Cette porte-là avait quelque chose de différent. Hold éclaira le sol en lumière rasante. La poussière était présente là aussi, mais en couche plus inégale que dans le reste du complexe souterrain. David s’agenouilla et observa de plus près. Les rares traces étaient elles-mêmes recouvertes, comme si elles dataient de plusieurs années. Le fait qu’elles ne soient pas récentes était une bonne nouvelle.
Il se releva et se dirigea vers l’imposante porte métallique. Comme les autres elle était étanche, comme les autres un volant permettait d’actionner les huit verrous répartis sur son pourtour. Hold posa doucement sa main sur l’acier vieilli. Puis il colla son oreille. L’épaisseur de métal l’empêchait d’en être absolument certain, mais il crut entendre quelque chose, peut-être des voix. Il fit signe à Fawkes de le rejoindre :
— Regarde, fit-il à voix basse. Ils ont posé un verrou pour bloquer le volant. Ils ont la clé de leur côté…
— Mais on a le mécanisme de la porte du nôtre. Si on bousille le verrou, on peut ouvrir. On peut essayer de le casser…
En récupérant des barres de métal abandonnées dans les zones techniques avec Thomas, Fawkes réussit à bricoler un bras de levier qu’il positionna autour de l’axe bloqueur. Dans une pièce en amont, Hold réorganisait son sac à dos. Il ne garda que les explosifs, ses chargeurs, et vissa le silencieux sur le canon de son arme.
— Votre plan ? lui demanda Kinross.
— On ouvre. On voit. On improvise.
— Je suis certain que ça va marcher.
Hold leva les yeux et fixa Kinross :
— Scott, vous restez en retrait, et si je vous en donne l’ordre, vous foutez le camp. C’est compris ?
— Je suis tout chamboulé.
— Pourquoi ?
— C’est la première fois que vous m’appelez par mon prénom.
— Docteur, je ne plaisante pas.
— Ça y est, « docteur » à nouveau. Quelle tristesse ! Moi non plus, je ne rigole pas. Vous croyez que je suis venu pour décamper dès que vous m’en donnerez l’ordre ?
— Je suis désolé de vous le dire, mais ils ont peut-être éliminé Jenni. Vous êtes le seul à pouvoir révéler l’indice et à continuer les recherches.
— Vous dites ça pour me faire peur.
Hold lui lança un regard étrange et ajouta :
— À mon signal, vous fuyez et vous faites exploser le couloir que Ben a piégé. Ils ne pourront plus vous poursuivre et comme il doit y avoir deux cents bouches d’aération, ils n’ont aucune chance de vous cueillir à la sortie.
— Jenni vous dirait qu’il existe un pourcentage précis pour qu’ils m’attrapent à la bonne sortie. 0,5 % en l’occurrence.
Hold attrapa Kinross par son col :
— Écoutez, Scott, je me prépare à passer un sale quart d’heure, alors ne me compliquez pas la vie.
Il le lâcha et tourna les talons. Le docteur resta sous le coup de la surprise. Thomas arriva, croisant Hold.
— Vous n’avez pas l’air très frais, docteur. Si vous avez la trouille, vous pouvez rester en arrière…
Fawkes vérifia que son couteau de combat était bien à sa ceinture. Il s’assura que le silencieux de son arme était vissé correctement, abaissa le cran de sécurité et la replaça dans son holster. Il positionna ses mains autour des barres, prêt à sectionner l’axe. Hold tenait fermement le volant.
— Trois, deux, un…
Le jeune homme serra de toutes ses forces. Il se cramponna et fit peser tout son poids sur le levier de sa cisaille de fortune. Les barres commencèrent à se tordre, mais ce fut le verrou qui céda le premier. L’opération n’avait provoqué qu’un claquement sec. Fawkes déposa ses barres et vint prêter main-forte à David.
