Ce fut une idée splendide qu’il eut alors, des Pereires, après bien des méditations à la Grosse Boule et dans les bois… Il voyait encore bien plus grand et bien plus lointain que d’habitude !… Il devinait les besoins du monde…

« Les individus c’est fini !… Ils ne donneront plus jamais rien !… C’est aux familles, Ferdinand ! qu’il convient de nous adresser ! Une fois pour toutes, toujours aux familles ! Tout pour et par la famille !… »

C’est aux « Pères angoissés de France » qu’il a lancé son grand appel ! À ceux que l’avenir de leurs chers petits préoccupait par-dessus tout !… À ceux que la vie quotidienne crucifiait lentement au fond des villes perverses, putrides, insanes !… À ceux qui voulaient tenter l’impossible pour que leur petit chérubin échappe à l’atroce destinée d’un esclavage en boutique… d’une tuberculose de comptable… Aux mères qui rêvaient pour leurs chers mignons d’une saine et large existence absolument en plein air !… loin des pourritures citadines… d’un avenir pleinement assuré par les fruits d’un sain labeur… dans des conditions champêtres… De grandes joies ensoleillées, paisibles et totales !… Des Pereires solennellement garantissait tout cela et bien d’autres choses… Il se chargeait avec sa femme de tout l’entretien complet de tous ces petits veinards, de leur première éducation, de la secondaire aussi, la « rationaliste »… enfin de l’enseignement supérieur « positiviste, zootechnique et potager »…

Notre exploitation « radiotellurique » se transformait, séance tenante, par l’apport des souscripteurs en « Familistère Rénové de la Race Nouvelle »… Nous intitulions ainsi sur nos prospectus notre ferme et ses domaines… Nous couvrîmes en quelques jours, avec nos « appels », plusieurs quartiers de Paris… (tous expédiés par Taponier)… les plus populeux… les plus confinés… encore quelques îlots du côté d’Achères où ça pue, pour voir… Nous n’éprouvions qu’une seule crainte, c’est qu’on nous envahisse trop tôt ! Nous redoutions comme la peste les engouements trop frénétiques !… L’expérience !

Question d’abondante nourriture avec notre « radio-tellurie » le problème n’existait pas !… Il ne subsistait en somme qu’un seul véritable écueil… La saturation des marchés par nos pommes de terre « ondigènes » !… On y penserait au moment !… On engraisserait les cochons !… Autant comme autant !… Nous tiendrions aussi une forte basse-cour !… Les pionniers boufferaient du poulet !… De cette alimentation mixte Courtial était très partisan… La carne c’est bon pour la croissance !… Nous vêtirions, il va de soi, sans aucune difficulté, tous nos petits pupilles avec le lin de notre ferme !… tissé en chœur, en cadence, pendant les longues soirées d’hiver !… Ça sonne… Ça s’annonçait au mieux ! Une splendide ruche agricole ! Mais sous le signe de l’intelligence ! pas seulement de l’instinct ! Ah ! Des Pereires tenait beaucoup à cette distinction ! Il voulait que ça soye rythmique !… fluent ! intuitif !… Des Pereires résumait ainsi la situation. Les enfants de la « Race Nouvelle » tout en s’amusant, s’instruisant de droite à gauche, se fortifiant les poumons, nous fourniraient avec joie une main-d’œuvre toute spontanée !… rapidement instruite et stable, entièrement gratuite !… mettant ainsi sans contrainte leur juvénile application au service de l’agriculture… La « Néo-Pluri-Rayonnante »… Cette grande réforme venait du fond, de la sève même des campagnes ! Elle fleurissait en pleine nature ! Nous en serions tous embaumés ! Courtial s’en reniflait d’avance !… On comptait sur les pupilles, sur leur zèle et leur entrain, tout à fait particulièrement, pour arracher les mauvaises herbes ! extirper ! défricher encore !… Vrai passe-temps pour des bambins !… Torture infecte pour des adultes !… Des Pereires alors, dispensé par cet industrieux afflux des mesquineries de la basse culture, pourrait s’adonner totalement aux mises au point très délicates, aux infinis tatillonnages de son « groupe polarisateur » !… Il gouvernerait les effluves ! Il ne ferait plus autre chose ! Il inonderait, accablerait notre sous-sol de tous les torrents telluriques !…

Notre programme se présentait bien… Nous en fîmes parvenir dix mille d’un quartier à l’autre… Sans doute venait-il combler bien des vœux latents ?… Mille désirs inexprimés… Toujours est-il que nous reçûmes presque immédiatement des lettres, des réponses à foison… avec truculents commentaires… presque tous extrêmement flatteurs… Ce qui sembla le plus remarquable à la plupart des adhérents, ce fut l’extrême modicité de nos prétentions financières… Nous avions, c’est bien exact, calculé au dernier carat… Il eût été fort difficile de faire plus avantageux… Ainsi pour conduire un pupille, depuis la petite adolescence (sept ans minimum) jusqu’au régiment, lui assurer gîte et couvert, pendant treize années de suite, lui développer le caractère, les poumons, l’esprit, les bras, lui donner le goût de la nature, lui apprendre un si grand métier, le doter enfin et surtout, à la sortie du Phalanstère, d’un splendide et valable diplôme d’ « Ingénieur Radiogrométrique », nous ne demandions aux parents en tout et pour tout qu’une somme globale, définitive, de quatre cents francs !… Cette somme, cette rentrée immédiate, devait faire l’achat du laiton, la mise en état du circuit… la propagation souterraine… En précipitant nos cultures l’avenir nous appartenait !… Nous ne demandions pas l’impossible !… Pour commencer… en pommes de terre… quatre wagons par mois.

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