10 L’édification d’un système



En quête de fortune et de gloire,

Sans crainte je vois l’avenir :

Ils furent, les beaux commencements de Pierre,

Par la révolte et le châtiment assombris.

Alexandre POUCHKINE.


On a tout dit et tout écrit sur l’amitié liant Pouchkine aux Décembristes, amitié personnelle dans nombre de cas, mais aussi sympathie pour leurs idées. Le fait est indéniable, comme l’est cette affirmation du poète, l’année de l’exécution de ses amis, selon laquelle il regarde l’avenir « sans crainte ». Et de rappeler que Pierre le Grand commença à régner en châtiant des rebelles. En 1931, effroyable année de la famine paysanne organisée par le gouvernement soviétique, Boris Pasternak fera écho au poème de Pouchkine cité ci-dessus : « Il y a bien longtemps, un siècle et quelque chose/ Pourtant la tentation demeure/ En quête de fortune et de gloire/ Sans crainte de regarder les choses1. »

Boris Pasternak a raison de qualifier de « tentation » le désir de « regarder sans crainte les choses ». Chaque règne russe s’ouvre sur l’espoir et s’achève par une amère déception. Pouchkine écrit ses vers en 1826, mais ne les fait imprimer qu’en 1828. À cette date-là, il croit encore. En 1836, Vladimir Petcherine, professeur à l’université de Moscou, érudit et poète, envoyé en mission à l’étranger, décide de ne pas rentrer au pays : « J’ai fui la Russie, comme on fuit une ville pestiférée », écrira-t-il par la suite pour expliquer son acte2. Pouchkine cite Pierre le Grand en exemple à Nicolas Ier. Voyageant en Russie en 1839, le marquis de Custine est catégorique : « Pierre le Grand n’est pas mort ! (…) Nicolas est le seul souverain russe qu’ait eu la Russie depuis le fondateur de sa capitale3. »

Les débats sur le caractère de Pierre le Grand, la nature de son action, sa place dans l’histoire russe étaient vifs au temps du premier empereur et se poursuivent à ce jour. L’action de Nicolas Ier, elle, de même que sa personnalité, ne soulève aucune polémique : le jugement des contemporains et des historiens est à cet égard négatif. Le mouvement, encore embryonnaire, des révolutionnaires ennemis de l’autocratie, Alexandre Herzen en tête, condamne sans pitié la figure de l’empereur et tout ce qu’il accomplit. En 1855, le ministre P. Valouïev, l’un des administrateurs les plus intelligents qu’ait connus la Russie, tire le bilan de trente ans de règne : « En haut l’éclat, en bas la pourriture4. » Au même moment, Fiodor Tiouttchev, poète et écrivain politique, monarchiste convaincu, condamne sévèrement Nicolas Ier : « Tu ne servais pas Dieu ni la Russie/ Mais ta vanité seule. Le moindre de tes actes/ Était mensonge, tout en toi n’était que chimère vide/ Tu ne fus pas un tsar mais un histrion5. »

L’hostilité des adversaires de la monarchie est compréhensible : trente ans durant, Nicolas Ier combat la révolution en Europe. L’hostilité des monarchistes déçus se manifeste, elle, à la veille du décès de l’empereur. Valouïev et Tiouttchev jugent Nicolas en 1855, alors que la guerre de Crimée révèle soudain – dans le heurt avec l’Occident – la stupéfiante arriération de la Russie. Les admirateurs les plus inconditionnels de l’empereur rejettent sur lui la faute de l’ignominieux échec subi au cours du conflit. Dans une lettre au tsar, l’historien Mikhaïl Pogodine le prie d’entendre l’« amère vérité », de détourner l’oreille de la « flatterie impie ». Mikhaïl Pogodine supplie l’empereur : « Libère de ces inutiles restrictions la presse qui n’est pas même autorisée à employer l’expression “bien commun”… Ordonne d’ouvrir toutes grandes les portes des universités, des collèges et de tous les établissements d’enseignement… » L’historien explique que ces mesures sont indispensables d’un point de vue strictement pratique : « Donne-nous les moyens d’apprendre à fondre les mêmes canons, carabines et balles que ceux avec lesquels l’ennemi frappe aujourd’hui nos chers enfants… Nous avons du retard dans tous les savoirs : militaire, physique, mécanique, chimique, financier. Et bénéficions-nous, aujourd’hui, des mêmes directives qu’eux6 ? »

