8

Scott laissa Maggie aux soins des infirmières. Il sortit de la chambre, referma la porte derrière lui et resta là, immobile, comme un boxeur sonné après un combat. Tout en elle avait changé. Son regard, ses gestes. Elle qui avait toujours fait preuve d’une remarquable dignité se repliait physiquement sur elle-même, attrapant tout ce qui passait à sa portée pour essayer de le mettre à la bouche. Elle ne prononçait plus un mot, seulement des sons, parfois des enchaînements de syllabes incompréhensibles. Même ses traits s’étaient altérés en l’espace de quelques heures.

Kinross se fit un devoir d’aller au bout de la dernière batterie de tests mais le verdict était sans appel. Il supportait mal de voir cette femme-là dans un tel état. Tout ce qui faisait son humanité, sa force, avait définitivement disparu. Presque le même corps. Plus du tout la même personne. Une fois encore, Scott avait été le témoin des ravages de ce mal qui ne prend que l’esprit et laisse le corps survivre, soumis à ses seuls instincts les plus primaires.

Dans le couloir, Scott commença à marcher. Il aurait aimé que Jenni soit là. Il aurait voulu qu’elle le raisonne, qu’elle le secoue, mais elle était déjà partie demander un rendez-vous urgent auprès des autorités pour préparer une alerte sanitaire.

Scott essayait de se souvenir des derniers mots de Maggie, lorsqu’elle était encore consciente. Quelles avaient été ses dernières paroles réfléchies ?

Il remonta machinalement vers son bureau. Il longeait le comptoir d’accueil lorsqu’une des infirmières l’interpella :

— Docteur Kinross ?

— Oui, Nancy.

— On a un nouveau patient chambre 17. Vous devriez aller le voir.

— Qui a fait l’admission ?

— Je l’ignore. Quand j’ai pris mon service, il était déjà là. J’ai juste une note vous demandant de passer le voir au plus vite.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? grommela Scott.

Il prit la direction de la chambre 17. Il frappa et entra sans attendre la réponse. Un homme était allongé dans le lit. Il était éveillé et tenait son drap bien remonté jusqu’à son cou. La soixantaine, peut-être un peu plus, des yeux sombres, une bouche qui se résumait à un trait sur un visage anguleux, et des cheveux courts presque entièrement blancs.

— Bonjour monsieur.

— Bonjour docteur.

— Vous êtes arrivé ce matin ?

— Il y a deux heures.

— Vous avez froid ?

— Non, tout va bien.

Kinross commença à poser les questions de routine en cherchant le dossier médical qui n’était ni au pied du lit, ni sur la table.

— Pouvez-vous me donner votre nom et savez-vous quel jour nous sommes ?

— Je m’appelle William Greenholm, nous sommes mardi.

La voix était claire, la diction précise.

— Vous cherchez mon dossier ? reprit l’homme.

— En effet.

— Je n’en ai pas, docteur Kinross.

Cette seule phrase surprit Scott à double titre. Comment cet homme connaissait-il son nom, et pourquoi n’avait-il pas de dossier ? Kinross l’observa. À y regarder de plus près, le vieil homme ne se comportait pas comme un patient. Il n’en avait pas le regard.

— Nous nous connaissons ? demanda Scott.

— Moi je vous connais, ou plutôt je connais vos travaux. Je suis ici pour vous proposer un marché.

L’homme rejeta le drap. Il était en fait habillé d’un élégant complet sombre avec chemise et cravate de soie.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? s’étonna Scott.

— Je vous l’ai dit, docteur, je suis venu pour vous parler.

— Vous n’êtes pas malade ?

— Non… enfin pas encore complètement.

Kinross se tendit.

— J’ignore qui vous êtes au juste, monsieur Greenholm, mais vos méthodes ne me plaisent pas. Si vous vouliez me parler, vous n’aviez qu’à prendre rendez-vous. Vous avez intérêt à dégager avant que j’appelle la sécurité…

— Docteur, écoutez-moi. J’ai essayé de prendre rendez-vous mais votre première date disponible est dans trois mois. J’ai une urgence.

— Vous êtes dans un hôpital. Il n’y a que des urgences, ici !

— C’est pourquoi j’ai un marché à vous proposer.

Kinross se balançait d’une jambe sur l’autre. Il était scandalisé.

— Je n’ai jamais vu ça ! Alors maintenant, les labos n’envoient plus de jeunes commerciaux aux dents longues, ils envoient des retraités ?

— Je sais sur quoi vous travaillez et je souhaite y être associé, mais mon intérêt n’est pas celui que vous supposez.

Face à Kinross de plus en plus énervé, l’homme restait calme et s’efforçait de continuer.

— Docteur, je ne représente pas un groupe pharmaceutique et je suis désolé si cette entrée en matière vous choque, mais je crois que ma proposition est honnête.

— Vous vous foutez de moi ? J’appelle la sécurité.

D’un pas volontaire, Scott se dirigea vers la sortie en fusillant Greenholm du regard, mais il heurta de plein fouet quelque chose de dur.

Ce n’était pas la porte, mais le torse d’un homme plus grand que lui d’une bonne tête et barrant le passage. Le médecin recula, surpris. Le grand type était assez jeune, impassible, vêtu d’un long manteau noir. Kinross ne put s’empêcher de penser un bref instant aux agents secrets tels qu’on les représente dans les films. Il n’en croyait pas ses yeux. Cette fois, il était furieux. Il se tourna vers le faux malade :

— Vous comptez me séquestrer ? Est-ce que vous réalisez ce que ça va vous coûter ?

— Je souhaite que vous m’écoutiez quelques instants, c’est tout. Nous perdons du temps.

Scott s’imagina sautant à la gorge du vieil imposteur. Comprenant que Kinross n’était pas décidé à se calmer, l’homme âgé soupira et fit signe à son accompagnateur.

— David, laisse passer le docteur.

Le grand baraqué s’écarta.

— Avant de sortir, docteur, écoutez ceci. Ce sont les termes du contrat que je vous propose. Je vous demande de soigner une personne, une seule. Faites tout ce que vous pouvez. En échange, je vous donne ma fortune pour vos recherches. Vous en ferez œuvre utile. C’est aussi simple que cela.

Kinross s’immobilisa le temps que Greenholm finisse sa phrase. Puis il sortit en disant :

— La prochaine fois, prenez rendez-vous. Vous serez alors soigné. Et comme pour chacun de mes patients, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

Загрузка...