10 Vers l’« Entente cordiale »



Tirer de toutes choses tout ce qui est nécessaire et utile à la Russie, se gêner moins pour retirer ces avantages, mais agir de façon directe et résolue.

ALEXANDRE III.


Dans son manifeste d’avènement au trône, Nicolas II nomme son père, l’empereur Alexandre III, le « pacificateur ». Tous les contemporains et les historiens s’accordent sur ce point. D’ordinaire réservé, Anatole Leroy-Beaulieu parle d’Alexandre III comme de l’« ange de la paix1 ». Cent ans plus tard, le dernier idéologue en chef soviétique, révisant ses points de vue, écrit, enthousiaste : « Durant les treize années de son règne, Alexandre III vécut en paix avec tous, il mourut, conservant le titre de “pacificateur”2. » Difficile de contester ce jugement : « l’ange de la paix » ne vécut peut-être pas en paix avec tout le monde, mais la Russie ne mena pas de grande guerre sous son règne. Néanmoins, comme l’indique sa biographie officielle, « ne souhaitant ni conflit ni acquisition quelconque, l’empereur Alexandre III se vit contraint, lors d’affrontements à l’est, d’agrandir les possessions de l’Empire russe de 214 854,6 verstes carrées (soit 429 895,2 kilomètres carrés), le tout sans guerre… ».

Ces territoires, que le souverain est « contraint » d’acquérir se trouvent en Asie centrale. Après la victoire de Skobelev sur les tribus turkmènes (1881-1882), celles-ci deviennent sujets russes. La prise de l’oasis de Merv ouvre un immense territoire, jusqu’au fleuve Piandj qui marque la frontière avec l’Afghanistan. C’est là un bond fantastique : en 1880, l’Empire russe était encore séparé de l’Afghanistan par un millier de verstes. Le vide – les tribus locales ayant perdu toute volonté de résistance – semble aspirer la Russie. Le rêve du secrétaire général du Sénat, Ivan Kirillov, qui, en 1728, présentait à l’impératrice Anna Ioannovna un plan de conquête de l’Asie centrale, est désormais réalisé. L’armée d’Alexandre III campe aux frontières de l’Afghanistan. Les Anglais s’en alarment et un conflit sérieux se déclenche entre les deux grands empires coloniaux.

La Russie n’a alors ni l’intention ni les moyens de franchir le Piandj. De son côté, la Grande-Bretagne ne forme pas le projet de conquérir l’Asie centrale. Le conflit se solde par une délimitation pacifique des territoires de chacun : l’Afghanistan reste dans la zone d’influence de la Grande-Bretagne, et l’Asie centrale dans la composition de l’Empire de Russie. En 1892, des heurts ont lieu dans la région du Pamir, également pacifiquement partagé entre la Russie, l’Angleterre, l’Afghanistan et la Chine. La Russie possède désormais des frontières naturelles au Moyen-Orient. Il faudra attendre décembre 1979 pour que l’Union soviétique envahisse l’Afghanistan, violant ainsi la tranquillité des frontières établies sous le règne du tsar « pacificateur ».

La diplomatie anglaise, la littérature (il suffit de songer aux œuvres de Rudyard Kipling), les éditorialistes dénoncent énergiquement les tendances impérialistes de l’« ours » russe. Non sans raison. Mais on est au moins aussi fondé à parler de l’impérialisme de la Grande-Bretagne, de la France ou de l’Italie. L’Allemagne se hâte également de se tailler un empire colonial. Au cours de l’hiver 1885, une conférence réunit à Berlin un ensemble de puissances, avec pour but principal de se partager l’Afrique. La Russie n’a pratiquement pas d’intérêts sur ce continent mais, présente au titre de grande puissance, elle assiste à la concurrence acharnée que se livrent les pays colonialistes. Elle soutient globalement la France, dans la querelle qui l’oppose à l’Angleterre.

En Asie centrale, l’unique rivale potentielle de la Russie est l’Angleterre qui, en 1885, annexe la Birmanie mais proteste avec la dernière énergie contre l’arrivée des troupes russes sur le Piandj. La différence fondamentale entre les conquêtes coloniales russes et la politique de conquêtes menée par les États ouest-européens réside dans le fait que l’Empire de Russie s’étend sur le continent eurasien. Les autres grandes puissances vont se chercher des colonies au-delà des mers et des océans.