Ensemble, ils firent pivoter le volant. Ces verrous-là étaient à peine moins grippés que ceux des portes précédentes. Lorsqu’ils furent tous désengagés, Hold saisit son arme et tira le panneau métallique. À sa grande surprise, il tomba face à un drapeau américain qui pendait comme un rideau. Le passage donnait sur une pièce éclairée. Une télé diffusait une série avec des rires préenregistrés. À travers l’étoffe du drapeau, Scott identifia un lit, des posters de filles et de motos sur les murs et une petite armoire ouverte. Il écarta le tissu. Fawkes venait de franchir le drapeau lorsqu’un homme entra dans la chambre, une serviette sur les hanches.
— Qu’est-ce que…?
Hold n’hésita pas une seconde et tira droit au cœur. Éclat de rire de la télé. Fawkes se précipita pour traîner le corps hors de vue. Applaudissements. Hold s’avança jusqu’à la porte et passa la tête. Un couloir, d’autres portes. Une seule était ouverte, sur une salle de bains dont il ne pouvait voir que des lavabos et les miroirs qui ne révélaient aucune présence. Le bruit de l’eau qui coule, une douche. Il fit signe à Fawkes d’attendre et se glissa dans la salle d’eau. Une seule personne, sous la douche derrière un rideau opacifiant. Il se plaça sur le côté, le silencieux de son arme posé contre sa joue.
— Vance, c’est toi ? appela l’homme sous la douche. Arrête avec ta série à la con. C’est l’heure du match. Change de chaîne, j’arrive.
Fawkes entra à son tour. Il saisit une serviette qu’il enroula sur elle-même avant d’aller se placer de l’autre côté de la sortie de douche.
L’homme coupa l’eau. Il sortit en sifflotant. En un éclair, Fawkes lui passa la serviette autour du cou et serra. Hold lui fit une clé au bras en lui braquant son revolver sous l’œil.
— Combien vous êtes à cet étage ?
L’homme nu suffoquait, mais il ne prononça pas un mot.
— Ne m’oblige pas à répéter, menaça Hold en resserrant sa prise.
— Deux, lâcha-t-il d’une voix étranglée. Les autres sont de permanence.
Il toussa.
— Tu fais quoi, ici ?
L’homme essaya de dégager son bras. David pesa dessus, lui arrachant un gémissement.
— L’informatique.
— Tu me prends pour un abruti ?
L’homme jeta un coup d’œil vers la porte.
— Si tu espères voir arriver Vance, n’y compte pas trop. À mon avis, tu ne verras pas le match non plus. Donc tu bosses à l’informatique. Et vous êtes combien de gentils informaticiens physiquement entraînés comme toi ?
Une silhouette s’encadra dans la porte. David releva vivement son arme et reconnut Kinross juste à temps.
— Qu’est-ce que vous foutez là ? Je vous avais dit d’attendre.
— J’aime pas ce qui passe à la télé, alors je suis venu voir ce que vous faisiez.
— Retournez de l’autre côté.
Kinross s’avança et dévisagea l’homme immobilisé qui avait de plus en plus de mal à respirer.
— Son visage rougit, variation de vascularisation typique en cas de strangulation.
Il s’approcha encore plus près et ajouta :
— Les yeux commencent à s’injecter de sang. Encore quelques minutes et il perdra connaissance.
Hold grogna :
— À quoi vous jouez ?
— Cet homme sait peut-être où est Jenni.
— Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend, gronda David, les dents serrées.
L’homme avait beau suffoquer, la stupéfaction dominait dans son regard. Scott sortit son arme et la pointa contre son flanc.
— Qu’est-ce que vous foutez, Kinross ?
— Je ne sais pas bien me servir d’un flingue, mais je sais exactement où tirer pour le paralyser à vie sans le tuer.
L’affolement commença à s’emparer de l’homme. Kinross s’adressa à lui :
— Nous cherchons une jeune femme blonde de taille moyenne, les yeux bleus. Elle s’appelle Jenni Cooper. Vous savez peut-être où elle est ?
— Kinross, laissez-nous faire ça !
Le docteur enfonça un peu plus son canon dans le flanc de l’homme. Il essaya d’articuler quelque chose.
— Elle est… dans l’autre aile, râla-t-il.
— C’est un bon début. Maintenant, il va falloir nous conduire à elle.