Le commissaire des « Bons-Enfants » avec ses allures de s’en foutre, c’était tout de même une petite vache. C’est bien au fond à cause de lui qu’ils ont entamé les poursuites. Et que le parquet s’en est mêlé… Pas pendant bien longtemps bien sûr… Mais assez suffisamment pour bien nous faire chier quand même… On a eu des bourres plein la tôle… Une perquisition pour la forme… Qu’est-ce qu’ils pouvaient nous saisir ?… Ils sont repartis tout râleux… Ils avaient pas leur bon motif pour l’inculpation… L’escroquerie était pas bien nette… Ils ont essayé de nous bluffer… Mais on avait nos alibis… On se disculpait très facilement.
Courtial il a sorti des textes qu’étaient tous entièrement pour nous… À partir de ce moment ils l’ont convoqué aux « Orfèvres » presque tous les jours… Le Juge il se marrait cinq minutes rien qu’à écouter ses salades… ses protestations… Tout d’abord il lui a dit :
« Avant de présenter votre défense, retournez donc les mandats… Restituez donc vos souscripteurs !… C’est l’abus de confiance votre histoire, une véritable flibusterie caractéristique ! »
Il ressautait alors, le vieux dabe, en entendant des mots pareils… Il se défendait à tout rompre, pied à pied, désespérément…
« Rendre quoi ? Le destin m’accable ! On m’exaspère à plaisir ! On me harcèle ! On me crible ! On me ruine ! On me piétine ! On m’afflige de cent mille façons ! Et maintenant ? Que veut-il encore ? Quelles prétentions ? M’extorquer ma dernière gamelle !… À Dache !… Que des rançons imaginaires ! C’est une gageure ! Mais c’est un guêpier, ma parole ! Un cloaque ! Je n’y tiens plus !… La perfidie de tous ces gens ? Mais un ange en tournerait canaille !… Et je ne suis point si sublime ! Je me défends, mais je m’écœure ! Je le crie !… Lui ai-je tout dit à ce pantin ! à ce sagouin ! Ce fourbe ! Ce foutriquet de basoche !… Toute une existence, Monsieur, vouée au service de la Science ! de la vérité ! par l’esprit ! par le courage personnel !… 1 287 ascensions !… Une carrière toute de périls ! Des luttes sans merci !… Contre les trois éléments… Maintenant les coteries mielleuses ? Ah ! Ah ! L’ignorance ! La sottise bavarde !… Oui !… Pour la lumière ! Pour l’enseignement des familles ! Et finir là !… Pouah ! Traqué par les hyènes en bandes !… contraint aux pires arguties !… Flammarion viendra témoigner. Il viendra ! “ Taisez-vous donc des Pereires !… qu’il m’arrête alors ce vaurien, sans aucune trace de politesse, ce petit salopiaud morveux !… Taisez-vous ! J’en ai assez de vous écouter… Nous sommes loin de notre sujet !… Votre concours du ‘ Perpétuel ’… j’en ai toutes les preuves sous la main… n’est qu’une vaste crapulerie… Encore si c’était votre première !… mais ce n’est que la plus flagrante !… la plus récente !… la plus effrontée de toutes !… Une parfaite imposture, ma foi !… Un attrape-gogos cynique ! Vous n’y couperez pas à l’article 222 ! M. des Pereires !… Vos conditions ne tiennent pas debout !… Vous feriez bien mieux d’avouer… Relisez donc votre prospectus… Regardez donc toutes vos notices !… Un culot phénoménal !… Rien qui puisse passer pour honnête dans un tel concours… Rien de justifiable !… Aucun contrôle n’est praticable ! Ah ! Vous savez vous dérober !… Du tape-à-l’œil… Des poudres aux yeux !… Vous avez d’avance soigneusement élaboré toutes vos clauses qui rendent l’expérience impossible !… C’est du joli !… C’est de l’escroquerie bel et bien… La pure et simple frauduleuse !… Du vol amplement qualifié !… Vous n’êtes qu’un larron, des Pereires ! du grand Idéal Scientifique ! Vous ne vivez que grâce aux pièges que vous tendez à l’enthousiasme ! Aux admirables chercheurs !… Vous braconnez ignoblement dans les fourrés de la Recherche !… Vous êtes un chacal, des Pereires ! Une bête honteuse ! Il vous faut l’ombre la plus dense ! Les taillis inextricables ! Toute lumière vous met en déroute ! Je la ferai, moi, des Pereires, sur vos œuvres basses ! Attention, dangereux spécimen ! Fangeux ! putride survivant de la faune des estragules ! J’envoie tous les jours aux Rungis des portées entières de crapules infiniment plus excusables !… »