Les Balkans sont depuis longtemps une orientation importante de l’expansion russe. La paix de Berlin, sans répondre à toutes les attentes de la diplomatie pétersbourgeoise, en satisfait cependant quelques-unes. La Bulgarie est, nous l’avons dit, divisée en deux : le Nord et le Sud (la Roumélie). Dans la partie nord, le favori russe, Alexandre de Battenberg, prince de Hesse, qui a pris part à la guerre contre les Turcs dans un régiment de uhlans russes, est élu. Le congrès de Berlin établit aussi que la principauté de Bulgarie (la partie nord, la Roumélie demeurant province de l’Empire ottoman) sera dotée d’une Constitution et jouira de la liberté de la presse et autres « âneries », pour reprendre l’expression d’un diplomate russe présent.

La Constitution promise est élaborée par une commission que dirige le commissaire suprême – russe – de la principauté, Dondoukov-Korsakov. L’Assemblée populaire se réunit à Tarnovo et, bien que le gouvernement soit présidé par des généraux russes, le prince de Battenberg rencontre de sérieuses difficultés, partagé qu’il est entre sa loyauté à son cousin Alexandre III et ses sujets parmi lesquels l’idée d’une « Bulgarie aux Bulgares » gagne en popularité. Le prince Alexandre de Battenberg dissout l’Assemblée populaire, mais celle qui lui succède (le prince n’est pas en mesure d’abolir la Constitution, garantie par les puissances) n’est pas meilleure.

Le chemin de fer devient une source de conflit entre Russes et Bulgares. Sa nécessité n’est pas contestable. Il y a deux projets : l’un, « occidental », relie les régions centrales, agricoles, de Bulgarie à la mer Noire ; l’autre, « nordique », va du centre du pays vers le Danube. Le projet « nord » a le soutien de la Russie, bien qu’il soit nettement plus onéreux. L’article biographique consacré à Alexandre de Battenberg par le Dictionnaire encyclopédique russe de 1890, déclare, avec une franchise louable : « Le prince Alexandre ne sut pas se soumettre aux directives de la Russie qui comblait la Bulgarie de bienfaits, en conséquence de quoi il fut la victime de pénibles circonstances. » Le prince est renversé. Mais il ne tarde pas à retrouver son trône. En 1885, il réunit les deux parties de la Bulgarie, contre la volonté d’Alexandre III. Déçu par son cousin, l’empereur ne veut pas d’un renforcement de la Bulgarie. Une situation paradoxale s’instaure, les rôles se sont inversés : l’Angleterre et l’Autriche-Hongrie qui, à Berlin, s’opposaient à la « Grande Bulgarie », la soutiennent désormais, tandis que la Russie qui, peu auparavant, y était favorable, proteste.

La Russie rompt ses relations diplomatiques avec la Bulgarie. Malgré la victoire remportée sur la Serbie et la Grèce qui exigeaient des compensations pour la réunification bulgare, le prince Alexandre quitte le trône et le pays. « Ayant perdu la protection de l’empereur russe, Alexandre jugea nécessaire de renoncer à son trône… », explique le Dictionnaire encyclopédique. La biographe d’Alexandre III note que le prince de Battenberg demanda le secours de l’empereur, mais qu’« Alexandre III refusa : il ne lui pardonnait pas sa trahison »3. Le drame du prince Alexandre est qu’il ne veut pas devenir le vassal de la Russie en Bulgarie ; il s’est mis en tête d’être un souverain bulgare à part entière.

La rupture avec la Bulgarie signe la chute de l’influence russe dans les Balkans. Les Anglais font la loi en Turquie. En 1881, la Serbie signe un traité secret d’union avec l’Autriche. En 1883, la Roumanie rallie la « Triplice » (Allemagne, Autriche, Italie), clairement antirusse. La situation des Balkans déçoit amèrement les slavophiles et confirme la sombre conclusion de Constantin Leontiev : « Tous les Slaves du Sud et de l’Ouest sans exception, sont des démocrates et des constitutionnalistes4. »

La leçon tirée par Alexandre III n’est pas moins pessimiste. En 1899, l’empereur porte un toast au « seul ami fidèle de la Russie, le prince Nicolas de Monténégro ». Au demeurant, en d’autres circonstances, le tsar-pacificateur parle des deux seuls amis de la Russie : son armée et sa flotte. Le petit Monténégro est un allié fidèle dans les Balkans ; l’armée et la flotte sont le fondement de la politique extérieure russe, toujours et partout.

