À la Grosse Boule on y est retournés… Qu’une seule fois pour voir… Bien mal nous en prit, Nom de Dieu ! Comme on a reçu un sale accueil ! Agathe, la bonniche, elle était plus là, elle était partie en bombe avec le tambour de la ville, un père de famille !… Ils s’étaient mis ensemble « au vice »… C’est moi qu’on rendait responsable de cette turpitude ! Dans le village et les environs, tout le monde m’accusait… et tous pourtant l’avaient tringlée !… Y avait pas d’erreur ! Je l’avais pervertie ! qu’ils disaient… Ils voulaient plus nous connaître ni l’un ni l’autre !… Ils refusaient de jouer avec nous… Ils voulaient plus écouter « nos partants » pour Chantilly… À présent c’était le coiffeur en face de la Poste qui ramassait tous les enjeux !… Il avait repris tout notre système, avec les enveloppes et les timbres…
Ils savaient encore bien d’autres choses, les gens de la Grosse Boule à propos de nos putrides instincts !… Ils savaient, en particulier, qu’on se nourrissait sur l’habitant !… Les poulets qu’on retrouvait plus à vingt kilomètres à la ronde… Le beurre de même et les carottes !… C’était nous les romanichels !… Ils nous l’ont pas dit très clairement, parce qu’ils étaient des hypocrites… Mais ils se faisaient des réflexions absolument allusoires à propos de coups de fusil qui seraient pas volés pour tout le monde… pour des ramassis de feignasses qui finiront quand même au bagne !… Ainsi soit-il !… Enfin des remarques désagréables… On est repartis sans se dire « au revoir »… On avait bien deux heures de route pour rentrer chez nous à Blême… On avait tout le temps de repenser à ce frais accueil !…
Ça ne s’arrangeait pas très bien… ça ne ronflait pas nos entreprises… Des Pereires se rendait bien compte… Je croyais qu’il allait m’en causer… mais il a parlé de tout autre chose, chemin faisant… Des étoiles et des astres encore… de leurs distances et satellites… des jolies féeries qui s’enlacent pendant qu’on roupille d’habitude… De ces constellations si denses qu’on dirait des vrais nuages d’étoiles…
On marchait depuis assez longtemps… il commençait à s’essouffler… Il se passionnait toujours bien trop quand il était question du ciel et des trajets cosmogoniques… Ça lui montait à la tête… Il a fallu qu’on ralentisse !… On a grimpé sur un talus… Il cherchait son souffle… On s’est assis là.
« Tu vois Ferdinand je ne peux plus… Je ne peux plus faire deux choses à la fois… Moi qu’en faisais toujours trois ou quatre… Ah ! C’est pas drôle Ferdinand !… c’est pas drôle !… Je ne dis pas la vie Ferdinand mais le Temps !… La vie c’est nous, ça n’est rien… Le Temps ! c’est tout !… Regarde donc les petites “ Orionnes ”… Tu vois “ Sirius ” ? près du “ Fléau ” ?… Elles passent… Elles passent… Elles vont bien là-bas les retrouver les grandes lactéennes d’Antiope… » Il en pouvait plus… ses bras retombaient sur ses genoux… « Tu vois Ferdinand par une soirée comme celle-ci j’aurais pu retrouver Bételgeuse… une nuit de vision quoi ! une vraie nuit de cristal !… Peut-être qu’avec le télescope nous pourrions encore… Par exemple c’est le télescope que je suis pas près de retrouver !… Ah ! Nom de Dieu ! Quel foutu fatras quand j’y pense !… Ah ! crois-tu Ferdinand ? Ah ! crois-tu ?… Ah ! Dis donc t’as bien mordu ça ?… »
Il en rigolait au souvenir… J’ai rien répondu… Je voulais pas être responsable de lui redorer la pilule… Quand il reprenait plein optimisme il faisait plus que des conneries… Il a continué à me parler comme ci comme ça…
« Ferdinand ! Tu vois, mon brave… Ah ! Je voudrais bien être ailleurs ! Ailleurs tu sais tout à fait !… Ailleurs ! que… ça serait… quoi… » Il refaisait encore des gestes, il décrivait des paraboles… Il promenait les mains dans les voies lactées… haut, très haut dans les atmosphères… Il retrouvait encore une cligneuse… une petite chose à m’expliquer… Il voulait encore… mais il pouvait plus… Ses mots raclaient trop… C’est la poitrine qui le gênait… « Ça me donne de l’asthme moi l’automne ! » qu’il a fait la remarque… Il s’est tenu alors tranquille… Il s’est endormi un petit peu… ratatiné comme ça dans l’herbe… À cause du froid je l’ai réveillé… Peut-être une demi-heure plus tard… On est repartis tout doucement.