Numéro 33 : « Le Lièvre de Vatanen » d’Arto Paasilinna (1975)

Arto Paasilinna est un écrivain célèbre bien que finlandais. Malheureusement pour moi, jusque récemment, je ne l’avais pas lu, donc à chaque fois qu’on me demandait : « Connaissez-vous Paasilinna ? », j’étais obligé de m’en sortir par des pirouettes fastidieuses du genre : « Je préfère Savitz-kaya » ou « Non, merci, j’ai arrêté les biscottes suédoises au petit déjeuner ». Mais désormais tout va changer. Désormais je pourrai tenir tête aux fans du génial bûcheron finnois. Désormais je vais même en profiter pour vous convaincre de rejoindre la grande cohorte des paasilinnophiles. Car, désormais, j’ai lu Le Lièvre de Vatanen.

Ce livre, qui ne m’a pas attendu pour être un classique, démarre discrètement. Vatanen n’est pas le célèbre champion de rallye, mais un journaliste blasé et dépressif de Helsinki. Il heurte un lièvre avec sa voiture. Il s’arrête, cherche, retrouve le lièvre (qui ne lui a pas posé de lapin), puis disparaît dans la forêt. Son collègue photographe fiche le camp, car il s’en fout de Vatanen (sa femme aussi, d’ailleurs). Fable écologique ? Poésie néobeat ? Conte philosophique ? Le Lièvre de Vatanen est surtout un hymne à l’évasion. C’est le Sur la route nordique. Vatanen est tout simplement un mec qui en a marre de sa vie et saisit le premier prétexte venu pour ne pas rentrer chez lui.


Le style de Paasilinna est aussi laconique que lapon. Il avance par petits paragraphes gelés, presque paresseux. Paasilinna contemple son personnage avec l’angoisse d’un lièvre devant un civet. C’est l’écriture minimum : on dirait que l’auteur a voulu disparaître autant que son héros. Publié à Helsinki en 1975, ce roman picaresque décrit un évanouissement, une évaporation qui étaient encore possibles à l’époque, puisque les Finlandais n’avaient pas encore inventé Nokia.

Plus on est particulier, plus on est général. Vatanen a beau être un reporter finlandais, il traverse la classique « midlife crisis » du quadragénaire qui veut tout plaquer. Dans sa fuite vers le Grand Nord pour sauver la vie du lièvre inconnu, il croise des gens, certains l’aident, d’autres appellent les flics (il se fait arrêter pour « possession d’animal sauvage »), beaucoup tentent d’assassiner le lièvre pour différentes raisons, aussi absurdes les unes que les autres (religieuses, commerciales ou par superstition). Il abat même un ours avant une fin à la Marcel Aymé. Le Lièvre de Vatanen aurait pu s’intituler « Easy Rabbit » (pour faire écho à Easy rider). C’est aussi l’histoire d’un impossible retour à la nature, comme Into the wild de Jon Krakauer vingt ans plus tard (1996). La principale différence étant l’humour permis par la fiction.

Arto Paasilinna, une vie

Né en Laponie finlandaise en 1942, Arto Paasilinna s’est lancé dans diverses branches professionnelles : il fut successivement bûcheron, ouvrier agricole, journaliste et poète. Il a fini par choisir le métier de romancier, qui faisait plus sérieux sur son curriculum vitae. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres traduits dans le monde entier, dont Le Lièvre de Vatanen, Le Meunier hurlant, La Cavale du géomètre, Le Fils du dieu de l’Orage (j’aime bien ce titre qui évoque la série Kung Fu), La Forêt des renards pendus (celui-là fait plutôt penser au Projet Blair Witch), Prisonniers du paradis (hilarante variation autour de Robinson Crusoé, cette fois entouré sur son île d’une brochette de Suédoises en chaleur !), La Douce Empoisonneuse et Petits suicides entre amis. J’ignore si Arto Paasilinna figure sur la liste des nobélisables. Tout ce que je sais, c’est que, si les Suédois me demandaient mon avis, je leur conseillerais d’arrêter de couronner des écrivains lointains alors qu’ils ont cet incroyable énergumène tout près de chez eux, dans une cabane de rondins.

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