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— Vous avez réussi à dormir ? demanda Kinross en approchant sa chaise.

Lauren évita son regard et répondit :

— Pas vraiment.

L’infirmière avait des cernes et ne tenait pas en place sur son siège. Elle se comportait comme si elle attendait la première occasion de fuir.

— Je vous connais depuis longtemps, Lauren. Je sais que vous êtes une jeune femme sérieuse. Vous aimez votre métier et les patients vous apprécient.

Elle attendait la suite.

— Je souhaite vous parler en ami. Il n’est pas question de vous sermonner ou de vous punir, vous êtes déjà assez perturbée comme ça.

— Je vais demander ma mutation. Ce n’est pas à cause de vous, docteur, mais vous comprenez…

— Si vous me permettez un conseil, ne réagissez pas trop vite. Prenez quelques jours, quelques semaines si vous le souhaitez. Laissez-vous le temps.

— Je me sens tellement mal. Pete est mort. La police m’a posé beaucoup de questions. J’ai l’impression que Todd m’en veut, et il y a le patient aussi…

— Justement, Lauren, j’aimerais que nous en parlions. Je me doute que c’est difficile, mais c’est important.

Inconsciemment, la jeune femme se replia sur elle-même en position défensive. Scott continua :

— Dès son arrivée, Tyrone Lewis ne vous a pas laissée indifférente.

Lauren se crispa un peu plus, mais le médecin choisit de poursuivre.

— Ce n’est pas un problème, Lauren. Vous êtes une jeune femme très affective et c’est un beau garçon. Je n’ai pas à m’immiscer dans ce que vous avez ressenti. Cela ne regarde que vous. Par contre, il y a certains faits que vous ignorez et qui font de Tyrone quelqu’un d’extrêmement important pour moi et les recherches que nous menons ici.

Pour la première fois, Lauren le regarda dans les yeux. Il expliqua :

— Tyrone Lewis est rescapé d’une tuerie en Alaska. Il est l’unique témoin par lequel nous avons une chance de découvrir ce qui s’est réellement passé là-bas. Aussi ce que je vais vous demander est-il essentiel : vous a-t-il parlé ?

L’infirmière secoua la tête.

— Il n’a absolument rien dit ?

Elle confirma plus énergiquement encore. Même si Lauren avait vu Tyrone briser l’infirmier comme une brindille, elle ne pouvait s’empêcher de le considérer comme une victime. Ce paradoxe ajoutait encore à son malaise. La terreur et la honte la torturaient, mais la fascination l’emportait.

— Entre vous et Tyrone Lewis, il s’est passé quelque chose que je dois absolument comprendre. Je ne suis pas là pour juger. Vous avez eu avec lui un lien, un contact qui peut nous apprendre beaucoup sur la maladie dont il est atteint. Ce qui s’est produit entre vous est le témoin de sa nature profonde. Beaucoup verront Tyrone comme un forcené qui a perdu l’esprit, un fou qui a tué, mais pour ma part, je crois que la vérité n’est pas aussi caricaturale. Lauren, vous avez été témoin de quelque chose qui n’a encore jamais été observé. Ce genre de patient ne se comporte pas ainsi. Il n’est pas censé pouvoir le faire. Il aurait dû vous attaquer, il ne l’a pas fait. Votre témoignage est capital. Ce que vous savez peut m’aider à le soigner, lui et beaucoup d’autres.

Lauren fixait le neurologue. Il demanda :

— C’est vous qui l’avez détaché, n’est-ce pas ?

Lauren se ferma.

— Ce n’est pas grave, reprit Kinross d’une voix plus douce. Je n’en parlerai à personne. Mais je vous en prie, dites-moi la vérité. Vous l’avez trouvé séduisant ?

— Oui.

— Vous avez été émue par ce jeune homme.

Elle hésita quelques instants puis hocha lentement la tête.

— C’est bien vous qui avez décidé de le détacher pour les soins ?

