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Comme chaque soir, Desmond prit l’ascenseur et appuya sur le bouton du deuxième sous-sol. Il transportait une petite mallette antistatique grise. À l’intérieur, deux unités de stockage qui renfermaient la totalité des transmissions, transactions et notes de travail de son patron pour la journée écoulée. La fatigue se faisait sentir et, pour se soulager le dos, le secrétaire particulier de M. Brestlow fit rouler ses épaules en attendant d’arriver à destination.

Il vérifia sa montre. Même en faisant vite, il ne serait pas au lit avant 2 heures du matin. Dans un glissement étouffé, la cabine s’immobilisa. Comme d’habitude, Desmond se dirigea vers la console d’identification de la chambre forte. Soudain, les gyrophares rouges situés aux angles du corridor se mirent à tourner en émettant une note stridente et répétitive. Exaspéré, Desmond saisit l’intercom accroché à sa ceinture et composa le 1 :

— Ici Keener, je suis aux archives et l’alerte vient de se déclencher. Qu’est-ce qui se passe ?

— On ne sait pas encore, répondit le responsable de la sécurité de la résidence. L’équipe du troisième nous a signalé de possibles coups de feu entendus à l’étage du dessous.

— À l’étage des gardes ?

— Oui, monsieur, et personne ne répond.

— Encore un de vos mercenaires ivres qui fait l’imbécile !

— Je ne pense pas, monsieur. Plusieurs caméras de contrôle sont hors d’usage.

— Une attaque extérieure ?

— Impossible, monsieur. Tous les systèmes sont opérationnels et aucune intrusion du périmètre de la propriété n’a été détectée.

— Descendez tout de suite vérifier par vous-même.

— Je suis en route, monsieur, mais par prudence, j’ai préféré isoler les niveaux et déclencher l’alerte.

— S’il y a le moindre risque, il faut évacuer M. Brestlow vers la zone confinée, mais je plains sincèrement celui qui l’aura réveillé pour rien après la journée qu’il a eue. Tenez-moi informé.

Desmond raccrocha. Il était arrivé devant une énorme porte blindée. Il posa sa main bien à plat sur un scanner. Une barre de lumière bleue lui balaya la paume, identifiant les empreintes. Le mécanisme d’ouverture de la porte de plusieurs tonnes commença à se déclencher. Tout à coup, Keener sentit quelque chose de froid se poser sur sa nuque.

— Bonsoir, fit une voix derrière lui.

Il leva les mains sans lâcher sa mallette pendant que la porte s’ouvrait. À l’intérieur, les éclairages s’allumèrent progressivement, révélant une salle profonde et basse de plafond. Kinross eut un petit sifflement admiratif en découvrant l’endroit. Hold poussa Desmond à l’intérieur et lui ordonna de refermer derrière eux.

— Qui êtes-vous ? questionna Keener.

— La cause de tous vos soucis, répondit David.

L’endroit était rempli de rayonnages, de dossiers, d’armoires fortes dont certaines étaient ouvertes sur des piles de disques de stockage soigneusement étiquetés. Lorsque Hold essaya de prendre la mallette, Desmond résista, mais une pression appuyée du canon sur la jugulaire le ramena à la raison. David posa l’objet sur un bureau et arracha un câble informatique pour ligoter le prisonnier. Kinross s’avança dans les allées pour jeter un œil.

— Je crois que nous sommes dans la caverne d’Ali Baba de M. Brestlow, lança-t-il en s’éloignant vers le fond.

— Que voulez-vous ? interrogea Keener pendant que Hold lui liait les poignets dans le dos. Plus d’argent, c’est ça ? Vous vous êtes fait embaucher en espérant nous faire chanter ?

Hold eut un sourire. Keener les prenait pour deux de leurs mercenaires qui se retournaient contre leurs employeurs.

— Et vous ? rétorqua-t-il. Qui êtes-vous ? Pour avoir accès à ce genre d’endroit, vous devez être un proche de Brestlow.

— Je n’ai rien à dire à des brutes stupides, répondit Desmond avec mépris. Vous ne vous échapperez jamais de la résidence. Relâchez-moi immédiatement ou vous êtes foutus.

Hold repassa devant lui et approcha son visage tout près du sien.

— Soyez lucide, souffla-t-il. Nous n’avions aucune chance de forcer votre porte jusqu’ici et pourtant nous y sommes. Alors, ne nous jugez pas trop vite et répondez : qui êtes-vous ?

Desmond se tut. Hold ouvrit la mallette et en sortit un disque de données qu’il fit tourner entre ses doigts.

— Je ne sais pas ce qu’il y a là-dedans, mais ça vaut sûrement beaucoup d’argent, n’est-ce pas ?

Kinross revint vers eux, un dossier dans les mains.

— Regardez ce que j’ai trouvé ! Il y a un volume complet sur les ressources en lithium avec les cartes géographiques, les noms des propriétaires, des sommes d’argent… J’ai l’impression que tout est classé par secteur. J’ai déjà repéré le stratégique et l’agroalimentaire.

Le médecin retourna explorer le contenu des allées. Desmond fulminait :

— Plus vous en saurez, plus vous raccourcirez votre espérance de vie. L’alerte est déjà donnée, vous l’avez bien vu. C’est une question de minutes.

