1 Souverain de toute la Russie



Par le pouvoir dont il jouit sur ses sujets, il dépasse aisément l’ensemble des monarques du monde.

Sigismond de HERBERSTEIN.


Les Rerum Moscovitarum commentarii du baron Herberstein, ambassadeur de l’empereur Maximilien à Moscou, constituent le premier témoignage d’un étranger sur le puissant État brusquement apparu, du moins pour l’Occident, au premier plan de la scène internationale. L’émissaire impérial se rend à Moscou par deux fois (la première en 1517), sous le règne de Vassili III. Le diplomate est frappé par le pouvoir dont jouit le grand-prince, fils d’Ivan III et père d’Ivan IV le Terrible. Ce pouvoir – son envergure et ses fondements idéologiques –, Vassili III le tient de son père. Le règne d’Ivan III compte en effet parmi les périodes capitales de l’histoire de Russie. Les contemporains devaient décerner au souverain le titre de « Grand », qualificatif amplement mérité.

La chronologie jointe à l’article « Russie » du Dictionnaire encyclopédique de 1899, relève les principaux événements survenus dans la seconde moitié du XVe siècle : campagne d’Ivan III contre Novgorod (1471) ; mariage d’Ivan III avec Sophie Paléologue (1472) ; rattachement de Novgorod à Moscou (1478) ; abolition du joug tatar (1480) ; rattachement de Tver à Moscou (1485) ; publication du Soudiebnik, le premier code des lois (1497) ; fin de la Horde d’Or (1502) ; trêve avec la Lituanie (1503) ; condamnation de l’hérésie judaïsante (1504). La liste qui précède souligne particulièrement l’action menée par Ivan III en politique extérieure : annexion de Novgorod et de Tver, libération du joug tatar, guerre et paix (qui sera de courte durée) avec la Lituanie, mais aussi mariage avec une princesse byzantine – qui aura une influence considérable sur l’élaboration de l’idéologie impériale –, condamnation des judaïsants – une décision de premier ordre dans l’histoire de l’Église russe –, enfin élaboration du Soudiebnik, qui fait le bilan de l’action administrative d’Ivan III.

La politique étrangère est le souci majeur d’Ivan III. Beaucoup plus tard, après la brusque disparition de l’Union soviétique, une nouvelle expression géopolitique fera son apparition : « l’étranger proche ». Elle désigne les ex-républiques soviétiques devenues indépendantes, et traduit un refus inconscient de laisser les anciennes composantes de l’URSS rejoindre « l’étranger lointain » – autant dire, un autre monde. Toutes proportions gardées, l’on peut estimer qu’il existe, pour la Moscovie de la seconde moitié du XVe siècle, un étranger « proche » et « lointain ». Le second englobe toutes les terres situées hors de la principauté de Moscou ; le premier, lui, est constitué par les oudiels, qui entrent dans la composition de la principauté mais restent sous l’autorité de leurs propres princes, proches parents du grand-prince moscovite.

Le rassemblement de la Rus est impossible sans l’unification de la Moscovie. Avec les premiers princes moscovites, on voit s’amorcer deux processus parallèles : l’agrandissement du territoire de la principauté, au détriment des terres voisines, et le renforcement de l’autorité du grand-prince, au détriment des possessions des princes patrimoniaux. Au moment où Ivan III monte sur le trône, il n’est pas le seul maître de la principauté de Moscou : il a quatre frères et un oncle, tous dotés d’oudiels. En d’autres termes, entrent formellement dans la composition de la principauté de Moscou cinq principautés patrimoniales dont les rapports mutuels sont définis par des traités.

Dans la seconde moitié du XVe siècle, la Rus est constituée de deux grands territoires : l’un, au sud-ouest, se trouve sous la domination de la Pologne et de la Lituanie, l’autre, au nord-est, paie le tribut au khan. Au nord-est coexistent, à côté de la principauté de Moscou, deux groupes de territoires autonomes : les villes franches – Novgorod, Pskov, Viatka – et quatre grandes-principautés – Riazan, Rostov, Iaroslavl et Tver. Malgré un élargissement considérable de ses frontières depuis les règnes de Daniel et d’Ivan Kalita, et une puissance croissante, Moscou le cède encore, par la superficie, non seulement à la Lituanie, mais aussi à Novgorod. La frontière passe à quelque cent kilomètres de la capitale : au nord, elle sépare Moscou de Tver, la principauté russe qui lui est la plus hostile ; au sud, la ligne de défense contre les Tatars court le long de l’Oka ; à l’ouest, s’étend la frontière avec la Lituanie.

