J’étais bien en train de ronfler… Je gênais personne… J’avais croulé dans le fossé encore plus profond… J’étais coincé dans la muraille… Voilà un con qui déambule comme ça de travers dans les ténèbres… Il vient buter dans le voisin. Il retombe sur moi, il me culbute… Il me fait une atteinte… J’entrouvre les châsses… Je grogne un coup très féroce… Je regarde là-bas à l’horizon… le plus loin… J’aperçois le cadran… Juste celui de la gare d’Orsay… les immenses horloges… Il est une heure du matin ! Ah ! Foutre Bon Dieu ! Dégueulasse ! Et voilà je décanille ! Je me dépêtre… J’ai deux rombières de chaque côté qui m’écrabouillent… Je les culbute… Tout roupille et renifle dans les fonds… Il faut que je me redresse… que je me démène pour rentrer… Je ramasse mon beau costard… Mais je retrouve plus mon faux col… Tant pis ! Je devais être revenu pour dîner ! Mince ! C’est bien ma putaine déveine ! Aussi c’était la chaleur ! et puis j’étais trop ahuri, j’avais plus du tout ma normale ! J’avais peur et j’étais saoul !… J’étais encore tout étourdi !… La muffée ! Le mufle !
Ah ! je me souviens quand même du chemin… Je prends par la rue Saint-Honoré… la rue Saint-Roch qu’est à gauche… rue Gomboust… alors tout droit. J’arrive à la grille du Passage… Elle est pas encore fermée à cause de la température… Ils sont tous là… en bannières, dépoitraillés les voisins, devant leurs boutiques… Ils sont restés dans les courants d’air… Ils se bavachent d’une chaise à l’autre… à califourchon, comme ça, sur le pas des portes… Il me reste encore de l’ivresse… Je marche, c’est visible, de traviole… Ces gens, ils étaient étonnés. Ça m’arrivait jamais d’être saoul !… Ils m’avaient pas encore vu… Ils m’apostrophaient de surprise !… « Dis donc, alors Ferdinand ? T’as trouvé une situation ?… C’est la fête à la grenouille ?… T’as donc rencontré un nuage ?… T’as vu un cyclone Toto ?… » Enfin des sottises… Visios qui roulait son store, il m’interpelle tout exprès… Il me fait en passant comme ça… : « Dis donc, ta mère, Ferdinand elle est descendue au moins vingt fois depuis sept heures, demander si on t’a pas vu ? Je te jure ! Elle fait salement vilain !… Où que tu t’étais encore caché ?… »
Je poulope donc vers la boutique. Elle était pas fermée du tout… Hortense m’attendait dans le petit couloir… Elle avait dû rester exprès…
« Ah ! si vous voyiez votre maman ! dans quel état qu’elle s’est mise ! Elle est pitoyable ! C’est épouvantable ! Depuis six heures elle ne vit plus !… Y a eu, paraît-il, des bagarres dans les jardins des Tuileries ! Elle est sûre que vous y étiez !… Elle est sortie ce tantôt pour la première fois en entendant les rumeurs… Elle a vu dans la rue Vivienne un cheval emballé ! Elle est revenue décomposée. Ça lui a retourné tous les sangs !… Jamais je l’avais vue si nerveuse ! »… Hortense aussi était en transe pour me raconter l’accident… Elle se tamponnait toute la face, en nage, avec son grand tablier sale. Elle en restait toute barbouillée vert et jaune et noir… J’escalade les marches quatre à quatre… J’arrive là-haut dans ma chambre… Ma mère était sur le page, affalée, retournée complètement, sa camisole sans boutons… ses jupons retroussés jusqu’aux hanches… Elle se mouillait encore toute la jambe avec les serviettes-éponges. Elle en faisait des gros tampons, ça dégoulinait par terre… « Ah ! qu’elle sursaute… Te voilà tout de même ! » Elle me croyait en hachis…