Le choc causé par la défaite est d’autant plus fort que la puissance de la Russie, sa position dominante en Europe font figure d’axiome. Mais le mécontentement des partisans de la monarchie à l’égard de Nicolas a un autre fondement. L’historien Alexandre Presniakov intitule l’ouvrage qu’il consacre à l’empereur : Apogée de l’autocratie, fixant ainsi très précisément la place de son héros dans l’histoire de Russie. Le système autocratique a un besoin lancinant d’autocrate. À la veille de la révolution de 1917, le monarchiste V. Choulguine prédira la chute de la dynastie, qualifiant la Russie d’« autocratie sans autocrate ». Nicolas Ier est un autocrate idéal, un modèle de tsar russe : impérieux, fort, sûr de lui-même et de sa mission à la tête de la Russie. Il se tient pour un « Maître modèle » du pays et de ses sujets. Et tous le voient ainsi. A. Tiouttcheva, dame de la Cour qui a observé attentivement la vie sous Alexandre Ier et Nicolas Ier, écrit à propos de ce dernier : « Nul ne fut mieux que lui fait pour le rôle d’autocrate. Il avait pour cela et l’apparence et les indispensables qualités morales… Jamais cet homme n’éprouva l’ombre d’un doute concernant son pouvoir et sa légitimité… Son pouvoir absolu de droit divin fut pour lui un dogme et un objet de vénération, et il concilia en lui-même, avec une profonde conviction, le rôle d’idole et de grand-prêtre de cette religion7… »

L’échec du règne, qui apparaît subitement aux contemporains de la guerre de Crimée, détruit la foi dans le monarque absolu. La seule consolation est un désir unanime d’en rejeter toute la responsabilité sur l’empereur. En prose cette fois, Fiodor Tiouttchev note dans une lettre à sa femme : « Pour créer une situation à ce point sans issue, il fallait la stupidité monstrueuse de cet homme funeste. » Offensé au plus profond de ses espoirs monarchiques, le poète se montre injuste. Nicolas Ier n’est pas « monstrueusement stupide ». Nettement moins instruit qu’Alexandre Ier, éduqué par le grossier comte Lamsdorf qui rosse fréquemment le grand-duc, le futur empereur est doué d’une vive intelligence naturelle, il se passionne pour les mathématiques, puis pour l’artillerie, sert dans le génie et dit de lui-même : « Nous sommes ingénieur. » Il est en outre fin connaisseur de toutes les marches militaires et des détails du service. Il joue enfin magnifiquement du tambour.

La réputation de Nicolas Ier, surnommé « Nicolas la Trique » est si déplorable – auprès des historiens libéraux du XIXe et, plus encore, des historiens soviétiques du XXe – qu’elle finit par sembler outrageusement négative. Des tentatives sont faites pour « réhabiliter » complètement Nicolas, le présenter comme le premier champion de la lutte contre cette révolution qui, en 1917, détruira la Russie.

Spécialiste de cette époque et ne cherchant ni à réhabiliter le monarque ni, comme les autres, à le condamner, l’historien américain Marc Raeff relève les paradoxes de son règne : notamment, l’oppression de la censure et la répression contre les écrivains mais, en même temps, le surprenant essor de la culture et de la littérature russes, son véritable « Âge d’Or ». Jamais plus la Russie ne connaîtra, en un laps de temps aussi bref, une telle quantité de génies littéraires. D’un autre côté, le tsar fait la critique de l’œuvre de Pouchkine, il envoie Lermontov dans le Caucase, à la mort, expédie Herzen en exil, contraint Dostoïevski à monter sur l’échafaud pour, au dernier instant, le gracier. La première police politique moderne, dont le nom – la « Troisième Section » – restera à jamais dans la langue russe comme l’expression même de « l’œil toujours vigilant » des autorités qui voient tout, savent tout et châtient pour le moindre crime, est créée sous son règne. « Et vous, uniformes d’azur, et toi peuple qui leur est docile », écrira Mikhaïl Lermontov en partant pour le front du Caucase. Nicolas Ier réduit le nombre des étudiants dans les universités, ordonne la fermeture des facultés de philosophie. Il serait aisé de prolonger la liste de ses « actes réactionnaires ». Les grands écrivains russes, les contemporains dans leurs Mémoires s’efforcent de brosser, à l’intention des générations futures, un effroyable portrait du tsar despotique et de l’État qu’il dirige, maintenu dans une terreur constante.

Faits, événements, témoignages donnent toutes les raisons de présenter la vie russe, au temps de Nicolas, sous les couleurs les plus noires. « Mais un jugement aussi négatif du règne, note Marc Raeff, n’explique pas et ne permet pas de comprendre non seulement les Grandes Réformes (à commencer par la libération des paysans) qui seront effectuées aussitôt après le décès de Nicolas Ier, mais aussi leur soigneuse préparation, leur accomplissement et le bouillonnant développement du pays qui s’ensuivra dans les années soixante et soixante-dix. » Marc Raeff parvient à la conclusion que, « dans les profondeurs du temps de Nicolas, quelque chose se nichait et prenait de l’ampleur, qui, soit ne fut pas relevé par les contemporains, soit fut passé sous silence par eux, puis par “l’historiographie traditionnelle”8 ».