— Non. Enfin oui, mais… J’allais lui changer son pansement au front et il s’est réveillé.

— S’est-il montré agressif ?

— Non, non. Il me regardait.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— Il a essayé de me toucher.

— Comment ça ?

Lauren baissa les yeux et demanda très vite :

— Que va-t-il lui arriver ? Il va aller en prison ?

— Tyrone est malade, Lauren. Nous cherchons d’abord à le soigner, et vous pouvez l’aider en me racontant précisément ce qui s’est passé.

— En fait, quand il a ouvert les yeux, il a été surpris. Après, j’ai eu l’impression qu’il me trouvait attirante. Il n’avait plus peur.

— C’est là qu’il a essayé de vous toucher ?

— Oui.

— C’est alors que vous avez décidé de le détacher.

— Oui, docteur.

— Et ensuite ?

— Ça va vous paraître stupide, mais j’ai eu l’impression que nous nous connaissions bien. Il m’a prise dans ses bras.

— Il vous a empoignée ?

— Non, il m’a… Je ne sais pas comment dire.

— Il vous a enlacée comme l’aurait fait un petit ami ?

— Oui, c’est plus comme cela qu’il l’a fait.

— Vous n’avez pas eu peur ?

— Pas du tout.

— Vous ne vous êtes pas dit que la situation était risquée ?

— Je n’arrivais plus à réfléchir. J’étais bien avec lui.

Instinctivement, Lauren eut un sourire songeur. Scott prit soin de ne pas la brusquer. Il ne devait pas briser le lien de confiance.

— Vous vous sentiez bien ?

Lauren semblait en proie à des émotions violentes et contradictoires. Ses traits se déformaient au gré des fragments de souvenirs qui lui traversaient l’esprit. Elle passait de la béatitude à la peur.

— Je vous en prie, Lauren. Je sais que c’est difficile. Faites-le pour Tyrone, vous pouvez l’aider.

Elle regarda le médecin avec tristesse :

— Vous pensez que je le reverrai ?

— Rien n’est impossible, Lauren. Parlez-moi.

— Vous me promettez que ce que je vais vous dire restera secret ?

— Vous avez ma parole.

Doucement, elle se livra :

— Il m’a serrée contre lui. Il me caressait en m’embrassant. C’était incroyable. J’avais l’impression qu’il avait envie de moi comme un fou, mais il n’était pas brutal. Je n’aurais jamais cru cela possible. J’en ai déjà vu, des excités, mais il n’était pas comme eux. Il ne disait rien. Il n’y avait que son souffle. C’était comme s’il me découvrait, comme s’il n’avait jamais touché une fille. Je dois avouer que j’étais d’accord. Je ne le regrette pas, d’ailleurs. Et puis l’infirmier est arrivé. Il a essayé de nous séparer. Tyrone est devenu enragé. Ils se sont battus. Je vous promets, j’ai essayé de les en empêcher mais ils étaient trop violents. Todd a surgi à son tour. Il a crié qu’il allait chercher l’arme d’urgence. Il a déclenché l’alarme. La lampe rouge a décuplé la colère de Tyrone. Je l’ai vu saisir Kenny et le projeter contre le mur avec une force incroyable. C’est là qu’il m’a bousculée et que je me suis blessée à la tête, mais il ne l’a pas fait exprès. Je me suis sauvée dans le couloir. Todd est revenu et lui a tiré dessus avec les tranquillisants.

La jeune femme eut un mouvement nerveux, comme si elle se nettoyait les bras d’une couche de poussière.

— Voilà, c’est tout, dit-elle dans un souffle. Je ne veux plus jamais en parler.

— Vous n’en parlerez plus, Lauren. Mais vous êtes sans doute la seule qui ait pu avoir un tel lien avec ce genre de patient. Cela va peut-être nous aider.

Kinross réfléchit un instant puis demanda :

— Lauren, si je vous le proposais, accepteriez-vous de revoir Tyrone ?

Le visage de la jeune femme s’illumina.

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