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En arrivant, Tersen salua le père Endelbaum et Thomas :

— Votre idée n’était pas mauvaise, glissa-t-il au jeune homme. On tient peut-être quelque chose.

Le supérieur invita ses deux frères à prendre place autour de son bureau. Tersen s’empressa d’expliquer :

— Pour identifier le meurtrier de Feilgueiras, nous avons croisé plusieurs pistes. Nous nous sommes demandé à qui son invention aurait pu profiter, mais aussi quels étaient ceux qu’elle aurait pu ruiner.

Après s’être assuré qu’il avait toute l’attention de ses interlocuteurs, il déclara :

— Pour bien comprendre, il faut garder à l’esprit que chaque innovation donne un coup de vieux à ce qui existait auparavant. Pantone et Feilgueiras travaillaient sur des moteurs fonctionnant sans essence. Imaginez la panique chez les groupes pétroliers si on pouvait soudain se passer de leur or noir. Un marché de centaines de milliards s’écroulerait, on aboutirait à un cataclysme économique à effet domino qui, de l’automobile à l’aéronautique, toucherait les plus grandes branches industrielles de tous les pays industrialisés. Personne n’a intérêt à ce que quelqu’un invente un système qui lui fasse de l’ombre.

— Vous suspectez les groupes pétroliers ? demanda Endelbaum.

— Pas vraiment, et je vais vous expliquer pourquoi. En enquêtant sur ce qu’avaient pu devenir les inventions de Feilgueiras, nous nous sommes aperçus que beaucoup de brevets sont déposés, mais pas forcément pour être utilisés. De grandes firmes, dans tous les domaines, bloquent des inventions pour tuer la concurrence dans l’œuf. Elles achètent les idées nouvelles et les enterrent aussi vite, s’assurant ainsi que personne ne viendra les gêner dans leur secteur d’activité.

— Quel rapport avec notre affaire ? s’étonna Thomas.

— Puisque l’homme qui est derrière la disparition de Feilgueiras est censé recommencer, nous avons passé au crible les secteurs qui génèrent les brevets les plus profitables. Un trio de tête se détache nettement : à la première place, le génie génétique ; à la seconde, la recherche médicale et en troisième position, les télécommunications. Ces trois secteurs représentent à eux seuls 78 % de la valeur estimée des brevets déposés dans le monde, dont 99 % sont la propriété de gros groupes industriels.

— Où voulez-vous en venir ?

— En associant nos recherches avec la remarque de Thomas sur d’éventuels scientifiques éliminés, nous nous sommes rendu compte qu’en quelques mois, quatre chercheurs spécialisés dans l’étude des ondes ont brutalement disparu alors que leurs publications s’annonçaient très prometteuses. L’un d’eux a succombé à une crise cardiaque à 42 ans alors qu’il était en pleine santé, un autre s’est tué dans un accident de voiture incompréhensible. On est sans aucune nouvelle du troisième, disparu corps et biens, et le dernier s’est suicidé, mais sa famille dénonce un assassinat maquillé. Tous travaillaient sur le même sujet : l’incidence des ondes sur notre cerveau. L’un d’eux avait même écrit un bouquin sur les dangers du téléphone portable, des lignes à haute tension et des antennes relais. Un autre était en délicatesse avec le gouvernement américain parce qu’il dénonçait les activités potentiellement dangereuses d’un centre de recherche sur la ionosphère à Gakona, en Alaska. Chacun de son côté, ces chercheurs affirmaient tous que la multiplication ou la manipulation des ondes dans notre environnement risquait d’avoir des conséquences désastreuses sur notre activité cérébrale.

— Qui avait intérêt à les faire taire ?

— Beaucoup de monde. Les fournisseurs d’énergie, les fabricants de téléphones, quelques gouvernements sans doute, de grands groupes mondiaux certainement — les suspects potentiels sont légion, mais pourtant je vous parie que ce ne sont pas eux les coupables. Nous avons découvert que les travaux de ces scientifiques, leurs archives et même leurs ébauches de publications ont été rachetés par une même société : Eve Corporation. C’est une petite entreprise immatriculée aux îles Caïman qui a tout de même déboursé près de trente-cinq millions d’euros pour tout s’approprier.

— Comment se fait-il que personne ne l’ait remarqué ?

— Dans le flot de brevets et de transactions, personne ne fait attention. Les paradis fiscaux sont remplis de sociétés écrans qui réalisent des milliers d’opérations par jour. Trop d’information cache l’information. Je serais moi-même passé à côté si je n’avais pas précisément cherché dans cette direction.

— Vous pensez que Sandman travaille pour ce genre de société ?

— Trop tôt pour le dire. Mais j’ai un début de trace et je compte bien la remonter. Comme Thomas, je commence à me demander si quelque chose de très gros n’est pas en train de se jouer là, juste sous nos yeux, sans que personne ne s’en rende compte.

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