Les historiens modernes – à l’étranger ou en Russie où ils ont désormais la possibilité d’étudier librement le passé – tentent de mettre en évidence les processus, souvent souterrains, qui ont préparé les réformes d’Alexandre II. Nicolas Ier meurt en février 1855 et, six ans plus tard exactement, son fils, Alexandre II, signe le Manifeste de libération des paysans, résolvant le problème majeur de la Russie depuis plus d’un siècle. La fulgurante réforme d’Alexandre II naît dans les années du règne de son père.

Nombreux sont ceux qui partagent les espoirs exprimés dans les vers de Pouchkine. La déception suscitée par l’action (ou l’inaction) d’Alexandre Ier, durant la dernière décennie de son règne, engendre le rêve d’un tsar jeune qui débarrassera le pays d’Araktcheïev et effectuera les indispensables réformes. On sait que Nicolas Ier ordonne de préparer pour lui un recueil tiré des interrogatoires des Décembristes et qu’il garde le volume sur sa table, afin de se familiariser avec les critiques et les propositions des rebelles condamnés.

Convaincu de son droit à gouverner autocratiquement la Russie et de la nécessité du pouvoir absolu, l’empereur Nicolas assigne comme objectif aux transformations dont il est l’initiateur, la création d’un système au sein duquel le pouvoir d’un seul homme résout tous les problèmes. Pour l’édification de Nicolas, Pouchkine évoque son ancêtre, Pierre le Grand. Le parallèle a un sens : Nicolas poursuit l’œuvre de Pierre dans la mise en place d’un État réglementé. Mais il ne veut pas de changements – ni de réformes – brutaux, il ne souhaite améliorer que le fonctionnement du système, en perfectionner les détails et, pour ce faire, créer une armée d’exécutants dociles de sa volonté, une armée de fonctionnaires, une bureaucratie qui sera le levier de l’autocratie. À la base de l’action de Nicolas Ier, dit Klioutchevski, se trouve « la révision, et non la réforme, la codification en place de la législation9 ».

Le règne de Nicolas Ier s’ouvre sur la révolte du 14 décembre, la peur que suscitent en lui les régiments mutinés, n’attendant qu’un ordre pour marcher sur le Palais d’Hiver. Suivent cinq années paisibles, mais vient l’année 1830 et, avec elle, l’insurrection polonaise, puis la guerre contre la Pologne et la révolution en France qui ébranle les fondements de la Sainte-Alliance. Le « Printemps des Peuples » de 1848 est un nouveau séisme vécu, à Pétersbourg, par un tsar convaincu que le danger ne menace pas seulement l’Europe, mais aussi la Russie. Ingénieur de profession, Nicolas explique à l’ambassadeur de Saxe : « Le terrain sous mes pieds est, comme sous les vôtres, miné. »

Le danger, toutefois, n’effraie pas l’empereur, et ce d’autant moins qu’il le sait : lui seul peut protéger l’Europe de la révolution. Le prince Alexandre Menchikov se remémore : « À dater de la campagne de Hongrie, le défunt souverain fut ivre [il eût mieux convenu de dire “grisé”]. Il n’admettait aucune raison, était convaincu de sa toute-puissance10. » Les explosions révolutionnaires extérieures, qui divisent le règne de Nicolas Ier en trois parties (1825-1830 ; 1831-1848 ; 1849-1855), déterminent sur bien des plans la politique de la Russie. Nicolas Ier en est persuadé : la grande condition de la tranquillité de son empire est qu’il prenne en main la conduite de toutes les affaires.

Fidèle au principe : ne pas réformer mais corriger, Nicolas laisse pratiquement sans changement les institutions gouvernementales. Un nouveau département est ajouté au Conseil d’État, celui du royaume de Pologne. Deux sont créés près le Sénat, concernant Varsovie. Un onzième ministère est instauré, chargé de gérer les biens de l’État, terres et paysans. Pour gouverner directement, l’empereur fonde une « Chancellerie personnelle de Sa Majesté », divisée en quatre sections : la première prépare les documents à l’intention de Nicolas et veille à l’exécution des ordres suprêmes ; la seconde a pour mission de codifier la législation ; la troisième est chargée de la sécurité d’État ; la quatrième contrôle les institutions de bienfaisance.

La « Troisième Section » de la « Chancellerie personnelle de Sa Majesté », doublée par un « Corps de Gendarmes », est la plus connue, puisqu’elle devient, nous l’avons dit, le symbole du règne de Nicolas. En janvier 1826, alors qu’on instruit encore l’affaire des Décembristes, Nicolas reçoit une « note manuscrite du général-aide-de-camp Benkendorf, l’informant de l’instauration d’une police suprême, sous la direction d’un ministre particulier, inspecteur du Corps des Gendarmes ». L’empereur refuse cependant la restauration d’un ministère de la Police – même qualifiée de « suprême » – car il n’apprécie guère l’arrière-goût « français » du mot (politsia) qui lui rappelle les guerres napoléoniennes. Tout en retenant les principales idées de Benkendorf, il apporte une très importante pierre personnelle à l’édifice : la police (baptisée autrement) devient partie intégrante de sa « Chancellerie personnelle », de l’appareil qu’il a lui-même mis en place et qu’il dirige pour assurer la sécurité de l’État.