Hold examina une armoire de disques :

— Nous voudrions parler à M. Brestlow.

Keener éclata de rire :

— Vous êtes fous ! Pratiquement aucun de ceux qui travaillent pour lui ne l’a jamais rencontré. Alors, vous…

— Puisque vous accédez librement à son trésor, il doit vous faire confiance. Vous devez pouvoir nous arranger une petite entrevue.

Kinross revint en courant. Il brandissait plusieurs dossiers. Il montra une chemise jaunie sur laquelle était inscrit en grosses lettres : « Feilgueiras ».

— Nos amis vont être contents, s’exclama-t-il. Il y a aussi tout un rayonnage rempli de dossiers nominatifs, et même une section sur le groupe Bilderberg. Brestlow a des fiches sur des présidents, des politiques, tout l’arsenal du maître chanteur. J’ai aussi trouvé des plans sur des inventions comme celles dont m’a parlé Jenni tout à l’heure.

En entendant le prénom du professeur Cooper, Desmond se raidit.

— Vous n’êtes pas des mercenaires…

— Bien vu, Sherlock.

— Si vous touchez à Jenni Cooper, M. Brestlow ne vous le pardonnera pas. Vous signez votre arrêt de mort.

Kinross s’approcha de Desmond et lui siffla :

— La réciproque est vraie. Jenni a raison. Votre patron est un psychopathe qui se prend pour Dieu. Il vend les progrès comme il le veut, à quiconque en a les moyens. Quand je vois la masse de documents enfermés dans cette salle, j’ose à peine imaginer les magouilles, les réseaux qu’il faut pour faire prospérer vos petites affaires. C’est ici que Brestlow cache le secret de ses fabuleux gadgets ? Combien de découvertes, combien de réponses garde-t-il pour lui ? Toutes les plaies de notre époque ne sont rien comparées à ceux qui empêchent leurs semblables d’en bénéficier. Je suis certain que Brestlow en sait bien plus que les médecins. Il sait ce qui tue, il sait ce qui sauve, et il se tait pour mieux en tirer profit.

— Qui êtes-vous ? fit Desmond, déstabilisé.

— Je suis le docteur Kinross, et personne ne détournera ce que Jenni et moi avons découvert. Les gens comme vous pourrissent tout et entravent nos chances de survivre au fléau qui nous menace.

Keener chancela :

— Comment êtes-vous entrés ?

— Vous ne savez pas tout. Brestlow a des secrets, même pour vous. Nous allons reprendre nos brevets.

Plus loin dans un rayonnage, Hold feuilletait des documents siglés du sceau du Pentagone et classés « secret défense ». D’une voix forte pour couvrir la distance, il déclara :

— Scott, j’ai trouvé des choses sur la base de Gakona et sur le projet HAARP. Si on se contente de balancer la seule feuille que j’ai sous les yeux à la presse, ça va semer une sacrée pagaille !

Desmond serra les dents :

— Personne ne publiera ça. Vous n’avez rien compris. Vous êtes deux amateurs naïfs. Regardez l’histoire, docteur. Aucun des génies qui ont fait avancer ce monde n’a jamais eu la maîtrise de ce qu’il avait découvert. Vous êtes le pauvre type qui a trouvé quelque chose qui le dépasse. Vous auriez dû accepter l’argent et tout oublier.

— Vous avez peut-être raison. C’est en tuant les espoirs et en achetant les gens que vous gardez votre pouvoir. Mais pour le moment, c’est nous qui avons les cartes en main.

— J’ai trouvé la section médicale ! s’écria Hold.

Kinross s’éloigna pour le rejoindre. La salle était tellement pleine qu’elle contenait sans doute de quoi provoquer une véritable révolution technologique, un virage dans l’histoire de l’humanité. Il y avait des sections sur la mécanique quantique, sur les nanotechnologies et même sur les expériences confidentielles effectuées à bord des vols spatiaux.

Hold venait de trouver les papiers relatifs à l’indice lorsque, entre deux rangées de classeurs, Kinross s’aperçut soudain que Desmond n’était plus là où ils l’avaient laissé.

— David, il va s’enfuir ! s’écria-t-il en se mettant à courir.

Keener s’était approché d’une armoire encastrée dont il avait réussi à ouvrir le battant avec la bouche. Il tentait d’appuyer sur un poussoir d’alarme lorsque le tir de Hold l’atteignit entre les omoplates. Le secrétaire de Brestlow s’écroula. Kinross s’agenouilla à son chevet. L’homme n’avait plus de pouls et le sang commençait à se répandre sur le sol. Son intercom se mit à sonner. Hold décrocha. Le responsable de la sécurité venait au rapport :

— Monsieur Keener, il y a des morts au — 4. Vous ne bougez pas de la chambre forte, on vient vous chercher.

Hold aboya :

— Ce n’est pas M. Keener. Écoutez-moi bien : si vous tentez quoi que ce soit, on fait exploser tout ce qu’il y a dans votre coffre-fort géant. Parlez-en à M. Brestlow. Je suis certain qu’il sera d’accord pour négocier.

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