Numéro 84 : « Une fille pour l’été » de Roland Jaccard (2000)

Les supporters du PSG scandent parfois un slogan quelque peu macho : « Une femme pour la nuit, PSG pour la vie ! » Roland Jaccard, lui, voit à plus long terme : il s’accorde Une fille pour l’été. Ce n’est pas très gentil car une fille peut parfois durer plus d’une saison ; parfois même trois ans. Mais Jaccard n’est pas un optimiste. C’est un cynique désabusé, un dandy nihiliste, un Casanova suicidaire, un pessimiste morbide qui n’aime que les jeunes filles japonaises et les écrivains austro-hongrois. Roland Jaccard a tout compris aux femmes : pour coucher avec elles, il leur explique que la vie ne sert à rien, que tout est horrible, que ce sera fini avant d’avoir commencé, et que « chaque nouvelle conquête annonce une nouvelle défaite ». Ce discours leur plaît parce qu’il arrive toujours un moment dans leur vie où les femmes en ont marre des menteurs.

Une fille pour l’été raconte un voyage à Tokyo en compagnie de Shade, une étudiante aux Beaux-Arts, timide donc sexy. Elle l’appelle « le vieux monstre », et il est vrai que Roland Jaccard ressemble de plus en plus à un mélange de Gabriel Matzneff et Humbert Humbert, surtout quand il écrit : « J’étais arrivé à un âge où toutes les femmes que je désirais auraient pu être ma fille. » Dans d’autres textes de ce recueil, il fait songer aussi au personnage interprété par Fabrice Luchini dans La Discrète — un Valmont d’opérette pris à son propre piège. Comment font les grands play-boys pour ne jamais tomber amoureux ? Leur sécheresse m’a toujours épaté. Le flirt estival reste un jeu dangereux, et les nunuches sont aussi vulnérables que les blasés.


Une fille pour l’été doit se lire en bord de mer, en suçant un bâtonnet de Chupa-Chups ou une fraise Tagada, avec en fond sonore Jusqu’à demain peut-être, la plus belle chanson de Michel Fugain, dont le premier couplet dit ceci : « Je ne sais pas encore / Le temps qu’il durera / Cet amour que nous vivons là / Jusqu’à demain peut-être / Ou bien jusqu’à la mort. » Ce livre est une véritable pilule d’ecstasy littéraire : il se gobe rapidement, provoque le sourire, puis le rire, puis les larmes, sans parler d’autres effets secondaires (sentiment lancinant de la vanité de toute chose, certitude de l’inutilité de l’univers, àquoibonisme aigu). Roland Jaccard est sado-maso avec lui-même, sous le regard blasé de créatures de rêve en tee-shirt rose et minijupe en jean. Ce spécialiste du malheur sait exactement comment être heureux, mais ne s’en vante pas. Dans un autre de ses livres (Le Rire du diable, 1994), ne disait-il pas : « Le bonheur, nous finissons toujours par l’éprouver, mais sous la forme qui nous plaît le moins » ?

Roland Jaccard, une vie

Le scoop, c’est que Roland Jaccard est toujours en vie : en effet, son fonds de commerce a toujours été l’apologie du suicide et de l’euthanasie. Mais (comme Cioran) il n’a jamais mis sa menace à exécution et c’est heureux : cela nous permet de nous régaler de ses aphorismes tristes, de ses journaux intimes où l’autodénigrement compense l’exhibitionnisme, de sa philosophie aussi noire que son humour (La Tentation nihiliste, 1989 ; Flirt en hiver, 1991 ; Journal d’un homme perdu, 1995). Parallèlement à sa production personnelle, Roland Jaccard, né à Lausanne en 1941, a écrit dans Le Monde pendant trente-deux ans (1969–2001) et dirige une collection intitulée Perspectives critiques aux Presses universitaires de France. Imaginez la force de caractère qu’il a fallu à cet homme-là pour persister, malgré d’aussi hautes fonctions, à se considérer comme « un vieux con pontifiant et un hypocondriaque insupportable ».

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