Jenni, je ne doute pas de votre parole, mais réfléchissez à la situation. Elle n’est acceptable ni pour vous ni pour moi. Vous êtes en train de sacrifier tout ce que je vous offre pour laisser une chance à des gens qui s’en moquent. Une fois encore, je vous le demande : ceux pour qui vous vous battez en valent-ils la peine ? Ils gâchent leur santé, ils détruisent leur monde en l’épuisant. Cela n’aurait aucune importance si leurs actes n’engageaient qu’eux, mais ils imposent leur folie à tous. Je ne veux pas les subir. Très bientôt, ils anéantiront ce monde qui est aussi le mien. Vos enfants ont droit à une Terre en état de marche.

— Taisez-vous. Si vous espérez me convaincre, vous perdez votre temps.

— Que vous le vouliez ou non, la vérité est là. Elle ne nous renvoie pas une image glorieuse, mais les faits sont indiscutables. La masse grouillante des humains détruit tout dès qu’elle n’est pas occupée à se détruire elle-même. Les peuples pillent la nature, affament ceux qu’ils dominent en attendant de subir le même sort face à de plus puissants qu’eux. Ils veulent tout mais ne savent même plus quoi. Des colliers dorés, des voitures rouges, des avions. Ils amassent sans même y croire encore. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’ils ont trop de tout. Parce que le temps d’une vie est devenu trop long pour goûter au plaisir de cette existence sans se rendre compte que tout finit par pourrir. Je vous le dis, Jenni, les prolonger n’est pas un cadeau.

— Je vous plains. Vous vivez dans votre tour d’ivoire et vous ne savez rien de ce que sont les gens. Vous vous attachez à des idées parce que vous ne tenez à personne.

— Justement, Jenni, loin de me laisser attendrir par les cas particuliers, je prends la mesure du troupeau. Ensemble, nous pourrons aider ceux qui en valent la peine.

— Monsieur Brestlow, je vous en supplie, laissez-moi repartir avec les brevets et vous n’entendrez plus jamais parler de moi.

— Bien sûr que si, Jenni. Vous serez mondialement célébrés comme les découvreurs qui ont permis de vaincre le plus grand fléau auquel l’humanité ait été confrontée. Pourtant, à mes yeux, vous serez coupable d’avoir rendu possible la survie de milliers, de millions d’êtres qui, comme des termites, vont continuer à ronger le tas de bois sur lequel j’habite aussi.

— Pendant des jours, je vous ai écouté, j’ai réfléchi avec vous. Je sais que vous êtes intelligent, Clifford. Ce n’est pas le pouvoir qui fait l’homme, mais la façon dont il s’en sert. Vous prétendez m’aimer. Mais je ne vaux pas mieux que ceux que vous condamnez. Si vous voulez tellement partager avec moi, pourquoi ne pas le faire aussi avec eux ? Ils en valent la peine. Ce n’est pas en regardant les livres d’histoire ou des statistiques que vous comprendrez ce que sont les humains, c’est en les voyant vivre de près, en croisant leurs regards, en les prenant dans vos bras. Quelle espèce mériterait de survivre si pour cela elle ne devait compter que des individus parfaits ?

— Ceux de votre qualité n’ont pas de souci à se faire.

— Qui sommes-nous pour juger ? Qui peut trancher ? Vous n’êtes pas Dieu, Clifford. Vous êtes le diable.

— Vous devriez quand même m’écouter, Jenni. Le diable a parfois raison.

— Vous finirez seul contre le monde entier. Si je ne trahis pas vos secrets, d’autres finiront par les découvrir. En ce moment même, je suis certaine que Scott me cherche.

— Croyez-moi, je le cherche aussi. Et je suis prêt à parier ma fortune que c’est moi qui vais mettre la main dessus le premier.

Загрузка...