En janvier 1887, une délégation de l’Assemblée bulgare se rend à Paris pour demander de l’aide contre les Russes et soutenir la candidature de Ferdinand de Saxe-Cobourg au trône de Bulgarie. Le prince Ferdinand a l’appui de l’Autriche et de l’Angleterre, mais il a contre lui Alexandre III. Le ministre français des Affaires étrangères, Flourens, rappelle aux Bulgares qu’ils doivent être reconnaissants aux Russes de les avoir libérés du joug turc, et refuse son aide. La France, qui cherche à se rapprocher de la Russie, insiste sur le fait que la gratitude peut être le fondement d’une politique. Bismarck est d’un avis radicalement contraire. « La politique russe traditionnelle, écrira le chancelier allemand à la fin de sa vie, qui se fondait sur une parenté de religion et de sang, qui partait de l’idée qu’il fallait libérer du joug turc Roumains, Bulgares, Grecs, voire les Serbes catholiques romains, vivant sous des noms divers de part et d’autre de la frontière austro-hongroise, et, ce faisant, les attacher à la Russie, ne s’est pas justifiée5. » Le prince Bismarck formule une vérité dont la justesse se confirmera un siècle plus tard : « Les peuples libérés ne sont pas reconnaissants, ils sont exigeants6. » Mais la diplomatie russe (puis soviétique) ne parvient pas à abandonner son point de vue traditionnel, elle attend invariablement la reconnaissance des « peuples libérés ».

L’échec des Balkans souligne l’isolement diplomatique de la Russie. Ses alliés traditionnels – l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie – mènent une politique que l’on ne peut certes pas – surtout dans le cas de l’Autriche-Hongrie – qualifier d’amicale. Alexandre III entérine l’« Union des Trois Empereurs », mais il n’a plus la même confiance. La « Triplice » – la « Ligue de la Paix », comme elle se nomme – insiste clairement pour avoir une voix déterminante dans les affaires européennes. Bismarck, qui prétend qu’il faut toujours avoir deux fers au feu, propose, en 1887, à la Russie, un « accord de garantie mutuelle » : les deux parties s’engagent à observer une « bienveillante neutralité », en cas de guerre de l’une d’elles avec une troisième. La Russie signe cet accord – pour trois ans –, bien qu’elle en perçoive toute l’ambiguïté. Protégée d’une éventuelle attaque de la Russie, alliée à Vienne et à Rome, l’Allemagne se « garantit » également d’une attaque française, en accord avec la Russie. De son côté, Pétersbourg n’obtient du chancelier allemand que de bons conseils.

Les conseils de Bismarck visent à détourner l’attention de la Russie des frontières occidentales. Le chancelier redoute par-dessus tout, pour l’Allemagne, une guerre sur deux fronts. Il ne cesse de mettre en garde les hommes politiques allemands contre ce danger. Tenant la France pour l’ennemi numéro un, Bismarck juge indispensable de persuader Pétersbourg que ses intérêts se trouvent à l’est. La clé de la maison russe, écrit-il, ce sont Constantinople et les Détroits. Une fois fermés, la Russie, si besoin était, serait une forteresse inexpugnable7.

Le ministre des Affaires étrangères d’Alexandre III est alors Nikolaï von Giers (1820-1895). Nommé à ce poste en mars 1882, il en est de fait le maître depuis 1878, Gortchakov étant gravement malade. « Giers était un homme prudent, un diplomate, un fonctionnaire de moyennes capacités, sans largesse de vues, mais expérimenté », écrit Witte. Et il ajoute : « Il convenait au mieux pour être le ministre des Affaires étrangères d’un souverain tel que feu l’empereur Alexandre III… qui devait dire un jour : “Je suis mon propre ministre des Affaires étrangères8.” »