Le « rassemblement » de Moscou – un inlassable accroissement de son territoire – fonde la politique de tous ses princes. Ivan III poursuit l’œuvre de ses ancêtres. Le droit au « départ », liberté fondamentale au temps des oudiels, devient l’instrument majeur de la désagrégation des principautés patrimoniales ; une désagrégation qui permet à Moscou de les « dévorer ». Le droit au « départ » autorisait les paysans, mais aussi les princes, à passer du service d’un grand-prince à celui d’un autre. À compter du XIVe siècle, ce droit commence à se restreindre considérablement : dans les accords entre princes, apparaissent des paragraphes précisant les conditions d’acceptation ou de rejet des « transfuges », et dans quel cas il convient de les livrer à leur ancien maître. En prenant de la force, Moscou élabore sa propre conception du droit au « départ » : elle accueille volontiers ceux qui se rallient au prince de Moscou, et marque au sceau de l’infamie ceux qui le quittent. Plus l’attrait de Moscou est grand – au fur et à mesure qu’augmentent sa puissance et sa richesse –, plus nombreux sont les fuyards à y rechercher un abri, ce qui ajoute encore à sa grandeur.

Œuvrant activement à l’anéantissement des oudiels compris dans la principauté de Moscou, Ivan élargit avec zèle ses frontières. Usant de la force, de la ruse, des liens matrimoniaux, Ivan III acquiert les principautés de Riazan, Iaroslavl et Rostov. En 1485, Tver tombe à son tour, naguère encore la rivale la plus menaçante de Moscou. La chute des oudiels s’effectue avec l’approbation sans mélange de leur population. Les chroniques rapportent qu’à maintes reprises, les droujinas locales livrèrent leur prince à Moscou. Et lorsque Ivan III arriva aux portes de Tver, la foule des princes et des boïars passa dans le camp moscovite. Le chroniqueur de Tver voit dans la trahison la principale cause du déclin, puis de la chute, de sa principauté.

Ivan III conduit en vaste front sa politique extérieure, agissant simultanément dans plusieurs directions. En 1471, le grand-prince moscovite marche sur Novgorod. La république marchande est alors déchirée par un conflit social : l’élite des boïars et des marchands, transformée en véritable oligarchie, détient tout le pouvoir. Le viétché est en perte de vitesse, ses décisions n’ayant pas force de loi. Du jour au lendemain, l’élite de la société peut décider de donner une bonne « râclée » aux « braillards » de l’assemblée, ou les acheter et tout renverser. Les boïars ont en outre créé leur « conseil », parallèle au viétché et, en règle générale, plus efficace. Deux partis se font jour dans la cité : celui des boïars, et celui de la « plèbe ». Le premier demande l’appui de la Lituanie, le second le soutien du prince moscovite. La signature d’un traité d’union, en 1471, avec le grand-duc Casimir de Lituanie, également roi de Pologne, est le prétexte d’une guerre. La décision prise par Novgorod d’accepter un gouverneur lituano-polonais et le respect des franchises promis par Casimir, suscitent le mécontentement de Moscou qui voit, dans le comportement des Novgorodiens, une trahison nationale et religieuse. La puissante armée moscovite est envoyée contre Novgorod, commandée par Daniel Kholmski, l’un des meilleurs chefs de guerre de son temps. Elle est en outre appuyée par la cavalerie tatare, conduite par le tsar de Kassimov.

La résistance novgorodienne n’a pas l’ombre d’une chance face à l’armée russo-tatare. Elle est mise en pièces sur les bords de la Chelogne. Novgorod renonce dès lors à tout contact avec la Lituanie, et est contrainte de payer à Moscou une énorme contribution. Dans l’incapacité d’apporter une aide directe à son alliée, le roi Casimir dresse contre Moscou le khan de la Horde d’Or, Ahmed, qui marche jusqu’à l’Oka, puis s’arrête. Ivan III a envoyé contre lui des Tatars amis, prêts à frapper la Horde sur ses arrières, si elle continue sa progression vers Moscou. Ahmed rebrousse chemin et regagne en hâte ses steppes.

