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En atteignant l’extrémité du bassin, Jenni prit une longue inspiration et replongea en sens inverse. Elle n’avait pas nagé ainsi depuis ses études, lorsqu’elle était inscrite au club de natation de son internat. Le glissement de l’eau sur sa peau, ses muscles qui fonctionnaient avec souplesse et régularité lui procuraient un rare sentiment de détente et de liberté. Seule dans la piscine de la résidence, elle enchaînait les longueurs. Clifford l’avait convaincue de venir s’y délasser après une séance de travail particulièrement intense, deux jours plus tôt. Elle avait alors découvert que la piscine était aménagée dans une grotte naturelle située sous la propriété. L’éclairage y était tamisé et contrairement à ce qui se fait d’habitude, le bassin était en inox, ce qui donnait à l’eau de beaux reflets irisés. Depuis, Jenni avait pris l’habitude d’y descendre le plus souvent possible. Dans le silence rythmé par ses brasses et le clapotis de l’eau, elle réussissait enfin à réfléchir sereinement.

Elle sortit du bassin et s’enroula dans sa serviette, tordant ses cheveux pour les essorer. Elle remonta à sa chambre. Il lui restait juste assez de temps pour se préparer pour une nouvelle séance de travail.

À l’heure convenue, Jenni se présenta devant la porte du bureau de Clifford Brestlow. Le panneau s’écarta et elle le trouva assis devant son bureau d’images.

— Entrez ! J’étais justement en train de travailler sur votre dossier.

Elle prit place près de lui.

— Sur le module de standardisation ?

— Sans votre expertise ? Je m’en garderais bien. Non, mes services m’informent que nos premières demandes de dépôts ont déjà fait réagir des acheteurs potentiels.

— Des investisseurs ?

— Trois laboratoires souhaitent enchérir. Bien entendu, nous leur avons répondu que le projet était autofinancé et ne serait pas mis sur le marché.

— J’imagine que ce genre d’intérêt est habituel.

— Pas aussi vite, et pas à ce point.

Jenni ouvrit son porte-documents et présenta la synthèse qui lui avait donné tant de mal.

— J’ai essayé d’être la plus précise possible. À vous de jouer l’avocat du diable.

— Je vais lire en cherchant les failles…

— Et je vous attends de pied ferme, répondit-elle sur le même ton faussement menaçant.

Brestlow prit les feuilles et les posa à l’écart. Il se tourna vers elle et croisa les doigts :

— Bien que cela n’ait pas de rapport direct avec les brevets, j’ai lu vos notes sur les accompagnants. Ceux qui côtoient les malades vous touchent beaucoup.

— Ils me bouleversent. Chaque malade, sans le vouloir, provoque un véritable séisme parmi ses proches. Trop peu de choses sont faites pour eux.

— Puis-je me permettre une question personnelle ?

— Je vous en prie.

— Vous vous démenez contre cette maladie. Vous sacrifiez une grande part de votre vie privée, vous renoncez à faire fortune au nom de l’intérêt général. J’admire cela, Jenni, sincèrement, mais ne vous arrive-t-il jamais d’avoir des doutes ?

— Face à l’ampleur de la tâche, nous doutons de nos moyens, nous nous demandons s’ils seront suffisants — surtout avec l’urgence qui se profile. Mais sur le bien-fondé de notre mission, aucune hésitation. Si j’étais atteinte de ce genre de mal, je serais bien contente que des gens se battent pour moi. Je crois même que cette idée me ferait encore plus de bien que tous les médicaments du monde.

— Vous êtes étonnante. Je travaille rarement sur des sujets de santé publique avec une approche philanthropique. Dans l’industrie, la recherche du profit est une constante.

— Dans la santé aussi, mais parfois, les choses deviennent trop graves et il faut abandonner l’idée d’un marché commercial pour d’autres valeurs. Je crois que face à la maladie d’Alzheimer, c’est une nécessité vitale.

— Votre noblesse d’âme honore le genre humain.

Brestlow était fasciné par cette jeune femme en apparence si douce qui faisait preuve d’une telle conviction. Il demanda :

— Vous n’avez jamais l’impression d’être seule ?

— Non, je fais équipe avec Scott.

— Je pensais plutôt aux structures de santé d’aujourd’hui.

— Je ne suis pas en prise directe avec. Le docteur Kinross vous en parlerait mieux que moi. Lui se frotte au système chaque jour.

— Je trouve injuste que l’on ne vous aide pas autant que vous aidez les autres.

Jenni baissa les yeux. Clifford ajouta :

— Depuis nos premières conversations, j’ai le sentiment que cela vous pèse. Savez-vous qu’il existe des moyens de vous relaxer et d’être plus efficace ?

Jenni se sentit soudain mal à l’aise. Brestlow perçut son trouble. Son visage s’éclaira :

— Chère Jenni, pardon, je me suis mal exprimé ! Vous ne pensiez pas que j’allais vous proposer une drogue ?

Jenni le regarda dans les yeux :

— Vous parliez sans doute de camomille…

Brestlow eut un sourire renversant :

— Presque. Mais ça ne se boit pas. Jenni, savez-vous garder un secret ?

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