La conception de la diplomatie de Giers se fonde sur une conviction : « Il est avant tout nécessaire d’éviter les décisions inutiles et déplacées9. » Pour lui, le principal objectif de la politique extérieure russe est de garantir un répit au pays. Après la lourde guerre contre les Turcs, la Russie a besoin de retrouver un équilibre financier et d’achever la réorganisation de son armée. Il perçoit également la menace qui grossit aux frontières de l’Ouest. Witte se souvient : « Depuis que j’ai terminé mes études à l’Université…, puis en qualité de… ministre des Voies de Communication, de ministre des Finances, enfin comme président du Comité des ministres, je n’ai cessé d’entendre parler de la guerre que nous aurions à mener contre l’Allemagne dans les prochaines années, sinon les prochains mois. Vingt ans durant, nous avons pris nos décisions, aux chemins de fer, aux finances, aux affaires militaires, en songeant essentiellement à une guerre à l’ouest10… »

Sergueï Witte achève ses études en 1870. Il apparaît donc que la création de l’Empire germanique, après la victoire remportée par la Prusse sur la France, est perçue en Russie comme le signe de l’apparition d’un ennemi dangereux aux frontières occidentales.

L’avènement, en 1888, de Guillaume II, jeune (vingt-neuf ans), hautain, avide de gloire militaire, donne l’impulsion pour une révision des orientations fondamentales de la politique étrangère russe. La nécessité en paraît évidente, lorsqu’en 1890, Guillaume II écarte Bismarck. Le nouveau chancelier, Caprivi, ne juge pas utile de prolonger « l’accord de garantie mutuelle ».

La France est alors la seule puissance d’Europe à rechercher un rapprochement avec la Russie, considérant que les deux pays ont un ennemi commun : l’Allemagne. La Russie s’engage prudemment dans cette voie. À la fin des années 1880, elle se tourne vers le marché financier français qui ne tarde pas à devenir sa principale source de prêts et de crédits. Les obstacles, toutefois, ne manquent pas à Pétersbourg, sur le chemin qui mène à Paris. La France est une république et la Russie autocratique est longue, dans ce contexte, à se faire à l’idée d’un rapprochement. Mikhaïl Katkov, dont les éditoriaux des Nouvelles de Moscou sont lus, dans les capitales occidentales, avec autant d’attention que les circulaires de Giers, déclare un jour que la Russie ne peut être l’alliée que d’une France monarchique. La méfiance est suscitée, non seulement par la république parlementaire, mais aussi par l’instabilité du régime. Pétersbourg calcule que, de l’avènement d’Alexandre III à 1890, quatorze ministères se sont succédé à Paris.

On exige de Paris des gages de loyauté. La République les donne. Le 29 mai 1890, la police française effectue, sur l’ordre du ministre de l’Intérieur Constant, des perquisitions chez vingt émigrés russes. Elle y découvre des bombes et des moyens d’en fabriquer – tout ce qu’il faut pour démasquer les « nihilistes » russes, préparant un attentat contre Alexandre III. Les conspirateurs et la police française ignorent que l’affaire a été fabriquée de toutes pièces par le provocateur Piotr Ratchkovski, qui, en 1885-1902, dirige les services étrangers du département de la police, à Paris.

La République française prouve donc qu’on peut compter sur elle dans les questions politiques délicates. La « Ligue de la Paix », de son côté, confirme ses intentions belliqueuses : en avril 1891, on apprend, à Pétersbourg, que la « Triplice » a été renouvelée prématurément. La Russie et la France entreprennent de mettre au point un accord d’obligations mutuelles, pour le cas où l’une des puissances de la « Triplice » décréterait la mobilisation. Paris et Pétersbourg s’alarment particulièrement d’un possible – c’est du moins ce que l’on croit, à l’époque – ralliement de l’Angleterre à la « Ligue ». En août 1891, un accord politique est conclu entre la Russie et la France, sorte de pacte consultatif. Les gouvernements de Russie et de France, y lit-on, « en vue de définir et d’instaurer une entente cordiale les unissant, et avec le souhait de favoriser de conserve le maintien de la paix », sont convenus de « se consulter mutuellement sur chaque question susceptible de menacer la paix générale ». L’accord est strictement confidentiel, mais avant même la signature du texte, une escadre française arrive à Cronstadt. Oubliée, la guerre de Crimée ! La population acclame les marins français. L’empereur Alexandre III se découvre pour entendre La Marseillaise, preuve même que le pouvoir approuve les marques d’amitié témoignées à la France.

