J’avais beau être au fond des pommes, la Mireille me revenait quand même…

J’étais tranquille qu’elle avait dû aller baver tout son content.

« Ah ! qu’ils diraient à la Jonction… Le Ferdinand il est devenu insupportable ! Il va au Bois se faire miser !… (vu qu’on exagère toujours). Il amène en plus la Mireille !… Il débauche toutes les jeunes filles !… On va se plaindre à la Mairie !… Il a sali son emploi ! C’est un violeur et un factieux !… »

Tel quel ! Ça me faisait bouillir dans mon plume de me représenter ces salades, je suintais de partout comme un crapaud… J’en étouffais… je me tortille… Je me démène encore… Je balance toutes les couvertures… Je me retrouve une garce vigueur. Et c’est pourtant bien exact qu’ils nous ont suivis les satyres !… Je sens le brûlé de partout ! Une ombre énorme me cache la vue… C’est le chapeau à Léonce… Un chapeau de militant… Des bords si vastes qu’un vélodrome… Il a dû éteindre le feu… C’est Poitrat Léonce ! J’en suis sûr ! Il me filature depuis toujours… Il me cherche ce gars-là ! Il passe à la Préfecture bien plus souvent qu’à son tour… Après 18 heures… Il est par là, il se dépense, il milite chez les apprentis, il s’adonne aux avortements… Je lui plais pas… Je l’indispose… Il veut ma peau. Il l’avoue…

À la clinique c’est lui le comptable… Il porte aussi une lavallière. Il me bouche un côté du sommeil avec son chapeau… La fièvre monte encore je crois… Je vais éclater… Il est mariole Léonce Poitrat, c’est un fortiche aux réunions… Dans les chantages confédérés il peut hurler pendant deux heures. Personne le fait taire… Si on a changé sa motion, il devient enragé sur un mot. Il gueule plus fort qu’un colonel. Il est bâti en armoire. Pour la jactance il craint personne, pour la queue non plus, il bande dur comme trente-six biceps. Il a un bonheur en acier. Voilà. Il est secrétaire du « Syndic des Briques, Couvertures » de Vanves La Révolte. Secrétaire élu. Les poteaux sont fiers de Léonce, qu’est si fainéant, si violent. C’est le plus beau maquereau du travail.

Quand même il était pas content, il me jalousait moi, mes idées, mes trésors spirituels, ma prestance, la façon qu’on m’appelle « Docteur ». Il restait là avec les dames, il attendait à côté… Que je me décide ? Que je fasse enfin mon paquet ?… J’étais pas bon !… Et rien que pour l’emmerder… Je resterais par terre !… je tournerais au Miracle !… Je l’embrasserais même pour qu’il en crève !… Par contagion !…

À l’étage au-dessus, ça résonne… Des bruits différents… c’est l’artiste qui donne ses leçons… Il s’entraîne… Il est inquiet… il doit être seul… Do !… do !… do !… Les choses ne vont guère !… Si !… si !… Encore un petit peu… Mi ! mi !… Ré ! Tout peut s’arranger !… Et puis un arpège à gauche !… Et puis la droite qui se requinque… Si dièse !… Nom de Dieu !

Par ma fenêtre on voit Paris… En bas ça s’étale… Et puis ça se met à grimper… vers nous… vers Montmartre… Un toit pousse un autre, c’est pointu, ça blesse, ça saigne le long des lumières, des rues en bleu, en rouge, en jaune… Plus bas après, c’est la Seine, les brumes pâles, une remorque qui fait son chemin… dans un cri de fatigue… Encore plus loin c’est les collines… Les choses se rassemblent… La nuit va nous prendre. C’est ma bignolle qui cogne au mur ?

Pour qu’elle monte il faut que je sois à fond décollé… Elle est trop vieille la mère Bérenge pour se taper mes étages… D’où qu’elle peut sortir ?… Elle traverse ma piaule tout doucement… Elle touche pas par terre. Elle regarde même plus à droite à gauche… Elle sort par la fenêtre dans le vide… La voilà partie dans le noir tout au-dessus des maisons… Elle s’en va là-bas…

Загрузка...