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L’espace d’attente du service de neurologie était désert. On n’entendait rien hormis le ronronnement sourd de la machine à café. Scott se laissa glisser au fond d’une longue banquette orange. Sur la table basse, les revues cent fois feuilletées étaient encore étalées comme autant d’irruptions de couleur dans cet univers bien fade. Dans quelques heures, les équipes de nettoyage les remettraient en pile. Une silhouette en blouse blanche passa.

— Kinross ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pourtant pas d’astreinte ?

— Bonsoir, Doug.

— Tu n’as pas l’air très frais…

— Juste la fatigue.

— Dis donc, tant que je te tiens, après-demain je déjeune avec deux représentants de laboratoires. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Ils sont très intéressés par tes travaux. Ce serait une bonne occasion de te faire mieux connaître et d’obtenir des budgets.

— On en a déjà parlé, Doug. Personne ne se fait d’illusion sur ce que veulent ces gens-là. Ils se moquent que les patients guérissent ou pas. La seule chose qui les intéresse, c’est vendre leurs médocs et occuper la place la plus rentable dans le système.

Le docteur Douglas Doyle prit place à côté de son confrère.

— Tu te trompes, Kinross. L’équation est simple : pas d’argent, pas de recherche et sans recherche, pas de progrès donc pas de guérison. Tous ceux qui font de la recherche sont associés à des gros labos, à des groupes mondiaux qui ont les reins assez solides pour financer leurs programmes. Pourquoi serais-tu le seul à faire autrement ?

Scott soupira et jeta un regard sombre à son interlocuteur :

— Tous ces beaux discours, tout cet argent, ces promesses et toujours autant de gens qui souffrent… La maladie est un marché économique comme un autre. Les labos ne sont plus là pour soigner, ils sont là pour vendre. Je n’arrive pas à trouver ça normal. C’est sûrement naïf, mais je continue à croire que nous avons une mission, pas un métier. Tu fais ce que tu veux, Doug, mais je n’ai pas envie de participer à ce jeu-là.

Le docteur Doyle haussa les épaules et se leva :

— Prends quand même le temps d’y réfléchir. Tu ne pourras pas éternellement jouer tout seul dans ton coin…

Scott regarda son confrère s’éloigner. Il passa la main dans ses cheveux et se renversa en arrière en fermant les yeux. Aussitôt, un flot d’images déferla : la soirée au Witchery, le sourire d’Emma, Jenni se jetant à son cou lorsqu’ils avaient découvert leur indice, la silhouette de Diane refermant la porte de son appartement en partant, sa mère lui faisant un signe…

Scott sentit une présence et rouvrit les yeux. Une petite ombre se glissa près de lui :

— Bonjour docteur ! fit le jeune garçon avec énergie.

Kinross essaya de se composer un air réprobateur :

— Jimmy, ne me dis pas que tu t’es encore sauvé de ton service ? Tu as vu l’heure ? Tu devrais dormir.

— Tout le monde veut que je dorme, mais j’ai pas envie. J’ai compris leur truc : plus on dort, plus ils ont le temps de parler de leurs petites histoires…

— Par où t’es-tu sauvé cette fois ?

L’enfant hésita avant de désigner le fond du service. Kinross fronça les sourcils :

— Tu es passé par la zone sécurisée de mon étage ?

— J’ai fait vite, personne ne m’a vu.

— Jim, c’est là que nous hébergeons nos malades les plus dangereux. C’est un secteur à risque. Tu ne dois pas t’aventurer là-bas. Compris ?

— Ils sont tous enfermés dans leurs chambres, tout va bien. Et puis si c’est tellement dangereux, pourquoi le code d’ouverture des portes est-il marqué juste au-dessus du clavier ?

— Parce que les gens qui sont retenus là-bas ne sont même plus capables de le lire. Ils peuvent encore moins le composer.

— Des vrais oufs !

— On peut dire ça comme ça. Raison de plus pour ne pas traîner dans ce secteur.

Kinross savait pertinemment ce que Jim risquait s’il tombait nez à nez avec un de ses patients de la zone confinée. Le petit hocha la tête, contrit. Puis il s’approcha du docteur et souffla :

— Vous n’avez pas l’air bien. Vous êtes malade ?

Kinross sourit :

— Non, Jim. Je suis docteur, ce sont les gens qui viennent me voir qui sont malades. Disons que j’ai connu des soirées plus faciles.

— Et où ils vont, les docteurs, quand ils sont malades ?

Kinross lui frictionna sa tête chauve avec bienveillance et changea de sujet :

— Parle-moi plutôt de ton traitement. Comment ça se passe ?

— Ils disent que la chimio me fait du bien, mais ça m’épuise. Je n’en ai pas fait depuis six jours et du coup, je me sens mieux. Mais j’ai une séance demain après-midi. J’ai la trouille.

— Ne t’inquiète pas. Tu n’auras qu’à passer me voir dès que tu en auras envie.

L’enfant accueillit l’invitation avec une vraie joie.

— Promis !

Le docteur vérifia sa montre. Il était temps d’aller retrouver Maggie.

— Et maintenant, mon grand, tu vas me faire le plaisir de remonter jusqu’à ta chambre, et par les ascenseurs, s’il te plaît.

Le garçon grogna. Scott l’encouragea et le raccompagna jusqu’au hall du service.

— À demain, docteur.

— Quand tu veux, Jim.

Kinross s’assura que le petit prenait bien le chemin du retour, puis se dirigea vers la chambre de Mme Twenton. Il entrouvrit la porte et passa la tête. Elle était dressée sur son lit et sursauta en le voyant :

— Qui êtes-vous ? Sortez immédiatement de chez moi ou j’appelle la police !

Maggie Twenton était en colère.

— Sortez ! Espèce de voleur ! Je ne vous laisserai pas piller ma maison !

Très agitée, elle se mit à bafouiller des mots incompréhensibles. Scott s’approcha et parla d’une voix calme :

— Maggie, tout va bien. C’est moi, votre docteur. J’étais sorti un instant. Nous parlions de vos enfants.

— Les enfants ? Quels enfants ?

Elle bafouilla à nouveau. Il précisa :

— Andrew et Michael.

— Jamais entendu parler. Reculez ! Vous ne m’aurez pas avec vos boniments !

Dans un geste de rage, la vieille femme saisit la carafe d’eau posée près d’elle et la projeta de toutes ses forces vers le médecin. Le bruit de verre brisé résonna dans la chambre. Scott ne l’avait jamais vue ainsi. Elle se débattait seule sur son lit. Elle essaya de se lever mais sans aucune coordination. Scott se précipita pour éviter qu’elle ne se blesse. Elle se mit à hurler. Dans ses gesticulations, elle renversa sa tablette de lit et lui asséna un coup de poing maladroit mais violent. Kinross sut immédiatement que les heures à venir allaient être difficiles.

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