Grand-mère, elle se rendait bien compte que j’avais besoin de m’amuser, que c’était pas sain de rester toujours dans la boutique. D’entendre mon père l’énergumène beugler ses sottises, ça lui donnait mal au cœur. Elle s’est acheté un petit chien pour que je puisse un peu me distraire en attendant les clients. J’ai voulu lui faire comme mon père. Je lui foutais des vaches coups de pompes quand on était seuls. Il partait gémir sous un meuble. Il se couchait pour demander pardon. Il faisait comme moi exactement.

Ça me donnait pas de plaisir de le battre, l’embrasser je préférais ça encore. Je finissais par le peloter. Alors il bandait. Il venait avec nous partout, même au Cinéma, au Robert Houdin, en matinée du jeudi. Grand-mère me payait ça aussi. On restait trois séances de suite. C’était le même prix, un franc toutes les places, du silencieux cent pour cent, sans phrases, sans musique, sans lettres, juste le ronron du moulin. On y reviendra, on se fatigue de tout sauf de dormir et de rêvasser. Ça reviendra le Voyage dans la Lune… Je le connais encore par cœur.

Souvent l’été y avait que nous deux, Caroline et moi dans la grande salle au premier. À la fin l’ouvreuse nous faisait signe qu’il fallait qu’on évacue. C’est moi qui les réveillais le chien et Grand-mère. On se grouillait ensuite à travers la foule, les boulevards et la cohue. À chaque coup nous avions du retard. On arrivait essoufflés.

« T’as aimé ça ? » qu’elle me demandait Caroline. Je répondais rien, j’aime pas les questions intimes. « Cet enfant est renfermé » que prétendaient les voisins…

Au coin de notre « Passage » en rentrant, elle m’achetait encore à la marchande sur sa chaufferette Les Belles Aventures Illustrées. Elle me les cachait même dans son froc, sous ses trois épais jupons. Papa voulait pas que je lise des futilités pareilles. Il prétendait que ça dévoyé, que ça prépare pas à la vie, que je devrais plutôt apprendre l’alphabet dans des choses sérieuses.

J’allais atteindre mes sept ans, bientôt j’irais à l’école, il fallait pas qu’on m’égare… Les autres enfants des boutiques, ils iraient aussi prochainement. C’était plus le moment de badiner. II me faisait des petits sermons sur le sérieux dans l’existence, en revenant des livraisons.

Les baffes, ça suffit pas tout de même.

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