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— Je ne te réveille pas ?

Madame Kinross fut surprise d’entendre son fils mais répondit avec naturel :

— Tu sais, je me lève au chant des oiseaux, alors il y a longtemps que je suis debout. Tout va bien ?

Scott ne l’appelait presque jamais. Ce n’était ni son anniversaire ni le nouvel an, elle était presque inquiète.

— Aucun problème. Je voulais juste prendre de tes nouvelles, savoir comment tu allais.

— Comme une retraitée de 64 ans. Tu es déjà à ton bureau ? Tu y passes toujours tes journées ?

— En ce moment, c’est chargé.

— Diane ne râle pas trop ?

— Elle ne râle plus. Elle est partie.

Un silence s’installa.

— Je suis désolée.

— Moi aussi, mais personne n’y peut rien.

— Si tu veux parler, je suis là, tu le sais…

— Parler n’a jamais été mon truc.

— Pourquoi ne viendrais-tu pas passer quelques jours ici ? Noël approche et la Dordogne est une région magnifique, même en hiver.

— C’est une idée, mais Jenni et moi sommes sur un gros projet.

— Comment va-t-elle ? Tu m’en parles depuis des années et je ne l’ai jamais vue.

Scott et sa mère n’avaient rien partagé de quotidien depuis longtemps. En se parlant une fois de temps en temps, ils n’avaient pas grand-chose à se dire. Chacun mit du sien pour que la conversation dure encore un peu, bien que les meilleures intentions ne comblent pas un fossé. La dernière fois qu’il avait vu sa mère, c’était aux obsèques de son père, mort trois semaines après qu’elle l’avait quitté. Cela faisait déjà quatre ans.

En raccrochant, il se promit qu’il n’attendrait plus avant d’aller la voir. Il en avait envie et Maggie Twenton le lui avait conseillé.

Kinross partit pour sa tournée des malades et tomba sur le petit Jimmy.

— Bonjour, docteur. Cette fois, je ne me suis même pas sauvé. L’infirmière m’a permis de descendre. Mademoiselle Toring. Elle est gentille.

— Tant mieux. Comment vas-tu ?

— Des jours ça va, des jours ça va pas et le docteur ne répond jamais à mes questions. Il doit croire que les enfants ne comprennent rien, alors il me baratine toujours n’importe quoi. Du genre, « c’est bien mais on va encore faire mieux » ou « l’important, c’est ce que tu ressens ». Il m’énerve. Quand je vais mourir, ça me fera une belle jambe ce que je ressens.

Scott posa sa main sur l’épaule de l’enfant et l’entraîna avec lui vers le comptoir d’accueil du service.

— Tu devrais lui poser une des questions que tu me réserves d’habitude…

L’enfant se mit à rire. En arrivant dans le couloir principal, le docteur remarqua que Hold l’attendait déjà. Le bras droit de Greenholm s’était assis dans la zone d’attente, à l’extrémité de la banquette, et tenait un porte-documents sur ses genoux.

— Pour une fois, fit Scott à l’enfant, c’est moi qui vais te poser une question. Est-ce que tu as déjà remarqué que sur une banquette entièrement libre, les gens ne s’assoient pas tous à la même place ? Certains s’installent en plein milieu, d’autres se tassent à un bout, et il y en a même qui restent à côté sans s’asseoir…

— Vous dites ça pour le grand type, là-bas ? Si vous voulez, je vais regarder les gens et faire des statistiques !

— Excellente idée. Et maintenant mon grand, je dois te laisser. J’ai rendez-vous avec le grand type, justement.

— On dirait un agent secret.

Le jeune garçon prit les doigts du docteur et les secoua comme pour une poignée de main. Il déclara d’une voix artificiellement grave :

— À plus tard, docteur. J’ai une mission. Je vais aller me poster devant les banquettes de mon étage.

Jimmy fit un clin d’œil auquel répondit Scott. Le petit s’éloigna d’un pas décidé. Hold s’était levé et s’approchait :

— Ce gosse me regarde d’une drôle de façon.

— Un gamin étonnant. Il se sauve de son service pour venir me voir. Je l’aime bien. Personne ne sait par où il passe, mais il réussit toujours. Un vrai magicien.

Hold hocha la tête machinalement et enchaîna :

— Tout est prêt pour le voyage de Jenni. Vous n’avez plus qu’à signer le pouvoir et elle pourra s’envoler pour le Canada. C’est une bonne chose que Clifford Brestlow s’occupe lui-même de votre dossier.

— Sans doute. Mieux vaut avoir affaire au bon Dieu qu’à ses saints. Jenni est chez elle ?

— Oui, je passe la prendre dans une heure et je l’accompagne à l’aéroport.

— Je n’ai même pas réussi à la joindre depuis hier soir. Elle est sur répondeur.

— Elle se prépare. Je crois qu’elle est un peu angoissée à l’idée de partir seule là-bas. Mais elle sait qu’avec vos malades, vous ne pouvez pas vous absenter.

— J’essaierai encore de l’appeler après les visites. En parlant de Jenni, j’aimerais vous demander une chose…

— Je vous écoute.

— Elle a lu la totalité des contrats que nous avons signés avec votre patron.

— Un problème ?

— Plutôt une question. Vous y figurez en bonne place…

— M. Greenholm m’a effectivement informé qu’il m’associait à ce contrat. C’est son choix. Il n’a plus de famille proche et cela n’affecte en rien vos droits. Jenni n’a donc pas à s’inquiéter.

— Au moment où nous avons signé, madame Greenholm était encore vivante. Elle était l’autre bénéficiaire.

— Que sous-entendez-vous, docteur ? M. Greenholm savait pertinemment que s’il venait à disparaître, sa femme n’aurait jamais eu la capacité de gérer ses propres affaires. J’aurais pu m’en charger. Pourquoi ces soupçons ?

— Aucun soupçon, David. Je n’avais même pas lu ces contrats en détail. Mais Jenni se fait du souci. Elle voudrait aussi savoir ce que vous avez pu faire de toutes les sauvegardes de son travail. Pourquoi avez-vous tout emporté ?

— Pour les mettre en sécurité à Glenbield.

— Vous devriez lui en parler. Elle est d’une nature anxieuse, particulièrement ces derniers temps.

— Elle me soupçonne de mauvaises intentions ?

— À ce jeu-là, David, c’est vous qui avez commencé.

— On s’était promis d’éviter ce genre de vannes, docteur.

— Vous avez raison. Venez, je vais signer vos papiers.

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