« Ton père est dans une colère ! Ah ! le pauvre homme ! Il partait au commissariat ! Où étais-tu resté encore ?… »
Mon père, juste à ce moment-là, je l’entends qui sort des cabinets. Il monte tout doucement l’escalier, il rajustait ses bretelles… Il rafistolait son pansement autour des furoncles… D’abord, il me dit rien… Il fait mine de même pas me voir… Il retourne à sa machine… Il tape avec un seul doigt… Il souffle comme un phoque, il s’éponge… On crève, c’est un fait… On étrangle absolument… Il se lève… Il décroche au clou la serviette-éponge… Il se badigeonne toute la bouille avec l’eau courante… Il en peut plus !… Il revient !… Il me reluque un peu… de travers… Il regarde ma mère aussi, sur le lit tout étalée… « Recouvre-toi, voyons, Clémence !… » qu’il lui fait comme ça furibard… C’est toujours à cause de sa jambe… Ça va recommencer la séance !… Il lui fait des signes ! Il croit que je la regarde comme ça retroussée… Elle comprend rien à son émoi… Elle est innocente, elle a pas de pudeur… Il lève les deux bras au ciel… Il est outré, excédé ! Elle est découverte jusqu’au bide… Elle rabaisse enfin sa jupe… Elle change un peu de position… Elle se retourne sur le matelas… Je voudrais dire un mot… quelque chose pour faire passer vivement la gêne… Je vais parler de la chaleur… On entend les chats qui s’enfilent… Là-bas très loin sur le vitrail… Ils se foutent la course… Ils bondissent au-dessus des abîmes entre les hautes cheminées…
Un souffle d’air qui nous arrive… Un véritable zéphyr !… Hosanna !… « Voilà le temps qui rafraîchit !… que remarque tout de suite ma mère !… Eh bien ! mon Dieu ! c’est pas trop tôt !… Tu vois, Auguste, avec ma jambe je suis certaine qu’il va pleuvoir !… Je ne peux pas me tromper !… C’est toujours la même douleur… Elle me tiraille derrière la fesse… C’est positivement le signe, c’est absolument infaillible… T’entends, Auguste, c’est la pluie !… »
— Ah ! Tais-toi donc quand même un peu ! Laisse-moi travailler ! Bordel ! Tu peux donc pas t’arrêter de bavarder continuellement !
— Mais j’ai pas parlé, Auguste ! Il est bientôt près de deux heures ! Voyons, mon petit ! et nous ne sommes pas encore couchés !
— Mais je le sais bien ! Bordel de Dieu ! de charogne de trou du cul ! Mais je le sais bien qu’il est deux heures ! Est-ce que c’est ma faute ?… Il sera trois heures ! Nom de Dieu ! Et puis quatre ! Et puis trente-six ! Et puis douze ! Bordel de tonnerre !… C’est malheureux bordel de merde qu’on vienne me faire chier jour et nuit ?… c’est pas admissible à la fin !… » Il assène alors sur son truc un coup terrifiant, à écraser toutes les lettres, à raplatir tout le clavier… Il se retourne, il en est violet… Il fait alors front contre moi… Il m’attaque tout carrément : « Ah ! » qu’il me fait tout haut comme ça… Il gueule au possible, il déclame… « Vous m’emmerdez tous ! Vous m’entendez ?… C’est compris ! Et toi, sale petite crapule ! éhontée vadrouille ! Où as-tu encore traîné ? Depuis huit heures du matin ? Hein ? Veux-tu répondre ? Dis-le ? Dis-le, nom de Dieu !… »