À la différence des Première et Deuxième Sections, la Troisième est dotée d’un large pouvoir exécutif. Signé le 3 juillet 1826, l’oukaze relatif à la création de la Troisième Section énumère les « domaines d’intérêt » du nouvel appareil de pouvoir : toutes les affaires de police ; l’information concernant les différentes sectes et mouvements dissidents ; le renseignement sur toutes les personnes placées sous surveillance policière ; l’instruction de tous les dossiers ayant trait à la fabrication de fausse monnaie et de faux documents ; toutes les questions liées aux étrangers résidant sur le territoire de la Russie, et bien d’autres choses encore. Après cette énumération, le paragraphe 8 de l’oukaze résume : « Information et rapport sur tous les événements, sans exception. »

Le général-aide de camp Alexandre Benkendorf (1783-1844) est nommé à la tête de la Troisième Section et du Corps des Gendarmes. Général d’active, héros de la Guerre patriotique, un bref laps de temps membre d’une loge maçonnique (l’Union des Amis) à laquelle appartenaient aussi Pestel, Tchaadaïev et Griboïedov, Benkendorf fait à Nicolas, le 14 décembre, la démonstration de son inflexible loyauté. Le baron Korff note dans ses Mémoires que le chef des Gendarmes « avait une instruction sommaire, qu’il n’avait rien appris, rien lu et n’était pas même capable de lire et d’écrire correctement ». L’effroyable français dans lequel Benkendorf rédige ses rapports au tsar n’est excusable que parce qu’il ignore tout de la langue russe. L’inculture crasse du premier responsable de la Troisième Section, qui se permet nonobstant de donner des conseils à Pouchkine, explique en partie l’hostilité des contemporains et des historiens à son égard.

Alexandre Herzen brosse un portrait exhaustif de celui qui fut, durant plus de dix ans, le numéro deux de l’État : « L’apparence du chef des Gendarmes n’avait en elle-même rien de repoussant ; c’était celle, assez commune, des nobles de l’Ostsee et, en général, de l’aristocratie allemande. Il avait le visage las et fripé, le regard trompeusement bon qui sont souvent ceux des individus évasifs et apathiques. Peut-être Benkendorf ne fit-il pas tout le mal qu’il eût pu, se trouvant à la tête de cette terrible police qui se situait en dehors et au-dessus de la loi, et était en droit de se mêler de tout ; je suis prêt à le croire, surtout quand me revient en mémoire l’expression fade de son visage… »

Ne pas commettre tout le mal qu’on pourrait, lorsqu’on jouit d’un pouvoir illimité, est la preuve d’une incontestable vertu. Elle semble particulièrement précieuse, comparée à l’action des responsables des « Organes de Sécurité » au XXe siècle, qui repousseront à l’infini les limites du mal commis. Dans l’esprit de Nicolas Ier, la nouvelle institution est une « police de protection ». Benkendorf rapporte à son aide-de-camp qu’ayant demandé à l’empereur ce qu’il était censé faire au poste de chef des Gendarmes, Nicolas lui tendit son mouchoir, avec ces mots : « Sèche les larmes des malheureux et empêche les abus de pouvoir, ainsi tu accompliras tout11. » Certains historiens tiennent l’histoire du mouchoir pour une légende, d’autres la croient authentique dans la mesure où elle reflète bien le caractère de l’empereur.

L’organisation minutieuse du système de surveillance du pays constitue la grande particularité de la Troisième Section. La Russie, il est vrai, a connu des services secrets autrement plus durs. Mais sous le règne de Nicolas, elle se dote d’un système de surveillance. Le pays est entièrement découpé en districts de gendarmerie, commandés par des généraux. Chaque district est à son tour divisé en sections, placées sous la responsabilité de colonels. Le pays compte d’abord cinq districts, englobant vingt-six sections. Leurs états-majors se trouvent dans les grandes villes. Pour d’incompréhensibles raisons, on oublie le Royaume de Pologne qui, en 1827, n’entre pas dans le système de surveillance ; il n’est en effet inclus dans aucun district. Lorsque, en 1830, la Pologne s’insurgera, les spécialistes de la police en verront la cause dans l’absence d’un contrôle adéquat de la Gendarmerie.

Dans les années 1836-1837, le système se perfectionne. Le nombre des districts passe à sept. La Pologne est, bien sûr, englobée dans le réseau (ce qui, il est vrai, n’empêchera pas les Polonais de se révolter à nouveau trente ans plus tard) ; le sixième district est censé surveiller les territoires nouvellement conquis dans le Caucase, le septième a la charge de la Sibérie occidentale jusqu’à Irkoutsk et au-delà, en direction de l’océan.

