Pendant qu’ils disaient la prière, j’avais des sensations dangereuses… Comme on était agenouillés, je la touchais presque moi, Nora. je lui soufflais dans le cou, dans les mèches. J’avais des fortes tentations… C’était un moment critique, je me retenais de faire des sottises… je me demande ce qu’elle aurait pu dire si j’avais osé ?… Je me branlais en pensant à elle, le soir au dortoir, très tard, encore après tous les autres, et le matin j’avais encore des « revenez-y »…

Ses mains, c’étaient des merveilles, effilées, roses, claires, tendres, la même douceur que le visage, c’était une petite féerie rien que de les regarder. Ce qui me taquinait davantage, ce qui me possédait jusqu’au trognon c’était son espèce de charme qui naissait là sur son visage au moment où elle causait… son nez vibrait un petit peu, le bord des joues, les lèvres qui courbent… J’en étais vraiment damné… Y avait là un vrai sortilège… Ça m’intimidait… J’en voyais trente-six chandelles, je pouvais plus bouger… C’était des ondes, des magies, au moindre sourire… J’osais plus regarder à force. Je fixais tout le temps mon assiette.

Ses cheveux aussi, dès qu’elle passait devant la cheminée, devenaient tout lumière et jeux !… Merde ! Elle devenait fée ! c’était évident. Moi, c’est là au coin de la lèvre que je l’aurais surtout bouffée.

Elle était aussi aimable avec moi qu’avec le crétin, elle me traduisait les moindres mots, tout ce qui se racontait à table, toutes les histoires de morveux… Elle me donnait des explications, en français d’abord, elle prononçait tout lentement… Elle se donnait un double boulot… Son vieux, il clignait toujours derrière ses lorgnons… Il faisait plus beaucoup l’oiseau, il se contentait d’acquiescer… « Yes Ferdinand ! Yes ! » qu’il approuvait… Engageant… Et puis, il s’amusait tout seul, il se curait les crocs très lentement, et puis les oreilles, il jouait avec son râtelier, il le décollait, il le faisait remonter encore. Il attendait que les gosses finissent, alors, il refonçait en prières.

Une fois qu’on était relevés, Mme Merrywin essayait encore un petit peu, avant qu’on retourne en classe, de m’intéresser aux objets… « The table, la table, allons Ferdinand !… » Je résistais à tous les charmes. Je répondais rien. Je la laissais passer par-devant… Ses miches aussi elles me fascinaient. Elle avait un pot admirable, pas seulement une jolie figure… Un pétard tendu, contenu, pas gros, ni petit, à bloc dans la jupe, une fête musculaire… Ça c’est du divin, c’est mon instinct… La garce je lui aurais tout mangé, tout dévoré, moi je le proclame… Je gardais toutes mes tentations. Des autres moujingues de la tôle je m’en méfiais comme de la peste. C’était qu’une bande de petits morveux, des petits batailleurs, bien ragoteurs, bien enragés, bien connards. J’avais plus de goût pour les babioles, je les trouvais même écœurants… tous ces mômes avec leurs grimaces… J’avais plus l’âge ni la patience. Je trouvais plus ça possible l’école… Tout ce qu’ils fabriquent, tout ce qu’ils récitent… c’est pas écoutable en somme… à côté de ce qui nous attend… de la manière qu’on vous arrange après qu’on en est sorti… Si j’avais voulu jaspiner, je les aurais moi, incendiées en trois mots, trois gestes, toutes ces fausses branlures. Il en serait pas resté un debout. Rien que de les voir caramboler autour des « crickets », il me passait des haines… Dans les débuts, ils m’attendaient dans les coins pour me dresser soi-disant… Ils avaient décidé comme ça que je causerais quand même. Ils s’y mettaient une douzaine. Ils avalaient leurs cigarettes… je faisais celui qui voyait rien. J’attendais de les avoir tout près. Alors à bloc, je les faisais rebondir, à grands coups de beignes dans les châsses, à pleines grolles dans les tibias… Une vraie pâtée ! La décoction ! Comme des quilles ça carambolait !… Ils se tâtaient les os longtemps… Après ils étaient plus convenables… Ils devenaient doux, respectueux… Ils revenaient un peu flairer… J’en rallongeais deux ou trois… Ils se le tenaient alors pour dit.

C’était vraiment moi le plus fort, et peut-être le plus méchant… Français ou Anglais, les lardons c’est tout du kif comme vermine… Faut piétiner ça dès l’entrée… Faut pas y aller avec le dos, ça se corrige d’autor ou jamais ! À la détrempe ! la Capitale ! Sinon c’est vous qu’on escalade !… Tout est crevé, pourri, fondu. Il vous resterait plus que la chiasse si vous laissiez passer l’occase ! Si je m’étais mis à leur causer, j’aurais raconté forcément comment c’était les vrais « business… » ! les choses exactes de l’existence, les apprentissages… Moi je les aurais vite affranchis ces mirmidons à la gomme ! Ils savaient rien ces petits… Ils soupçonnaient pas… Ils comprenaient que le football, c’est pas suffisant… Et puis se regarder la bite…

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