« — Mais le ‘ Mouvement perpétuel ’, c’est un idéal bien humain… que j’ai rétorqué à cette brute !… Déjà Michel-Ange ! Aristote ! et Léonard de Vinci !… Le Pic de la Mirandole !…
« — Alors, c’est vous qui le jugerez ? qu’il m’a réfuté tac au tac… Vous vous sentez éternel ?… Il faut l’être, vous entendez bien, pour juger ça valablement le résultat de votre concours !… Là ! ah ! je vous y prends, cette fois… N’est-ce pas ? Éternité !… Vous vous dites donc éternel ?… Tout simplement !… C’est entendu !… L’évidence même vous accable !… Vous aviez bien l’intention en instituant votre concours de ne jamais en venir à bout !… Ah ! c’est bien ça !… Je vous y prends !… de piller tous ces malheureux ? Allons, signez-moi ça là-bas ! ” Il me tendait son porte-plume !… Ah ! la vache ! C’était le comble des culots ! J’avais même pas fait Ouf ! ni Youp !… Il me présentait son papelard !… Non, tu vois pas ça d’ici ?… Ah ! j’en étais comme deux ronds de tarte !… J’ai refusé bien sûr tout net… Ça alors, c’était bien un piège !… Une vraiment infecte embuscade ! Je me suis pas gêné pour lui dire… Il en revenait pas !… Je suis ressorti la tête haute !…
« “ Ça sera pour demain, des Pereires !… qu’il m’a lancé dans le couloir ! Vous ne perdez rien pour attendre !… ”
« “ Vous sentez-vous éternel ? ” Non, mais alors quel aplomb ! Quelle effronterie fantastique !… Ces sauvages-là parce qu’ils ont avec eux la force, le petit bout de poil et la grande gueule, ils se croient complètement astucieux… Ça vrai ! Je peux alors bien le dire !… C’était une réflexion inouïe !… Absolument inédite ! Tonnerre de cul et de catacombes ! C’était un bouquet ! Mais pour me démonter, mon fils, il en faudrait bien davantage ! Quand même un petit peu ! que des traquenards saugrenus ! Ah ben ouizalors !… Toute cette impertinence ignoble ne peut que me fortifier ! Voilà comme je pense ! Et qu’il advienne ce que pourra ! Qu’on m’enlève le boire ! le manger ! le gîte ! le couvert ! qu’on m’incarcère ! qu’on me torture de toute façon ! Je m’en colle de long en large ! J’ai ma conscience… et ça me suffit !… Rien sans elle !… Rien contre elle !… Voilà, Ferdinand ! C’est l’Étoile Polaire !… »
Je la connaissais moi la formule !… Papa il m’avait rassasié… On a pas idée de ce qu’à l’époque elle travaillait dur la conscience !… Mais c’était pas une solution… Au Parquet ils se tâtaient vraiment s’ils allaient pas le mettre sous verrous… Cependant le truc de l’éternité c’était quand même assez mariole… Ça pouvait bien s’interpréter… On a profité des sursis !… On a lavé du matériel… des vieilles bricoles de la cave… Et même des débris du ballon… Elle est revenue, la rombière, tout spécialement de Montretout… Elle voulait reprendre tout en main, tout diriger à sa guise, surtout la vente de nos bricoles… Tout ce qui nous restait du ballon… On a fait un voyage à « dos » et un autre avec la poussette… On a fourgué surtout au « Temple »… à même le Carreau… On a eu beaucoup d’amateurs… Ils appréciaient bien les petits résidus mécaniques… Et puis pour les « Puces » le samedi on faisait des lots entiers de bouquins… on soldait tout à la « grosse »… et avec des bribes du Zélé… Les ustensiles… un baromètre et les cordages… De tout ce bastringue, en bien des séances, on a fini par tirer presque quatre cents points… C’était quand même agréable !… Ça nous a permis d’amadouer un peu l’imprimeur avec un sérieux acompte… Et pour leur « Crédit Benoiton » la moitié d’une traite sur la case !