Les effectifs du « Corps d’observation », comme disent les contemporains, ne sont pas très élevés, si l’on tient compte des dimensions du territoire (les Russes à l’étranger sont également surveillés) et du désir de l’empereur de tout savoir sur tout le monde. En 1836, le Corps des Gendarmes compte quatre mille trois cent vingt-quatre hommes (officiers et soldats du rang)12. Dans une lettre à un ami, l’historien P. Iefremov, évoque, en décembre 1861, les effectifs de la Troisième Section : « Jeudi, la Troisième Section était réunie, au complet, pour un déjeuner à l’hôtel Znamenskaïa. J’ignore ce qu’ils fêtaient, mais ils lançaient des “hourras” et, à trente-deux, vidèrent trente-cinq bouteilles13. »

Le volume de travail administratif donne une idée de l’ampleur des activités de la police politique de Nicolas. Jusqu’en 1838, la Troisième Section traite annuellement dix à douze mille documents entrants et jusqu’à quatre mille sortants, et reçoit jusqu’à deux cents instructions de l’empereur. Dans les années 1839-1861, on fait rapport, chaque année, à l’empereur d’un nombre d’affaires allant de trois cents à six cents ; quant aux instructions du tsar, elles oscillent, annuellement, entre deux cent cinquante et quatre cent cinquante.

Certes, l’activité de l’État ne se limite pas au zèle de la Troisième Section et du Corps des Gendarmes. Mais il est clair que ce dernier permet tout particulièrement de ressentir l’impact du pouvoir absolu, car il crée l’illusion d’un contrôle sans faille de tout ce qui se passe dans le pays. La surveillance des individus politiquement douteux sur le territoire de l’empire et hors de ses limites, ne constitue qu’une partie de l’action du « Corps d’observation ». Une attention vigilante est portée au contrôle de l’appareil d’État. En 1847, les fonctionnaires sont au nombre de soixante et un mille cinq cent quarante-trois. La moitié d’entre eux servent dans deux ministères, l’Intérieur et la Justice, soit trente-deux mille trois cent quatre-vingt-quinze personnes. En 1857, le nombre global des fonctionnaires atteindra déjà quatre-vingt mille cent trente-neuf14.

L’augmentation de l’appareil bureaucratique – il quadruple en un demi-siècle – a pour conséquences un pillage du Trésor et une corruption accrus. Un cercle vicieux se forme : plus il y a de fonctionnaires, censés, entre autres, combattre les abus de pouvoir, plus ces derniers se multiplient. L’analyse des raisons conduisant au pillage du Trésor et à la concussion – inhérents à tout système bureaucratique –, donne, dans tous les pays, à peu près les mêmes résultats. Le motif principal en est la possibilité d’obtenir un pot-de-vin qui, dans l’esprit du demandeur, accélère, en les huilant, le fonctionnement des rouages de la machine administrative. Diverses circonstances expliquent l’accroissement de la corruption en Russie : condition misérable des employés des chancelleries et des petits fonctionnaires15 ; abus de pouvoir qui, dans un État où règne l’absolutisme, semblent tout naturels ; incroyable complexité de la législation.

L’empereur, nous l’avons dit, veut tout savoir, tout surveiller. L’armée est l’exemple parfait d’un mécanisme sévèrement contrôlé et qui, de ce fait, est docile et fonctionne avec précision. L’uniforme des fonctionnaires rattachés aux ministères civils les inclut dans le système, il les contraint à se soumettre et, en même temps, leur octroie une parcelle de pouvoir (selon le grade) qui fait d’eux les représentants du souverain autocrate. La vie intellectuelle et morale est réglementée et contrôlée par la censure et la Troisième Section. Le comportement est fixé par des règles qui déterminent jusqu’à l’apparence extérieure. Nicolas accorde une grande attention à la couleur et à la coupe des uniformes, gratifiant d’un parfait mépris tous les « porteurs de fracs ». Il veille strictement au respect d’une règle absolue : les militaires portent la moustache, les civils n’y ont pas droit. Constantin Aksakov (1817-1860), l’un des premiers « slavophiles », lutte des années durant pour être autorisé à porter la barbe. En vain. La barbe est la marque des paysans, or Aksakov appartient à une vieille famille noble.

Les « papiers » – documents de chancellerie – sont un instrument capital de contrôle. On assiste à un processus ininterrompu d’édification d’un appareil bureaucratique : le besoin (c’est une exigence « d’en haut ») de « papiers » conduit à une augmentation du nombre des fonctionnaires qui, à son tour, entraîne un accroissement de la quantité de « papiers ». Vassili Klioutchevski cite un exemple, caractéristique de la fin des années 1820 et du début des années 1830 : au Département moscovite du Sénat, quinze secrétaires sont chargés d’un dossier dont le simple résumé représente quinze mille feuillets. Plusieurs chariots sont prévus pour transporter ces papiers à Pétersbourg. Sur la route entre les deux capitales, le dossier disparaît comme par enchantement, avec les chariots. On ne les retrouvera jamais.

