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Jenni posa son graphique contre le plateau du bureau.

— C’est ici qu’il faut le placer pour l’afficher ? demanda-t-elle.

— Exact, répondit Brestlow avec un sourire amusé.

Dans la pénombre, le document apparut en grand sur l’écran mural.

Jenni s’était vite habituée à cet outil de science-fiction — la demeure en était truffée. Elle commenta son document :

— Voici donc la courbe moyenne des temps de réponse aux tests de mémorisation. Ce délai peut être mis en rapport direct avec le degré de la maladie.

— Vous et le docteur avez créé ces tests ?

— Non, ils répondent à des normes internationales. Scott les a simplement sélectionnés pour leur pertinence, mais vous allez voir que notre indice leur donne une signification supplémentaire. Grâce à une échelle définie par rapport aux cas étudiés dans le service de Scott, ils se révèlent comme un premier outil de diagnostic efficace. Cependant, cette évaluation sommaire ne peut concerner que les premiers stades de la maladie ; ensuite, les patients ne réussissent plus ces tests et il en faut d’autres pour les évaluer.

— On peut donc considérer que votre indice leur apporte une évolution analytique.

— C’est indiscutable. Et cela, sans aucune nécessité de prélèvements.

Jenni cherchait déjà le document suivant lorsqu’elle s’aperçut que Clifford la dévisageait.

— Vous expliquez toujours aussi vite ? demanda-t-il.

— Non, mais j’ai peur de vous faire perdre du temps et j’ai l’habitude de m’adapter à mon auditoire. Je crois que vous comprenez très rapidement…

L’homme sourit à nouveau. Jenni avait déjà remarqué que leurs séances de travail duraient de plus en plus longtemps. Elle ne s’en plaignait pas, bien au contraire.

— Puis-je me permettre une remarque, professeur Cooper ?

— Bien sûr.

— Je vous sens remarquablement à l’aise sur l’aspect statistique et la vision d’ensemble de vos travaux. L’aspect thérapeutique vous semble par contre moins familier.

— Scott a l’habitude de dire que je suis le stratège et que lui est dans la tranchée.

— Vous êtes indissociables.

— Complémentaires.

— Avez-vous déjà songé aux aspects spirituels, voire philosophiques de la maladie ? Elle pourrait facilement être considérée comme une malédiction…

— Beaucoup l’ont été avant d’être expliquées scientifiquement. Cette maladie-là s’attaque à l’essence même de ce que nous sommes. Ce n’est pas un simple dysfonctionnement, c’est une remise en cause.

— Et que sommes-nous, selon vous ?

Jenni eut un petit rire nerveux :

— J’ai déjà du mal à me comprendre moi-même, alors pour ce qui est de l’humanité…

Brestlow eut un sourire franc. Jenni en avait rarement vu d’aussi puissamment communicatif. Hormis Scott, Jenni n’avait jamais rencontré un homme avec lequel elle se sente autant d’affinités intellectuelles que Clifford. Il y avait chez lui quelque chose d’énigmatique qui le rendait encore plus attirant. Toujours habillé de la même façon, le même regard incisif, une économie de mots et de gestes, tous précis et motivés.

L’image d’une jeune femme inconnue fit soudain irruption sur le bureau :

— Monsieur Brestlow, pardonnez-moi, mais votre rendez-vous est là.

— J’arrive.

Il se retourna vers Jenni.

— Je suis désolé, fit-il. Je ne suis qu’un outil dont on se sert beaucoup.

En se levant, il ajouta :

— Je crois que nous avons bien avancé. Le point à préciser concerne la standardisation de la procédure. Plus ce sera simple, moins ce sera contournable.

— Je vais y travailler.

Jenni le suivit hors du bureau. Tracy attendait déjà la jeune femme. Brestlow déclara :

— Professeur Cooper, bien que cela ne soit pas dans mes habitudes, et en espérant que cela ne vous choque pas, accepteriez-vous de dîner avec moi ?

Le regard de Jenni ne laissa aucun doute sur le plaisir que lui procurait cette invitation.

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