Faites comme Radiguet : désobéissez. Mordez la main qui vous nourrit. La Première Guerre mondiale ? « Quatre ans de grandes vacances » (Le Diable au corps). Éclatez de rire si l’on vous fait le moindre reproche. Moquez-vous de vos amis autant que de vos ennemis. Quittez tout ce qui vous entrave. « Les journées de la semaine prochaine attendent » (poème de 1919). « Encore une année trop courte/ Pour toutes les fêtes à souhaiter » (autre poème de 1919). Soyez travailleur sans cesser de vous amuser. « Malgré l’azur insolent qui nous limite, continuons à charmer les lectrices des magazines anglais » (Les Joues en feu, 1920). L’avantage avec les citations, c’est qu’elles m’évitent de bosser. La paresse rend libre. « Les jours de pluie seraient-ils passés ? Le ciel se referme, vous n’avez pas l’oreille assez fine. » (On dirait Rimbaud ? Eh non, toujours Radiguet, poème en prose de 1920.) J’écris comme Sollers. C’est tout un art de citer l’auteur dont on parle afin de le laisser parler de lui. Apprendre à s’effacer. Disparaître derrière l’original. « L’absence d’amour ! ne nous plaignez pas : on accorde plus de valeur aux bibelots et sentiments, quand ils nous font défaut. » (Conte de mars 1920.)
On connaissait Le Diable au corps (François se tape la fiancée du soldat inconnu, et la largue dès qu’elle est enceinte) et Le Bal du comte d’Orgel (remake de La Princesse de Clèves et du Lys dans la vallée : lors d’un bal, François tombe amoureux d’une femme mariée mais ne couche jamais avec elle), chefs-d’œuvre faussement classiques et vraiment précieux, décrivant des amours impossibles, torturées par l’excès de psychologie. Radiguet a dit une chose très importante sur l’écriture : « La discipline que doit s’infliger tout écrivain qui a une personnalité, c’est de rechercher la banalité. » Il n’en a pas toujours tenu compte, mais c’est une remarque fondamentale sur laquelle Simenon a bâti toute son œuvre.
La nouvelle compil’ des œuvres de Raymond Radiguet en Livre de Poche nous permet de découvrir un poète léger, un journaliste insolent, un auteur dramatique pas théâtral, un écrivain moins éphémère que sa durée de vie. Un autre Rimbaud, qui aurait remplacé l’Abyssinie par les bars de Montparnasse, et Verlaine par Cocteau. « Nous étions des enfants, debout sur une chaise » (Le Diable au corps). Jean Cocteau est émerveillé par l’adolescent perpétuel : il aura le courage de reconnaître que cet élève est devenu son maître.
La jeunesse est impardonnable, et l’Art injuste. Radiguet est un sale gosse bourré qui se drogue au Bœuf sur le Toit, rue Boissy-d’Anglas, pour faire mieux que ses copains Satie, Max Jacob, Picasso, Diaghilev. Et en plus, il a l’outrecuidance de mourir tôt pour mieux les encombrer de sa postérité. « Le bonheur est égoïste » (Le Diable au corps). On voudrait que les artistes soient des gens gentils ? Ce sont des monstres innocents.
Le James Dean de la littérature française. « Un enfant après la course, seul au monde, assis dans une gloire, les joues en feu » (Cocteau). « Petit être myope, habituellement silencieux, qui promenait son visage de marbre au milieu des conversations et des rires » (Nimier). « Monsieur, c’est un enfant avec une canne… » (Justin, le valet de chambre de Cocteau). « Un bolide indolent » (Paul Morand). « Il jette sa vie par les fenêtres » (Renaud Matignon). « Drôle de métier que celui de météore » (François Bott). Oui, Raymond Radiguet (18 juin 1903-12 décembre 1923) est une étoile filante : par conséquent, quand on le lit, il faut faire un vœu. Premiers poèmes publiés en 1918, à l’âge de 15 ans ; puis petits reportages et échos dans la presse ; un opéra-comique, une pièce de théâtre, et déjà Le Diable au corps, son premier roman, écrit à 17 ans, paraît chez Bernard Grasset en 1923. Quant au Bal du comte d’Orgel, il sera posthume (et peut-être rewrité par Cocteau), la fièvre typhoïde l’ayant emporté, son œuvre à peine achevée. S’il avait vécu quatre-vingts ans, Radiguet serait-il devenu laid et barbant comme tout le monde ? On ne le saura jamais. Tel est le principal avantage de mourir jeune : on vieillit moins longtemps.