Je ne réponds rien d’abord… Ça me revient alors d’un seul coup ce que j’ai fait des commissions… c’est vrai que je rapporte rien ! Ah ! merde ! Quel afur !…
J’y pensais plus au jambonneau !… J’avais déjà tout oublié… Je comprends alors la cadence ! Merde ! « Et l’argent de ta mère ?… Et ses provisions ?… Hein ? Ah ! Ah ! » Il exulte !… « Tu vois Clémence !… Ton produit !… Tu vois encore ce que tu as fait… Avec ton incurie crétine ! ton imbécile aveuglement… Tu lui donnes des armes à ce voyou-là ! Ta confiance impardonnable !… Ta crédulité idiote !… Tu vas lui remettre de l’argent !… Lui confier ta bourse à lui ?… Donne-lui tout !… Donne-lui la maison !… Pourquoi pas ?… Ah ! Ah ! je te l’avais pourtant prédit !… Il te chiera dans la main ! Ah ! Ah ! il nous a tout bu ! Il nous a tout englouti !… Il pue l’alcool ! Il est saoul ! Il a attrapé la vérole ! La chaude-pisse ! Il nous ramènera le choléra ! C’est seulement là que tu seras contente !… Ah ! Eh bien tu récolteras les fruits ! Toi-même, tu m’entends !… Ton fils pourri tu l’as voulu !… Garde-le alors ! Toi toute seule ?… Putain de bordel de Bon Dieu de sort !… »
Il se remonte encore la pendule !… Il se surpasse ! Il se gonfle à bloc !… Il se dégrafe tout le devant de la chemise… Il se dépoitraillé…
« Tonnerre de bordel de Nom de Dieu ! Mais il est canaille jusqu’au sang ? Il s’arrêtera plus devant rien !… Tu devrais tout de même savoir !… Ne rien lui confier !… Pas un centime ! Pas un sou !… Tu me l’avais juré quinze fois ! vingt fois ! Cent mille fois !… Et quand même il faut que tu recommences ! Ah ! tu l’es incorrigible ! »
Il rebondit dessus son tabouret. Il vient exprès pour m’insulter en face… Il traverse encore toute la pièce. Il me bave dans la tronche, il se boursoufle à plein… il s’enfurie vis-à-vis… C’est sa performance d’ouragan !… Je vois ses yeux tout contre mon blaze… Ils se révulsent drôle… Ils lui tremblotent dans ses orbites… C’est une tempête entre nous deux. Il bégaye si fort en rage qu’il explose de postillons… Il m’inonde ! Il me trouble la vue, je suis éberlué… Il se trémousse avec tellement de force qu’il s’en arrache les pansements du cou. Il regigote doublement… Il se met de traviole pour m’agonir… Il m’agrafe… Je le repousse et je fais à cet instant un brutal écart… Je suis déterminé aussi… Je veux pas qu’il me touche le sale fias… Ça l’interloque une seconde…
« Ah ! alors ? qu’il me fait comme ça… Ah ! Tiens ! si je me retenais pas !…
— Vas-y ! que je lui dis… Je sens que ça monte…
« Ah ! petit fumier ! Tu me défies ? Petit maquereau ! Petite ordure ! Regardez cette insolence ! Cette ignominie ! Tu veux notre peau ? Hein ? N’est-ce pas que tu la veux ? Dis-le donc tout de suite !… Petit lâche ! Petite roulure !… » Il me crache tout ça dans la tête… Il retourne aux incantations.
