Charles Simmons est un perfectionniste qui écrit lentement (un roman tous les dix ans). Il prend son temps pour faire court. Le titre original des Locataires de l’été est Sait water (Eau salée) mais ce roman se boit comme un shot de vodka. Il raconte un premier amour façon Tourgueniev (l’auteur lui-même reconnaît s’en être inspiré) : celui du jeune Michael (15 ans) pour sa voisine de vacances, la photographe Zina Mertz (20 ans). Cette créature d’origine russe le surnomme Micha et lui fait découvrir la vodka (justement), les bisous sur les yeux, la jalousie et la mort.
Le coup de foudre a lieu durant l’été 1968, dans un paysage d’Edward Hopper (c’est-à-dire une publicité pour Ralph Lauren). La côte Est des États-Unis est un endroit aussi chic que déprimant, surtout que le papa de Michael est lui aussi fasciné par la belle Zina, son teint mat, ses dents blanches, son jeune âge. Ce trio infernal navigue allègrement vers la catastrophe devant la plage du cap Bone. Quand le père et le fils regardent la même nana, cela porte le même nom depuis deux mille cinq cents ans : une tragédie.
Tout le génie de Charles Simmons consiste à annoncer cette tragédie dès la première phrase : « C’est pendant l’été de 1968 que je tombai amoureux et que mon père se noya. » Dès cette brutale entrée en matière, nous sommes prévenus : encore une histoire d’amour qui finira mal. On tourne donc les pages avec crainte, avidité et admiration devant le brio de l’auteur. Combien d’années de souffrances faut-il à un écrivain pour produire autant de chagrin contenu ? Il faut avoir vécu (longtemps), travaillé (plus longtemps), observé les autres (encore plus longuement) avant de parvenir à toucher au but : charmer des êtres qu’on ne connaît pas en créant des êtres qui n’existent pas.
Les Locataires de l’été est le roman parfait qu’on a envie de lire et de relire et de rerelire et de rererere-rerelire comme L’Attrape-Cœurs, Gatsby le Magnifique ou Bonjour tristesse. Un roman simple et délicat, toujours en équilibre instable entre ellipse et lyrisme. « L’eau, le ciel, le sable. Multipliez cela par le jour et la nuit et cela ne fait toujours que six choses à regarder. » Certes, à force de lire des romans pessimistes, on va finir par ne plus croire au romantisme. Et alors ? C’est peut-être ainsi que l’on devient heureux — ou adulte. Que fait ce petit texte, banale histoire d’une désillusion estivale, chic et sans ambition révolutionnaire, dans un classement des cent livres du siècle ? J’ai remarqué que tous les gens à qui je l’offrais se confondaient en remerciements. Les Locataires de l’été est une lecture douce, feutrée, une trahison atrocement calme, une éducation sentimentale, brève et salée. Sa présence ici ne doit rien à la théorie littéraire : c’est juste l’occasion de rappeler que le but de la littérature, c’est aussi tout simplement d’écrire un bon livre.
Charles Simmons vit à New York. Il est né en 1924, ce qui lui fait 87 ans. On pourrait donc croire qu’il s’agit d’un vieil écrivain américain. Erreur ! Il n’y a qu’en France que les gens de 87 ans écrivent comme des gens de 87 ans. Charles Simmons est seulement un jeune homme de 20 ans ayant la particularité d’être né en 1924 et d’avoir obtenu le prix Faulkner en 1964 pour Powdered Eggs (confession sexuelle digne de Portnoy ou Sexus, introuvable en France, ce qui est une honte). Accessoirement, il fut critique littéraire pour la New York Times Book Review durant deux décennies, et il a un beau visage buriné, dont il parle dans un autre de ses livres : Rides.