Le parti moscovite de Novgorod ne cesse de demander le soutien du prince de Moscou, contre ses adversaires. En 1475, Ivan III part pour Novgorod, afin de juger par lui-même et d’en finir avec les partisans des anciennes franchises. En 1478, il lance une nouvelle campagne contre la ville. Selon le chroniqueur, aux Novgorodiens qui s’enquièrent de ce qu’il leur veut, Ivan répond : « La cloche du viétché n’a pas sa place à Novgorod, elle doit se trouver, conformément à ma volonté souveraine, à Moscou ». La ville assiégée se scinde en deux camps : les partisans de l’affrontement et ceux de la soumission à Ivan III. Au terme de longues discussions, décision est prise de faire allégeance au prince moscovite. La répression commence. La cloche qui annonçait les réunions du viétché, symbole des franchises dont jouissait « Monseigneur le Grand Novgorod », est transférée à Moscou. Les chefs du « parti lituanien » sont capturés et emmenés. La « purge » se poursuivra de longues années durant. Au total, d’après les calculs des contemporains, Ivan III « privera » Novgorod de dix-huit mille familles, soit quelque soixante-douze mille personnes ; beaucoup d’autres se réfugieront en Lituanie. Les possessions des fuyards et des exilés seront versées au trésor du grand-prince moscovite. Le trésor, l’or, l’argent, les pierres précieuses appartenant à l’archevêque de Novgorod seront également saisis et expédiés à Moscou. Décrivant les pillages et la répression, le chroniqueur novgorodien conclut : « Je pourrais ajouter bien des choses, mais je n’en ai point le courage, si grande est mon affliction. »

La soumission de Novgorod a des conséquences économiques et stratégiques très importantes. Devenues moscovites, les possessions septentrionales de Novgorod élargissent les limites de Moscou jusqu’à l’océan Glacial arctique et constituent la place d’armes d’une future progression à travers la Sibérie, en direction du Pacifique. Plus grande encore est la signification politique des victoires d’Ivan III : un système, étranger à la conception moscovite du pouvoir absolu, est désormais liquidé. Les conflits sociaux qui déchiraient Novgorod, et lui furent finalement fatals, sont, pour la plupart des historiens russes, la raison fondamentale de l’annexion de cette ancienne démocratie de Russie, de cette cité franche par Moscou.

Novgorod dérangeait Moscou ; le viétché également, mode d’expression d’une libre volonté, certes imparfait, mais qui fonctionnait. Et ne parlons pas des liens avec l’Occident : Novgorod recherchait un appui contre Moscou auprès de la Lituanie, mais elle entretenait aussi des relations avec les villes allemandes, la Hanse. L’individualisme actif des marchands novgorodiens qui, à leurs risques et périls, cherchaient fortune en terre lointaine, déplaisait. Avec la retentissante défaite subie par Novgorod, la boucle est définitivement bouclée : huit siècles se sont écoulés depuis qu’une poignée de Varègues, conduits par le légendaire Rurik, était partie de Novgorod chercher fortune et conquérir de nouvelles terres ; l’héritier de ces conquérants dévore la ville d’où avait commencé l’histoire écrite de la Rus.

La politique novgorodienne d’Ivan III est directement liée aux rapports de Moscou avec ses deux principaux adversaires : la Lituanie prétendait au rôle de tuteur de Novgorod et avait conclu une alliance avec la Horde d’Or qui, à son tour, avait besoin de l’aide lituanienne dans sa lutte contre le prince moscovite. Le khan Ahmed, allié de la Lituanie, avait, nous l’avons vu, entrepris pour la soutenir une campagne contre Ivan III, en 1472 ; il était reparti sans parvenir à ses fins, ni même livrer bataille.

Huit ans plus tard, il tente une nouvelle campagne. Au cours de l’été 1480, sur les bords de l’Ougra, affluent de l’Oka et frontière entre les possessions moscovites et lituaniennes, Russes et Tatars s’affrontent du regard. Ils demeurent longtemps sur des rives opposées et se séparent sans combattre. Car les Russes ont aussi un allié parmi les Tatars : les détachements du khan de Crimée, Menghi-Ghireï, avec lequel Ivan III a conclu un traité d’aide mutuelle.

