Numéro 51 : « Carton jaune » deNick Hornby (1992)

Fever pitch est le seul roman que je connaisse sur la folie du football. Carton jaune raconte l’histoire d’une obsession. Celle d’un petit Anglais nommé Nick Hornby, qui, de 1968 à nos jours, n’a jamais cessé de se passionner pour l’équipe d’Arsenal. Tout cela par la faute de son père, qui l’emmena à l’âge de 11 ans, en 1968, voir un match de ce club après avoir quitté sa mère. (À noter qu’on trouve la même scène dans The Full Monty : les pères divorcés — ou les scénaristes — manquent d’imagination.) Le football devient alors leur seul lien. Il est parfois difficile de communiquer avec ses parents : par le truchement de cette passion sportive, le dialogue père-fils est rétabli. Par conséquent, selon Hornby, pour être un vrai supporter, il faut avoir été traumatisé quelque part. Le foot vient combler un manque. Les deux places de Nick et son père dans la tribune du stade d’Arsenal, à 40 kilomètres au nord de Londres, deviendront sa nouvelle famille, sa nouvelle maison. En psychanalyse, on nomme cela un « transfert » (attention : en football, cela ne signifie pas tout à fait la même chose, et coûte plus cher). Pour Nick Hornby, une équipe de foot équivaut donc à onze psychanalystes en short qui courent après un ballon rond.

Le petit garçon se met à collectionner les autocollants, il joue au foot avec une balle de tennis dans la rue, il rencontre beaucoup de nouveaux amis, aussi dingues que lui. Puis il vieillit mais ne guérit pas de cette maladie. C’est ce virus que bon nombre de Français ont attrapé un certain 12 juillet 1998 sur les Champs-Élysées par exemple. Mais cette communion est un dérivatif qui peut dégénérer en défouloir. Nick Hornby montre très bien comment la haine se développe : haine de l’équipe adverse, bien sûr, haine de l’arbitre, de l’entraîneur, voire de sa propre équipe quand elle perd, haine des supporters adverses, haine de soi. Comme une très large majorité de drogués du foot, sa haine ne se transforma, Dieu merci, jamais en violence, même s’il en fut parfois la victime.

Carton jaune est une version footballistique de La Gloire de mon père de Pagnol : une autobiographie sensible, burlesque et poignante. Sa drôlerie stylisée évoque aussi les fameuses chroniques du Tour de France d’Antoine Blondin. Le prodige de ce livre, c’est de parvenir à nous passionner pour le sort d’une équipe de hooligans ventripotents qui perdait souvent, sous une pluie glacée, dans les années 70–80. Cela dit, pour améliorer votre confort de lecture, rien ne vous empêche de remplacer Charlie George par Zidane, Bob McNab par Blanc et Niall Quinn par Thierry Henry.

Nick Hornby, une vie

Nick Hornby est né en 1957. Vers la fin des années 80, il a renoncé à l’enseignement pour se consacrer à l’écriture et au journalisme. Son premier bouquin paru en France s’intitulait Haute Fidélité (Pion) : ce roman sur les femmes et les disques de sa vie, traduit dans douze langues, était en réalité son deuxième livre. Carton jaune (en anglais Fever pitch : « la fièvre du terrain ») est en effet paru en 1992. Lui aussi a été un gros succès : 400 000 exemplaires vendus. Le critique du magazine GQ n’a pas hésité à le qualifier de « meilleur livre sur le football jamais écrit » et de « livre le plus drôle de l’année ». Il a été adapté au cinéma, comme Haute Fidélité. Hornby a publié ensuite d’autres romans (Juliet, naked sur un fan de rock était très réussi en 2009) mais ce qu’il a fait de meilleur est un scénario de film : Une éducation de Lone Scherfig avec Carey Mulligan. Le long-métrage le plus élégant de 2009.

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