La construction d’un appareil bureaucratique, la mise en place des fondements d’un État réglementé, ont commencé sous Pierre le Grand. Sous Nicolas Ier, l’appareil fonctionne déjà à plein et l’orientation donnée à son action a souvent pour effet de masquer la réalité sous un brassage de papiers, sans exercer sur elle la moindre influence. Cependant, rapportant l’histoire du dossier disparu, Vassili Klioutchevski ajoute : « Aujourd’hui [à peine quarante ans plus tard], cela paraît “fantastique”16. » L’historien veut indiquer par là qu’en moins d’un demi-siècle, l’appareil bureaucratique de l’Empire de Russie s’est mis à fonctionner autrement, il s’est transformé, si l’on peut dire, en machine bureaucratique normale.

Les détracteurs les plus virulents du règne de Nicolas Ier reconnaissent eux-mêmes l’importance de l’œuvre codificatrice, accomplie sur l’ordre de l’empereur. À cette fin, est créée la Deuxième Section de la Chancellerie personnelle de Sa Majesté. En janvier 1826, Mikhaïl Speranski, membre du Conseil d’État depuis 1821, rédige pour Nicolas Ier une note proposant de remettre de l’ordre dans la législation russe. Speranski suggère d’élaborer un Recueil complet des Lois (incluant les grands monuments du droit russe), puis un Code des Lois (rassemblant toute la législation en vigueur), enfin un Oulojenié dans lequel la législation serait revue en fonction du niveau de développement politique et social du pays. Nicolas Ier rejette le projet d’Oulojenié, craignant, argue-t-il, qu’il n’en résulte un ébranlement de l’ordre existant, mais il accepte les deux premiers points du programme de Speranski.

Au début de 1830, les quarante-cinq volumes du Recueil complet des Lois sont publiés, contenant plus de trente mille oukazes, résolutions et actes divers, depuis l’Oulojenié de 1649. En 1832, le Code des Lois est achevé. Il comprend, explique Mikhaïl Speranski, ce qui, dans les lois, « est demeuré intangible et conserve aujourd’hui sa force et sa vigueur17 ».

« Durant les trente années de son règne, écrit un biographe de Nicolas Ier, la question paysanne fut au centre de ses préoccupations18. » L’empereur crée neuf Comités secrets qui tentent de résoudre le problème suivant : comment libérer les paysans du servage ? Les historiens reprochent à Nicolas de ne pas affranchir une fois pour toute la paysannerie. Ils reconnaissent qu’il juge nécessaire de transformer les rapports entre propriétaires et paysans, mais lui tiennent rigueur de ne pas savoir comment procéder. Les Comités ne donnent pas non plus la réponse. À la fin du XXe siècle, après l’effondrement de l’Union soviétique et l’échec du système communiste, la difficulté de libérer les paysans saute particulièrement aux yeux. Même après la disparition du régime soviétique, la question paysanne reste, dans la dernière décennie du XXe siècle, en suspens. Les problèmes qui se posaient à Nicolas Ier, se posent aujourd’hui de la même façon au législateur russe, héritier du système soviétique : faut-il libérer les paysans avec ou sans la terre ? le paysan doit-il ou non racheter cette dernière et, si oui, à quel tarif ?

Le soin de résoudre la question paysanne est confié à la Cinquième Section de Sa Majesté Impériale. L’empereur place à sa tête le général Paul Kisselev, l’un des hommes d’État les plus intelligents de son temps, le seul, dans l’entourage de Nicolas, à vouloir libérer les paysans avec la terre. Nicolas Ier déclare à Paul Kisselev qu’il « reconnaît la nécessité de transformer le servage, lequel ne saurait demeurer en son état actuel », et proclame : « Tu seras mon chef d’état-major pour les affaires paysannes19. » L’empereur ne pose qu’une condition : les biens des propriétaires terriens sont inaliénables.

Limité dans son action réformatrice, haï de ses collègues dignitaires comme un « rouge », voire un « Pougatchev », Paul Kisselev entreprend d’élaborer un nouveau règlement pour les paysans de la Couronne et les paysans libres. Il se propose d’effectuer la fusion progressive des paysans d’État et des paysans privés (serfs), ce qui entraînera l’abrogation du droit des propriétaires terriens à disposer de la personne du paysan. L’amélioration du système de gestion de l’activité économique des paysans de la Couronne conduira à la création d’un modèle pour les propriétaires privés (terriens).