Les historiens russes ont coutume de voir, dans le non-affrontement de l’Ougra, la fin officielle du « joug » tatar, le signe de la délivrance. Ivan III refuse de payer plus avant le tribut à la Horde d’Or. Moscou, cependant, n’en est pas pour autant libérée du danger tatar : les incursions dans la Rus et dans la capitale de la principauté se poursuivront encore des décennies durant. Mais la menace tatare sera d’une autre nature. La dépendance de la Russie prendra fin, remplacée par des relations tour à tour amicales ou hostiles, selon les circonstances et le poids des parties en présence. Et surtout, la politique tatare d’Ivan III et de ses successeurs se fondera sur les multiples possibilités de manœuvrer entre les nombreux khanats (ou tsarats, comme les nomment les contemporains) surgis sur les ruines de la Horde d’Or définitivement anéantie en 1502.

Le caractère conventionnel de la date de libération, la mise en parallèle d’un non-événement – le pseudo-affrontement de 1480 – avec les événements sanglants qui l’ont précédé – invasion de Batou, prise de Kiev, destruction de Moscou, bataille du Champ-des-Bécasses – montrent toute la relativité du « joug » au XVe siècle. On a coutume de parler de « deux cent cinquante années de joug tatar ». La formule vise à expliquer la nature de l’État russe, la psychologie du peuple, et bien d’autres choses encore. En 1905, le statisticien allemand Rudolf Martin écrit un ouvrage intitulé : L’Avenir de la Russie et du Japon, dans lequel il prédit la révolution russe, conséquence de la défaite subie par l’empire de Nicolas II dans le conflit avec l’Empire du Soleil Levant. Le livre connaît un succès international et, un an plus tard, paraît en russe sous le titre : L’Avenir de la Russie. Dans un chapitre consacré aux causes de la catastrophe russe, l’auteur explique tout très simplement : « Par les vertus de la domination exercée durant trois siècles par les Tatars (1239-1480), la Russie est tombée si bas qu’elle ne s’en est toujours pas relevée. Les princes tatars ont si bien pressuré le pays qu’ils ont ôté au peuple tout désir de travailler1. » Rudolf Martin n’est pas historien et il use, pour son argumentation, des clichés en vogue à l’époque. Les historiens, nous l’avons dit, préfèrent nuancer fortement leur appréciation des deux cent cinquante ans de soumission de Moscou au pouvoir du khan. Cette nature plurielle du « joug » et de son rôle dans l’histoire de la Russie apparaît dans l’évolution de l’interprétation qui en est donnée, aux diverses époques.

Le lien entre l’attitude de la Russie à l’égard de l’Occident et la période tatare, est particulièrement important. Une brouille avec l’Occident, le mécontentement de la Russie à son égard suscitent généralement une évocation émue de la Horde d’Or, une bouffée de sympathie et d’affection envers l’Asie. Il s’agit le plus souvent de moments de crise et de faiblesse pour la Russie. Ainsi la première moitié du XIXe siècle, marquée par l’invasion napoléonienne et l’insurrection polonaise de 1830, est-elle une période d’ardente tatarophilie. La littérature s’attendrit alors sur le « bon temps » du passé tatar. Raphaël Zotov, dramaturge populaire, écrit en 1823 une pièce intitulée : La Jeunesse d’Ivan III ou l’invasion de Tamerlan, dans laquelle un précepteur tatar assume l’éducation du jeune prince moscovite. L’actuelle explosion d’intérêt pour « l’eurasisme », la théorie élaborée par Lev Goumilev d’une « symbiose russo-tatare » aux XIIe-XVe siècles, ne font que confirmer la règle : les années quatre-vingt-dix sont une période de crise profonde. L’attitude envers le « joug » tatar et l’Asie reflète, au bout du compte, l’état de la Russie.

Kazan est au centre de la politique orientale d’Ivan III. Elle représente un changement dans la répartition des forces. Sur les ruines de la Horde d’Or, trois khanats se sont érigés. Le premier, dans les années trente du XVe siècle, est le khanat de Crimée ; puis viennent, dans les années quarante, celui de Kazan et, dans les années soixante, celui d’Astrakhan. Le dernier est le plus faible ; occupant les territoires situés entre la Basse-Volga et l’embouchure du Don, le Kouban et le Terek, il n’a pas un rôle important dans le jeu politique. Le khanat de Crimée qui englobe, outre la Crimée, un territoire considérable, limité à l’est par le cours inférieur du Don, à l’ouest par l’embouchure du Dniepr, et au nord par une ligne allant jusqu’à Ielets et Tambov, est, au temps d’Ivan III, l’allié de Moscou. Le prince moscovite veut à toute force asseoir un de ses hommes sur le trône de Kazan et placer le khanat sous sa dépendance. Il participe activement à la lutte fratricide que se livrent les prétendants, soutenant son favori contre les autres. Par cinq fois, les armées de Moscou, renforcées par des détachements tatars amis, marchent sur Kazan. En 1487, les troupes du voïevode moscovite Daniel Kholmski prennent la capitale du khanat et placent sur le trône le protégé d’Ivan III.