Mais nos pauvres pigeons voyageurs, à partir de ce moment-là, ils avaient plus bien raison d’être… On les nourrissait pas beaucoup depuis déjà plusieurs mois… parfois seulement tous les deux jours… et ça revenait quand même très cher !… Les graines, c’est toujours fort coûteux, même achetées en gros… Si on les avait revendus… sûrement qu’ils auraient rappliqué comme je les connaissais… Jamais ils se seraient accoutumés à des autres patrons… C’était des braves petites bêtes loyales et fidèles… Absolument familiales… Ils m’attendaient dans la soupente… Dès qu’ils m’entendaient remuer l’échelle… Ils roucoulaient double !… Courtial il nous parlait déjà de se les taper à la « cocotte »… Mais je ne voulais pas les donner à n’importe qui… Tant qu’à faire de les occire, j’aimais mieux m’en charger moi-même !… J’ai réfléchi à un moyen… J’ai pensé comme si c’était moi… Moi j’aimerais pas au couteau… Non !… J’aimerais pas à être étranglé… non… ! J’aimerais pas à être écartelé… détripé… fendu en quatre !… Ça me faisait quand même un peu de peine !… Je les connaissais extrêmement bien… Mais y avait plus à démordre… Il fallait se résoudre à quelque chose… J’avais plus de graines depuis quatre jours… Je suis donc monté un tantôt comme ça vers quatre heures. Ils croyaient que je ramenais de la croûte… Ils avaient parfaitement confiance… Ils gargouillaient à toute musique… Je leur fais : « Allez ! radinez-vous, les glouglous ! C’est la foire qui continue. Pour la balade, en voiture !… » Ils connaissaient ça fort bien… J’ouvre tout grand leur beau panier, le rotin des ascensions… Ils se précipitent tous ensemble… Je ferme bien la tringle… Je passe encore des cordes dans les anses… Je ligote en large, en travers… Ainsi c’était prêt… Je laisse le truc d’abord dans le couloir. Je redescends un peu… Je dis rien à Courtial… J’attends qu’il s’en aille prendre son dur… J’attends encore après le dîner… La Violette me tape au carreau… Je lui réponds : « Reviens donc plus tard… gironde… Je pars en course dans un moment !… » Elle reste… elle rouscaille…
« Je veux te dire quelque chose, Ferdinand ! qu’elle insiste comme ça…
— Barre ! que je lui fais… »
Alors je monte chercher mes bestioles… Je les redescends de la soupente. Je me mets le panier sur la tête… et je m’en vais en équilibre… Je sors par la rue Montpensier… Je traverse tout le Carrousel… Arrivé au quai Voltaire, je repère bien l’endroit… Je vois personne du tout… Sur la berge, en bas des marches… j’attrape un pavé, un gros… Je l’amarre à mon truc… Je regarde bien encore autour… J’agrafe tout le fourbi à deux poignes et je le balance en plein jus… Le plus loin que je peux… Ça a pas beaucoup fait de bruit… J’ai fait ça automatique…
Le lendemain matin, Courtial, je lui ai cassé net le morceau… J’ai pas attendu… J’ai pas pris trente-six tournures… Il a rien eu à répondre… Elle non plus d’ailleurs, la chérie, qu’était aussi dans le magasin… Ils ont bien vu à mon air que c’était pas du tout le moment de venir me faire chier la bite.