« Bordel de Bon Dieu de saloperie ! Qu’avons-nous fait ma pauvre enfant pour engendrer une telle vermine ? pervertie comme trente-six potences !… Roué ! Canaille ! Fainéant ! Tout ! Il est tout calamité ! Bon à rien ! Qu’à nous piller ! Nous rançonner ! Une infection ! Nous écharper sans merci !… Voilà toute la reconnaissance ! Pour toute une vie de sacrifices ! Deux existences en pleine angoisse ! Nous les vieux idiots ! les sales truffes toujours ! Nous toujours !… Hein, dis-le encore ! dis, cancre à poison ! Dis-le donc ! Dis-le là tout de suite, que tu veux nous faire crever !… Crever de chagrin ! de misère ! que je t’entende au moins avant que tu m’achèves ! Dis, gouape infecte ! »
Ma mère, alors se soulève, elle se ramène à cloche-pompe, elle veut s’opposer entre nous…
« Auguste ! Auguste ! Écoute-moi, voyons ! Écoute-moi ! je t’en supplie ! Voyons Auguste ! Tu vas te remettre sur le flanc ! Songe à moi, Auguste ! Songe à nous ! Tu vas te rendre tout à fait malade ! Ferdinand ! Toi, va-t’en mon petit ! va dehors ! Reste pas là !… »
Je bouge pas d’un pouce. C’est lui qui se rassoit…
Il s’éponge, il grogne !… Il tape un, deux coups d’abord sur encore les lettres du clavier… Et puis il rebeugle… Il se tourne vers moi, il me pointe du doigt, il me désigne… Il fait le solennel…
« Ah ! Tiens ! Je peux bien l’avouer aujourd’hui !… Comme je le regrette ! Comme j’ai manqué d’énergie ! Comme je suis coupable de ne pas t’avoir salement dressé ! Nom de Dieu de Bon Dieu ! Dressé ! Quand il était temps encore ! C’est à douze ans, m’entends-tu ! C’est à douze ans pas plus tard qu’il aurait fallu te saisir et t’enfermer solidement ! Ah oui ! Pas plus tard ! Mais j’ai manqué d’énergie !… T’enfermer en correction… Voilà ! C’est là que t’aurais été maté !… Nous n’en serions pas où nous en sommes !… À présent, les jeux sont faits !… La fatalité nous emporte ! Trop tard ! Trop tard ! Tu m’entends, Clémence ? Beaucoup trop tard ! Cette crapule est irrémédiable !… C’est ta mère qui m’a empêché ! Tu payeras maintenant, ma fille ! »
Il me la montre qui boquillonne gémissante, tout autour de la cambuse. « C’est ta mère ! Oui, c’est ta mère ! Tu n’en serais pas là, aujourd’hui, si elle m’avait écouté… Ah ! Bordel de bon sang non ! Ah ! Bordel de Dieu !… »
Il défonce encore le clavier… des ramponneaux des deux poings… Il va sûrement tout détruire.
« Tu m’entends Clémence ? Tu m’entends ? Je t’ai assez dit !… T’ai-je assez prévenue ? Je savais ce que ça serait aujourd’hui ! »
Il va encore éclater… Son courroux le repossède… Il regonfle de partout… de la tronche et des châsses… Ça lui révulse les orbites… Elle tient plus elle sur sa quille à force de trébucher partout… Il faut qu’elle regrimpe sur le plume… Elle s’affale… Elle retrousse tout le haut, toutes ses cottes… Elle se redécouvre toutes les cuisses, le bas du ventre… Elle se tord dans les douleurs… Elle se masse comme ça tout doucement… elle en est repliée en deux…
« Ah ! mais voyons ! Recouvre-toi ! Recouvre-toi donc, c’est infect !…
— Ah ! je t’en prie ! Je t’en prie ! Je t’en supplie, Auguste ! Tu vas tous nous rendre malades !… » Elle en pouvait plus… Elle réfléchissait plus du tout.