Menghi-Ghireï, khan de Crimée qui combat la Horde d’Or, jouit du soutien inconditionnel de Moscou, ce qui lui permet, en 1502, de défaire le dernier khan de la Horde, définitivement anéantie. Agissant par l’intermédiaire de ses vassaux et des chefs tatars alliés, Ivan III obtient de réels succès dans sa politique orientale.

Voisines et rivales de toujours, Moscou et la Lituanie, semblables des années durant, commencent à changer sous la pression de forces qui poussent les deux États dans des directions différentes. Si l’on adopte le point de vue d’Arnold Toynbee, pour lequel chaque peuple réagit à sa façon au défi des facteurs géographiques et politiques – ce qui constitue l’histoire d’un peuple et d’un État –, il apparaît que Moscou et la Lituanie ont des réactions diamétralement opposées à un environnement géopolitique similaire. Tandis que Moscou est le théâtre d’un processus centripète, menant au renforcement du pouvoir du grand-prince et de sa capitale, on assiste en Lituanie à un mouvement centrifuge, dont le résultat est un affaiblissement du pouvoir du grand-duc et un élargissement des droits des princes locaux et des pans polonais. La présence, en Lituanie, de deux confessions – orthodoxe et catholique – entraîne l’intervention de Moscou l’orthodoxe et de la Pologne catholique dans la politique intérieure du grand-duché.

En 1492, après la mort du roi de Pologne Casimir, également grand-duc de Lituanie, le trône lituanien est occupé par son fils Alexandre. Un autre fils de Casimir, Jean Albert, est élu roi de Pologne. L’Union polono-lituanienne, réalisée jusqu’alors au travers d’une même personne, est temporairement rompue. Ivan III en profite pour attaquer la Lituanie. Les princes orthodoxes qui, passés au service de Moscou, se plaignent de persécutions religieuses, lui servent de prétexte. En 1494, Alexandre signe un traité de paix et accepte de céder à Moscou les territoires situés sur le cours supérieur de l’Oka, votchinas de princes en fuite (les Viazemski, Vorotynski, Odoïevski, Novossilski). Le grand-duc de Lituanie reconnaît également au grand-prince moscovite le titre de « souverain de toute la Russie ». La Lituanie renonce par là même à toute prétention au rassemblement des terres russes. Pour consolider le traité, Ivan III accorde à Alexandre la main de sa fille Elena. La jeune femme conserve sa foi orthodoxe, ce qui ne tarde pas à engendrer un nouveau différend lituano-russe : la fille d’Ivan III se plaint qu’on veut la forcer à se convertir au catholicisme.

Une nouvelle guerre commence. La Lituanie appelle à la rescousse l’Ordre de Livonie ; Moscou a de son côté les khans de Crimée et de Kazan. En mai 1500, les armées moscovites font irruption en Lituanie. En juillet, sur les bords de la Vedrocha, elles mettent en déroute l’armée d’Alexandre ; les détachements tatars prennent Briansk, Viazma, Dorogobouj, Poutivl, franchissent la Vistule et s’enfoncent à l’intérieur de la Pologne. En 1501, l’armée moscovito-tatare bat à nouveau les Lituaniens et l’emporte sur les chevaliers de Livonie, commandés par le grand-maître von Plettenberg. Au plus fort du conflit (1501), Alexandre est élu roi de Pologne et restaure l’Union polono-lituanienne. Toutefois, la noblesse lituano-russe refuse de la reconnaître. En 1503, Alexandre signe un armistice de six ans avec Moscou : Ivan III conserve toutes ses conquêtes occidentales.

La politique extérieure d’Ivan III, qui élargit considérablement le territoire de la principauté de Moscou, est l’exemple même de « l’impérialisme défensif ». À la fin du XVe siècle, le grand-prince moscovite peut, à plein droit, se qualifier de « souverain de toute la Russie ». Les victoires matérielles – territoriales – reçoivent ainsi un fondement idéologique.

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