Les paysans de la Couronne – près de vingt millions de personnes – sont alors presque égaux en nombre aux serfs (vingt-cinq millions). Cela représente un pourcentage considérable de la population de Russie qui, d’après le recensement de 1835, compte soixante millions d’habitants. La réforme de Kisselev n’améliore que d’infime façon le sort des paysans de la Couronne, condition nécessaire pour poursuivre leur fusion avec les paysans serfs. Elle réorganise le système administratif. En décembre 1837, un ministère des Biens d’État est créé, sous la responsabilité de Paul Kisselev. Une puissante machine bureaucratique se met en place : au sommet, se trouve le ministère, dans les gouvernements les « Chambres des Biens d’État ; chaque gouvernement se divise en plusieurs districts (okrougs) dirigés par des fonctionnaires, et chaque district en plusieurs volosts dont les administrateurs sont élus. Les volosts, à leur tour, se partagent en communes rurales qui choisissent leurs starchinas, leurs starostes, leurs collecteurs d’impôt, etc.

Conséquence de la mise en place de cet appareil bureaucratique immense et coûteux, le fonctionnaire joue désormais le rôle qui était celui du propriétaire terrien dans les campagnes serves. Parallèlement, le rôle des propriétaires terriens décroît. Le service au sein des assemblées autogérées de la noblesse devient service de l’État. Les nobles sont dotés d’un uniforme – celui du ministère de l’Intérieur. Beaucoup plus grave, leur importance économique chute. D’après la révision (le recensement) de tous les nobles, effectuée en 1835, la Russie d’Europe (moins le tsarat de Pologne, la Finlande et les terres de l’Armée du Don) abrite près de cent vingt-sept mille détenteurs d’âmes serves. La plupart sont des propriétaires nobles possédant jusqu’à vingt et une âmes, en d’autres termes de moyens propriétaires. La révision de 1858 constate que le nombre des propriétaires terriens est descendu à cent trois mille huit cent quatre-vingts. Cette diminution reflète notamment le processus de réduction du nombre des serfs, alors en cours. En 1835, les serfs représentent 44,5 % de la population, en 1858 seulement 37,3 %, alors que, dans le même temps, la population du pays s’est accrue. « Le servage, résume Klioutchevski, non seulement aggravait la situation économique des paysans, mais il finit par stopper leur reproduction naturelle20. »

Une nouvelle situation s’instaure. L’agencement traditionnel de la vie russe – État-noblesse-paysannerie – commence à vaciller sur ses bases. La chute de la noblesse laisse face à face l’État et les paysans. L’État est représenté par l’appareil bureaucratique qui ne cesse de croître. En 1855, les fonctionnaires seront quatre-vingt-deux mille trois cent cinquante-deux21. Ajoutons que ne sont pris en compte que ceux d’entre eux relevant de la « Table des Rangs » et qu’il existe, en complément, une armée d’employés de chancelleries de condition inférieure. D’après le recensement de 1855, le nombre des fonctionnaires le cède à peine à celui des propriétaires terriens.

La grande littérature russe du XIXe siècle fait tout ce qui est en son pouvoir pour montrer les fonctionnaires sous leur jour le moins reluisant. Tantôt, à l’instar du héros du Manteau de Gogol, ce sont des créatures malheureuses, pitoyables ; tantôt, ce sont des individus corrompus, méprisant leurs inférieurs et rampant devant leurs supérieurs – un type dépeint au vitriol par Saltykov-Chtchedrine. Ce modèle, la littérature ne l’invente pas. Les contemporains le perçoivent ainsi. Quand Vladimir Petcherine s’enfuit de Russie « comme d’une ville pestiférée », il explique ainsi son acte : « Je pressentais, je prévoyais, j’étais certain que si je restais en Russie, étant donné la faiblesse et l’indolence de mon caractère, je deviendrais immanquablement le plus vil et le plus zélé des fonctionnaires, ou bien, sans rime ni raison, je me retrouverais en Sibérie. J’ai fui sans me retourner, afin de préserver en moi un semblant de dignité humaine22. »

Vladimir Petcherine était, nous l’avons dit, professeur à l’université de Moscou ; néanmoins, ou peut-être à cause de cela, deux routes seulement s’ouvraient à lui : la voie du fonctionnaire zélé ou celle de la Sibérie. Extraordinairement passionné, Petcherine, l’un des premiers émigrés russes à gagner l’Occident pour y rallier le mouvement révolutionnaire, révère tour à tour « le communisme de Babeuf » – après avoir lu la Conjuration pour l’Égalité de Philippe Buonarroti – et « la religion de Saint-Simon, le système de Fourier » ; puis, la découverte de la brochure de Lamennais Paroles d’un croyant lui devient un nouvel Évangile ; enfin, il se convertit au catholicisme et entre chez les Rédemptoristes, d’où il s’enfuira vingt ans plus tard. Dans une tentative pour expliquer le caractère russe, Herzen écrira que si un Russe quitte l’orthodoxie pour le catholicisme, il se fait moine jésuite. Alexandre Herzen songera alors à Petcherine, soulignant le goût des extrêmes inhérent à la nature russe.