La France veut aller plus loin et conclure une alliance. Le ministre russe des Affaires étrangères, Giers, considérant l’accord passé comme un mariage de raison, juge indésirable un plus grand rapprochement, notamment l’idée d’une convention militaire, en vue de laquelle les chefs des états-majors généraux ont entamé des pourparlers. D’une part, Giers redoute la venue au pouvoir, en France, d’un gouvernement revanchiste qui entraînerait la Russie dans une guerre inutile pour elle, d’autre part, il lui paraît indispensable de préserver des relations aussi bonnes que possible avec l’Allemagne, ce qu’un trop grand rapprochement avec la France pourrait empêcher. Les sentiments anti-allemands d’Alexandre III, encouragés par son épouse danoise, déterminent la fermeté de sa politique d’élargissement et de consolidation de l’« Entente cordiale ».

En août 1892, les généraux Obroutchev et Boisdeffre mettent au point une convention militaire, approuvée par Alexandre III. « Si la France, y lit-on, devait subir une offensive de l’Allemagne, ou de l’Italie soutenue par l’Allemagne, la Russie emploierait toutes les troupes dont elle peut disposer pour attaquer l’Allemagne. Si la Russie devait subir une offensive de l’Allemagne, ou de l’Autriche soutenue par l’Allemagne, la France emploierait toutes les troupes dont elle peut disposer pour attaquer l’Allemagne. » L’article 2 garantit la mobilisation immédiate et simultanée des forces armées de Russie et de France, en cas de mobilisation des forces de la « Triplice » ou d’une seule des puissances la composant. Vingt-deux ans plus tard, en 1914, cet article – comme d’autres – sera d’actualité. Une convention militaire similaire lie, depuis 1888, les États signataires de la « Triplice ».

Le chef de l’état-major russe, le général Obroutchev, est un ardent partisan d’un accord militaire avec la France. En 1863, Obroutchev, alors capitaine, avait refusé de « prendre part à une guerre fratricide », à l’époque où la division d’infanterie de la garde dans laquelle il servait, avait été envoyée écraser l’insurrection polonaise. Sa force de caractère, l’indépendance de ses jugements, ses talents militaires lui permettent cependant de faire une brillante carrière. Alexandre III a confiance en lui, bien qu’il n’ignore pas ses penchants « libéraux ». Le général Obroutchev considère que, dans le règlement des grandes questions de la politique étrangère russe (la Galicie et le Bosphore), les principaux ennemis de la Russie seront l’Angleterre, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne qui lui est liée. De son point de vue, la solution ne pourra être que militaire. Aussi convient-il de se préparer au prochain conflit, en rééquipant l’armée, en entraînant la Flotte, en construisant des forts et des voies ferrées. Des alliances sont également indispensables ; or, l’alliée logique de la Russie est la France. Alexandre III partage ce point de vue.

Les préparatifs intensifs de l’Allemagne à la guerre – augmentation des effectifs militaires, agrandissement du réseau ferroviaire, adoption, en février 1893, d’une loi prévoyant en particulier une mobilisation accélérée de toutes les troupes, « afin de porter au plus vite, à l’aide de toutes les forces, un coup décisif à l’ennemi » – confirment les craintes russes.

Durant l’automne 1893, une escadre russe arrive à Toulon – réponse à la visite des Français à Cronstadt. Les marins russes ont droit, en France, au même accueil enthousiaste qu’avaient eu les marins français.

La visite de Toulon fait publiquement la démonstration que les deux pays continuent de se rapprocher. Dans le monde secret des chancelleries diplomatiques, on met alors au point les conditions d’une alliance défensive entre la Russie et la France. L’« Entente cordiale » est confirmée par un traité, signé au printemps 1894.

La Russie sort de son isolement politique. Elle est désormais membre d’une alliance, qui veut faire obstacle, en Europe, à la « Triplice ». Mais en octobre 1894, Alexandre III meurt. Malgré une santé qui semblait de fer, il n’a pas cinquante ans. C’est donc son fils, Nicolas II, qui devra faire entrer la Russie dans un nouveau siècle.

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