« Malades ? Malades ?… » Ça le traverse comme une fusée ! C’est un mot magique !… Ah ben ! Nom de Dieu c’est un comble ! Il s’esclaffe… Ça c’est une révélation !… Il remonte encore au pétard… « Mais c’est lui ! Tu ne le vois donc pas, dis Ingénue ?… Mais c’est lui ce petit apache… Mais à la fin, nom de Dieu ! vas-tu comprendre que c’est lui, ce petit infernal fripouille qui nous rend tous ici malades ! L’abjecte vipère ! Mais c’est lui qui veut notre peau ! Depuis toujours qu’il nous guette ! Il veut notre cimetière ! Il le veut !… Nous le gênons ! Il ne s’en cache même plus !… Il veut nous faire crever les vieux !… C’est l’évidence ! Mais c’est clair ! Et le plus tôt possible encore ! Il est incroyable ! Mais il est pressé ! C’est nos pauvres quatre sous ! C’est notre pauvre croûte à nous qu’il guigne ! Tu ne vois donc rien ? Mais oui ! Mais oui ! Il sait bien ce qu’il fait le gredin ! Il le sait le petit salaud ! Le charognard ! La petite frappe ! Il a pas les yeux dans sa poche ! Il nous a bien vu dépérir ! Il est aussi vicieux que méchant ! Moi je peux te le dire ! Moi je le connais si tu le connais pas ! Ç’a beau être mon fils !… »
Il recommence ses tremblements, il saccade de toute sa carcasse, il se connaît plus… Il crispe les poings… Tout son tabouret craque et danse… Il se rassemble, il va ressauter… Il revient me souffler dans les narines, des autres injures… toujours des autres… Je sens aussi moi monter les choses… Et puis la chaleur… Je me passe mes deux mains sur la bouille… Je vois tout drôle alors d’un seul coup !… Je veux plus voir… Je fais qu’un bond… Je suis dessus ! Je soulève sa machine, la lourde, la pesante… Je la lève tout en l’air. Et plac !… d’un bloc là vlac !… je la lui verse dans la gueule ! Il a pas le temps de parer !… Il en culbute sous la rafale, tout le bastringue à la renverse !… La table, le bonhomme, la chaise, tout le fourniment viré en bringue… Tout ça barre sur les carreaux… s’éparpille… Je suis pris aussi dans la danse… Je trébuche, je fonce avec… Je peux plus m’empêcher… Il faut là, que je le termine le fumier salingue ! Pouac ! Il retombe sur le tas… Je vais lui écraser la trappe !… Je veux plus qu’il cause !… Je vais lui crever toute la gueule… Je le ramponne par terre… Il rugit… Il beugle… Ça va ! Je lui trifouille le gras du cou… Je suis à genoux dessus… Je suis empêtré dans les bandes, j’ai les deux mains prises. Je tire. Je serre. Il râle encore… Il gigote… Je pèse… Il est dégueulasse… Il couaque… Je pilonne dessus… Je l’égorge… Je suis accroupi… Je m’enfonce plein dans la bidoche… C’est moi… C’est la bave… Je tire… J’arrache un grand bout de bacchante… Il me mord, l’ordure !… Je lui trifouille dans les trous… J’ai tout gluant… mes mains dérapent… Il se convulse… Il me glisse des doigts. Il m’agrafe dur autour du cou… Il m’attaque la glotte… Je serre encore. Je lui sonne le cassis sur les dalles… Il se détend… Il redevient tout flasque… Il est flasque en dessous mes jambes… Il me suce le pouce… Il me le suce plus… Merde ! Je relève la tête au moment… Je vois la figure de ma mère tout juste là au ras de la mienne… Elle me regarde, les yeux écarquillés du double… Elle se dilate les châsses si larges que je me demande où on est !… Je lâche le truc… Une autre tête qui surgit des marches !… au-dessus du coin de l’escalier… C’est Hortense celle-là ! C’est certain ! Ça y est ! C’est elle ! Elle pousse un cri prodigieux… « Au secours ! Au secours ! » qu’elle se déchire… Elle me fascine alors aussi… Je lâche mon vieux… Je ne fais qu’un saut… Je suis dessus l’Hortense !