L’image des fonctionnaires, êtres indignes de respect, s’impose à l’intelligentsia russe naissante. Plus leur corps augmente, plus la vision qu’en a la société éclairée se dégrade. Au mieux, on les plaint comme des victimes du système autocratique mais, en règle générale, on ne les aime guère car ils sont les instruments de l’autocratie. Akaki Akakievitch, le héros du Manteau de Gogol sur l’amer destin duquel les lecteurs continuent de pleurer, est un fonctionnaire qui ne peut (ou ne veut) acquérir la formation qui lui permettrait de passer un concours et de monter d’un cran dans la hiérarchie, transformant ainsi son mode de vie. La critique littéraire fait (malgré Gogol) du héros du Manteau une victime des conditions sociales, l’incarnation du fonctionnaire, lamentable et pitoyable créature.

L’attitude négative à l’égard des fonctionnaires en général et des hauts fonctionnaires en particulier, vient de ce qu’ils sont perçus comme étrangers, parce qu’allemands. Les Allemands occupent en effet une position dominante dans l’appareil étatique russe. En 1844, le conseiller d’État Philippe von Wiegel publie en français une brochure intitulée : La Russie envahie par les Allemands. Esprit caustique, sarcastique, Wiegel rédige son ouvrage de telle sorte qu’il peut passer à la fois pour une dénonciation de l’influence allemande outrancière et pour un éloge du rôle joué par les Allemands dans le développement de la Russie23. Mais si l’interprétation des faits peut varier, les faits eux-mêmes ne laissent pas de place au doute. L’historien américain Walter Laqueur a calculé que les ressortissants allemands ainsi que les Allemands de Russie et des provinces baltes constituaient près de 57 % des cadres du ministère des Affaires étrangères de Russie, 46 % du ministère de la Guerre, 62 % de celui de la Poste et des Communications24. De son côté, l’historien russe Piotr Zaïontchkovski, spécialiste de l’appareil gouvernemental, estime qu’au 1er janvier 1853, le Conseil d’État se compose à 74,5 % de Russes, 16,3 % d’Allemands, 9,2 % de Polonais25. Les postes les plus importants du Cabinet des ministres sont tenus par des Allemands. La Troisième Section est même qualifiée de « comité allemand ». Le ministère des Finances est aux mains des Allemands. Ces derniers, pourtant, représentent moins d’1 % de la population.

Nicolas Ier, qui se vit comme le maître absolu de l’empire, a maintes raisons de faire venir des Allemands dans l’appareil bureaucratique qui dirige le pays. Entrent d’abord en ligne de compte les liens de parenté : l’impératrice est une princesse prussienne et elle s’entoure volontiers de sa famille. Plus important, Nicolas n’oublie pas que la haute noblesse russe a tenté, en décembre 1825, d’empêcher son accès au trône, et il accorde plus de crédit aux Allemands qu’aux Russes. On connaît sa fameuse formule : « Les Russes servent la Russie, les Allemands me servent, moi. » Il est, enfin, une autre raison : les fonctionnaires allemands ont des qualités qui manquent parfois à leurs collègues russes. La réforme des finances, effectuée par le ministre Iegor Kankrine (1774-1845), compte parmi les réalisations indiscutables du règne de Nicolas. Kankrine est le fils d’un spécialiste allemand des mines, invité en Russie par Paul Ier.

Bien que parfaitement fondé à employer des Allemands dans l’appareil administratif, Nicolas Ier a conscience qu’il y a là quelque chose d’anormal. En 1849, on arrête Iouri Samarine qui sert à Riga auprès du gouverneur-général, le prince Souvorov. Futur slavophile et homme d’État de renom, Samarine a critiqué, dans des lettres à des amis, la position particulière des « Allemands de l’Ostsee ». Sur ordre de Nicolas, il est envoyé en forteresse puis, vingt jours plus tard, convoqué pour un entretien avec le souverain. Professeur à l’université de Moscou et censeur, Alexandre Nikitenko note dans son journal intime ce qu’on dit de l’événement, à Pétersbourg. « Sais-tu ce que pouvait déclencher le cinquième chapitre de ton ouvrage ? [Nicolas fait allusion à l’une des lettres qui circulent en petit cahier.] Un nouveau Quatorze Décembre.

« Samarine eut un geste horrifié.

— Tais-toi ! Je sais bien que tu n’en avais pas l’intention. Mais en expliquant que, depuis le temps de Pierre le Grand, les tsars russes n’ont agi que sur l’inspiration et sous l’influence des Allemands, tu as lancé une idée dangereuse. Si cette idée se propage dans le peuple, elle entraînera de terribles malheurs26. »

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