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À voix basse, Kinross échangea quelques mots avec son collègue du service réanimation et revint vers le lit où était étendu Greenholm. L’assistance respiratoire ronronnait et le bip de la surveillance cardiaque était régulier.

Assise tout près du vieil homme, Edna regardait celui-ci fixement. Hold se tenait de l’autre côté.

— Quand va-t-il reprendre connaissance ? demanda-t-il.

— Je ne vais pas vous mentir, nous n’en avons aucune idée. C’est un miraculé. Vous seriez arrivé quelques minutes plus tard et il était perdu.

— Vous pensez qu’il gardera des séquelles cérébrales ?

— Trop tôt pour le dire, David. Je suis désolé.

Edna étouffa un sanglot. Le docteur fit signe à Hold de le suivre dans le couloir. Les deux hommes firent quelques pas :

— Il va s’en sortir ? Dites-moi la vérité.

— À ce stade, le diagnostic est incertain. On en saura plus d’ici vingt-quatre heures. Je vais le suivre personnellement.

Scott regarda Hold avant de poser la question :

— Vous avez une idée de ce qui a pu se passer ?

Hold soutint son regard :

— Au début, j’ai cru à un accident. Je me suis dit que le régisseur dont on a retrouvé le corps calciné dans les cendres de la grange avait peut-être commis une imprudence avec les vannes de gaz en travaillant sur la chaufferie. Tout aurait explosé, le tuant sur le coup, crevant le mur du manoir et mettant le feu à l’aile ouest.

— Pourquoi dites-vous « au début » ? Vous n’y croyez plus ?

— Que cela reste entre nous, mais je me suis aussi demandé si M. Greenholm n’avait pas tenté de mettre fin à ses jours. Ce serait expliquable après ce qu’il a vécu. Il s’enferme dans le lieu où il se sentait le plus proche de Mary et il en finit en emportant avec lui tout ce à quoi il tenait.

— Il était dépressif ?

— Voir sa femme perdre l’esprit l’anéantissait. Sa mort été un coup très rude. Greenholm est un roc. Je l’ai vu mener des soirées avec un entrain incroyable alors qu’il se débattait dans les pires problèmes. Mais ce coup-là a sans doute été le plus terrible de sa vie. Même les rocs se fissurent.

— Vous n’avez pourtant pas l’air convaincu qu’il ait essayé de se suicider.

— Certains détails me troublent… Ces ecchymoses au visage et au torse, alors que, lorsque je l’ai découvert, il n’y avait aucun débris sur lui.

— J’ai moi aussi remarqué ces hématomes quand on lui a posé les électrodes. Ils sont récents et sans aucun doute dus à des chocs violents.

— Il y a autre chose : Edna m’a raconté qu’en arrivant au cimetière, il lui a semblé entendre un bruit de moteur. Elle a d’abord cru que c’était notre hélico qui rentrait, mais je ne suis arrivé qu’une heure plus tard.

— Un autre hélico ?

— Je l’ignore pour l’instant, mais je connais quelqu’un qui pourra vérifier les relevés radars auprès des gardes-côtes.

Scott se frictionna la tête nerveusement.

— Qui aurait pu s’en prendre à lui ? Avait-il des ennemis ?

— Pas à ma connaissance. Surtout pas depuis la vente de ses brevets. Il est retiré des affaires.

Kinross chercha le regard de Hold.

— David, je suis certain que vous avez une idée sur ce qui s’est passé. Dites-le-moi.

— Et vous ? Vous songez peut-être que si M. Greenholm venait à disparaître, je resterais seul bénéficiaire des contrats que vous avez signés ?

— Je ne vous ai accusé de rien.

— J’aurais pu mettre en scène son sauvetage, dit Hold. Après tout, il n’y a aucun témoin…

— Edna était là. Elle vous a vu entrer et aussi sortir. Elle m’a également raconté dans quel état vous étiez. Je n’ai peut-être pas vos aptitudes au combat, mais depuis le temps que je côtoie les gens dans la souffrance, je commence à les connaître. Edna m’a dit que vous étiez bouleversé au point de pleurer. Vous n’imaginez pas ce que les larmes révèlent d’un être.

Hold parut déstabilisé. Il se dépêcha de demander :

— Je ne suis donc pas un suspect pour vous ?

— Pas cette fois, David, pas cette fois. Mais vous n’avez pas répondu à ma question : quelle est votre version ?

— Je dois d’abord vérifier deux choses, docteur. Et pour l’une d’elles, j’ai besoin de vous. Faites-moi confiance, je vous expliquerai plus tard.

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Si M. Greenholm avait été drogué, serait-il encore possible de le vérifier avec des analyses ?

— Cela dépend du produit employé et du délai écoulé depuis l’injection ou l’absorption. Je peux demander à la toxicologie de chercher.

— Alors faites-le, s’il vous plaît. D’autre part, m’autorisez-vous à faire garder la chambre ?

— Vous redoutez quelque chose ?

— Je crois qu’il va falloir se préparer à tout.

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