… Je vais l’étrangler ! Je vais voir comment qu’elle gigote elle ! Elle se dépêtre… Je lui barbouille la gueule… Je lui ferme la bouche avec mes paumes… Le pus des furoncles, le sang plein, ça s’écrase, ça lui dégouline… Elle râle plus fort que papa… Je la cramponne… Elle se convulse… Elle est costaude… Je veux lui serrer aussi la glotte… C’est la surprise… C’est comme un monde tout caché qui vient saccader dans les mains… C’est la vie !… Faut la sentir bien… Je lui tabasse l’occiput à coups butés dans la rampe… Ça cogne… Elle ressaigne des tifs… Elle hurle ! C’est fendu ! Je lui fonce un grand doigt dans l’œil… J’ai pas la bonne prise… Elle se dégrafe… Elle a rejailli… Elle se carapate… Elle a de la force… Elle carambole dans les étages… Je l’entends hurler du dehors… Elle ameute… Elle piaille jusqu’en haut… « À l’assassin ! À l’assassin !… » J’entends les échos, les rumeurs. Voilà une ruée qui s’amène… ça cavalcade dans la boutique, ça grouille en bas dans les marches… Ils se poussent tous à chaque étage… Ils envahissent… J’entends mon nom… Les voilà !… Ils se concertent encore au deuxième… Je regarde… Ça émerge, c’est Visios ! C’est lui le premier qui débouche… Depuis l’escalier, il a fait qu’un bond… Il est là, campé, en arrêt, farouche, résolu… Il me braque tout contre un revolver… Sur la poitrine… Les autres fias, ils me passent par-derrière, ils m’encerclent, ils m’engueulent, ils groument… Ils me filent des menaces, des injures… Le vieux est toujours dans les pommes… Il est resté écroulé… Il a un petit ruisseau de sang qui lui part de sous la tête… J’ai plus la colère du tout… C’est indifférent… Il se baisse le Visios, il touche le paquet, il grogne papa, ça râle un peu…
Les autres vaches, ils me rebousculent, ils me poussent, ils sont les plus forts… Ils sont extrêmement brutaux… Ils me projettent dans l’escalier… Ils écoutent même pas ma mère… Ils me forcent dans la pièce en dessous… Je prends tous les coups, comme ils viennent… Je résiste plus… Il m’en arrive de tout le monde, surtout des coups dans les bûmes… Je peux plus rien répondre… C’est Visios, le plus féroce !… Je prends un coup de godasse en plein ventre… Je trébuche… Je me baisse pas… Je reste là, collé au mur… Ils s’en vont… Ils me crachent encore dans la gueule… Ils me referment à clef.
Au bout d’un instant, tout seul, je suis pris par les tremblements. Des mains… des jambes… de la figure… et de dedans partout… C’est une infâme cafouillade… C’est une vraie panique des rognons… On dirait que tout se décolle, que tout se débine en lambeaux… Ça trembloche comme dans une tempête, ça branle la carcasse, les dents qui chocottent… J’en peux plus !… J’ai le trou du cul qui convulse… Je chie dans mon froc… J’ai le cœur qui bagotte dans la caisse si précipité que j’entends plus les rumeurs… ce qu’ils deviennent… J’ai les genoux qui cognent… Je m’allonge tout au long par terre… Je sais plus ce qui existe… J’ai la trouille… J’ai envie de gueuler… Je l’ai pas estourbi quand même ? Merde ! Ça m’est égal, mais j’ai l’oignon qui ferme, qui s’ouvre… C’est la contraction… C’est horrible…
Je repense à papa… Je dégouline de sueur et de la froide qui reste… J’en avale du nez… J’ai du sang… Il m’a arraché l’enfoiré !… J’ai pas appuyé… Jamais je l’aurais cru si faible, si mou… C’était la surprise… je suis étonné… C’était facile à serrer… Je pense comment que je suis resté avec les mains prises devant, les doigts… la bave… et qu’il me tétait… Je peux plus m’arrêter de tremblote… Je suis vibré dans toute la barbaque… Serrer voilà ! J’ai la grelotte dans la gueule… Je gémis à force ! Je sens maintenant tous les coups, tous les ramponneaux des autres vaches… C’est pas supportable la frayeur !… C’est le trou du cul qui me fait le plus mal… Il arrête plus de tordre et de renfrogner… C’est une crampe atroce.